Non, les députés ne sont pas des fainéants !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/06/2018
Les positions minoritaires ne me font pas peur mais en défendant les députés je crains d'être presque seul.
Si j'en juge par exemple par le débat sur ce thème à L'heure des pros où on s'en est donné à coeur joie pour dénoncer leurs récriminations sur l'excès de travail et leur état d'épuisement.
Pourtant l'un et l'autre sont indéniables.
Pourquoi donc les députés alors sont-ils si vilipendés, notamment Jean-Luc Mélenchon parlant au nom de son groupe, quand ils exposent la réalité qui est indiscutablement néfaste à la qualité du travail parlementaire ?
Le président de l'Assemblée nationale n'en disconvient puisqu'il a invité l'exécutif "à lever le pied" (RFI).
Ils seraient indécents de leur part de se plaindre alors qu'ils sont des privilégiés ?
Parce qu'ils sont des représentants de la nation, il me semble qu'ils sont tout à fait fondés, en son nom, à craindre que l'organisation parlementaire actuelle, avec ce qu'elle entraîne de précipitation, d'urgence, de concentration, de fatigue durant de nombreuses heures, parfois tard dans la nuit, altère ce qui est fondamental : l'élaboration pertinente et lucide de la loi. Si ce processus délétère se poursuit, les députés ne tiendront pas et ce sont en définitive les Français qui trinqueront parce qu'ils subiront les effets de dispositions calamiteuses adoptées trop mal, trop vite.
Pourquoi les députés n'auraient-ils pas le droit de protester ? Il est vrai que leur statut dans l'opinion est ambigu parce qu'on les souhaite à la fois surhommes, surfemmes et aussi comme nous, avec nos forces et nos faiblesses. Comme ils se situent du côté de notre humanité imparfaite, il est logique qu'on leur permette l'opportunité de dénoncer et de réformer dès lors qu'il ne s'agit pas de leur confort personnel mais de l'accomplissement le plus maîtrisé possible de leur mission.
Ce n'est pas parce qu'une majorité du groupe LREM n'est pas connue médiatiquement qu'elle ne travaille pas. S'il y a sans doute quelques paresseux à l'Assemblée nationale, il s'agit d'une infime minorité, la plupart des parlementaires étant des bourreaux de travail en séance, dans les commissions, dans leurs circonscriptions. Leur faible nombre parfois dans l'hémicycle n'infirme pas le constat qu'ils assument de lourdes charges ailleurs.
Pourquoi les députés seraient-ils condamnés à se taire ? Il serait indécent d'alerter publiquement comme ils l'ont fait ?
Leur démarche ne les rend pas aveugles ni sourds. Ils savent bien qu'il y a un certain nombre d'activités dans notre pays, plus lourdes, plus épuisantes que les leurs, bien plus mal payées et, gauche et droite confondues, ils considèrent que c'est une honte. Instituteurs, infirmières, d'autres encore. Cette conscience ne leur interdit pas de tirer la sonnette d'alarme pour eux-mêmes et pour l'Assemblée nationale.
Ce n'est pas non plus parce que le président de la République - qui ne raffole pas, dans sa vision politique, de l'Assemblée nationale et ne serait pas mécontent de la voir oeuvrer à marche forcée - et ses conseillers ont une résistance hors du commun qu'il conviendrait pour les députés de les imiter alors que par ailleurs leurs missions, dans leurs modalités, sont assez différentes.
Pourquoi l'Assemblée nationale serait-elle privée de discours et de jugement sur son organisation interne ? Parce qu'elle méconnaîtrait la grandeur de son rôle ? Alors que c'est exactement l'inverse.
Contrairement à ce qu'on croit, le métier politique n'attire plus parce qu'il y faut des qualités exceptionnelles de disponibilité et d'altruisme et qu'il impose d'avoir le cuir épais. Il serait dramatique de favoriser un anti-parlementarisme qui n'est que trop présent dans l'esprit public.
Pour moi, en aspirant à ce que le pays réel ait aussi sa cohérente et juste représentation parlementaire, les députés, de gauche, de droite, sont d'abord à honorer. Ils sont l'avant-garde de la démocratie et son incarnation. Je les respecte parce qu'ils parlent en mon nom.
S'acharner à les ridiculiser ou à les pourfendre vulgairement, pour flatter la pire des démagogies, c'est oublier qui ils sont, ce qu'ils font et qui nous sommes.