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GNU/Linux et la vente liée

Zythom - Zythom MEM, 14/04/2015

J'ai découvert GNU/Linux en 1993, avec une distribution qui s'appelait Yggdrasil. Il s'agissait pour moi de trouver un remplacement à l'HP-UX que j'avais connu dans ma vie professionnelle précédente. Puis, toujours pour des raisons professionnelles, j'ai adopté pendant plusieurs années la distribution Slackware, pour migrer ensuite vers le Chapeau Rouge et enfin vers la distribution Debian qui équipe maintenant tous mes serveurs GNU/Linux pro.

En parallèle, j'ai joué avec Nextstep, FreeBSD, Solaris et NetBSD, pour différentes raisons, mais c'est surtout l'univers des différentes distributions GNU/Linux qui m'a attiré : j'aime bien de temps en temps installer une distribution pour voir comment elle fonctionne. Je teste un peu de tout, mais pas tout, car vous trouverez une liste impressionnante des différentes distributions sur cette page Wikipédia.

Certaines distributions sont spécialisées dans l'inforensique, comme DEFT. D'autres dans la protection de la vie privée, comme Tails. Enfin, certaines sont adaptées à un usage grand public, comme Ubuntu, que j'ai choisie pour mon ordinateur personnel.

Tout est affaire de choix, et chaque distribution a sa communauté et ses passionnés. Mais, si je suis un utilisateur converti depuis longtemps, je n'ai jamais fait parti des contributeurs, c'est-à-dire que je n'ai jamais participé au développement, aux tests, à la documentation, aux traductions, etc. Peut-être puis-je me targuer d'en avoir parlé autour de moi, et d'avoir incité mes étudiants à s'en servir. Mais le fait de ne pas contribuer me rend un peu mal à l'aise...

C'est pourquoi, le jour où un avocat m'a contacté pour me demander de faire une analyse technique en tant qu'expert, avec comme objectif de lutter contre la vente forcée du système d'exploitation lors d'un achat de matériel informatique, j'ai tout de suite répondu présent.

C'était la chance de ma vie pour apporter ma pierre à l'édifice.
C'était le projet qui allait marquer ma vie d'expert de justice.
C'était le moyen de détrôner Windows de son hégémonie et rendant le choix possible pour le consommateur.

J'étais chaud bouillant.

Hélas, le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Comment évaluer la simplicité d'installation d'une distribution sur un ordinateur ? Quelle distribution faut-il tester ? Sur quels ordinateurs faut-il faire les tests pour prétendre être exhaustif ? Combien d'ordinateurs, quelles marques ? Etc.

Est-il possible d'écrire un rapport technique objectif prouvant la vente liée ?

Il est beaucoup plus simple de trouver un ordinateur récent et d'installer plusieurs distributions pour en trouver quelques unes qui ne s'installent pas correctement... Il y a souvent un "truc" propriétaire sur l'ordinateur (par exemple des boutons sur un portable) qui ne sera pas reconnu par le système d'exploitation si le constructeur ne fournit pas le bout de programme ad-hoc. Et le temps que la communauté développe le pilote manquant, un certain nombre de consommateurs peuvent s'estimer floués...

En 2008, Darty avait été poursuivi par l'association UFC-Que Choisir pour vente liée PC et logiciels, mais le tribunal l'avait déboutée (lire ici). La société Darty avait quand même été condamnée à détailler le prix des logiciels installés sur un PC. Cette obligation avait été retirée en appel.

Le jugement d'appel peut être lu ici (pdf).

J'en reproduit ici un extrait qui me semble intéressant :
Darty justifie d'ailleurs que ces ordinateurs, ainsi équipés, lui sont facturés globalement, sans distinction entre le prix de l'ordinateur et celui des logiciels, et que ses demandes pressantes adressées le 26 juin 2008 à ses fournisseurs (Toshiba, Asus, Apple, Packard Bell, Sony, Hewlett Packard, Fujitsu-Siemens et Acer), dans le but de satisfaire à l'injonction du tribunal, sont demeurées vaines, Apple ayant répondu que ses logiciels, conçus par elle, ne sont pas vendus séparément, Hewlett Packard ayant fait valoir que "les logiciels qu'(elle) se procure en très grandes quantités pour en équiper ses ordinateurs doivent être distingués de ceux disponibles dans le commerce et que ces composants ne font pas l'objet d'une commercialisation séparée" et qu'elle estimait en conséquence que "le prix des logiciels dont elle équipe ses machines et dont elle n'est pas par ailleurs revendeur est un élément de la structure du coût de ses ordinateurs et relève du secret des affaires", et les autres n'ayant tout simplement pas accédé à sa requête;
Où en est-on en 2015 ? Je ne suis pas juriste, donc, je ne peux pas vous dire dans quel sens les textes de loi ont évolué. J'espère que le moment est venu de se reposer la question de la vente liée.

Il faudrait sans doute définir dans la loi plusieurs sortes de consommateurs : celui qui souhaite une machine "clef en main" et celui qui peut accepter une machine nue, avec une réduction de prix, même modique. Il faudrait que les constructeurs fournissent les pilotes de leur matériel propriétaire. Il faudrait que les constructeurs acceptent d'installer plusieurs systèmes d'exploitation en OEM pour assurer la pleine exploitation de leurs machines et l'égalité des armes.

La gratuité annoncée de Windows 10 va peut-être débloquer cette situation, développer les parts d'utilisation des OS alternatifs et permettre au consommateur d'avoir le choix. La guerre des OS n'est pas prête de s'arrêter.

Pour l'instant, ce projet d'expertise est en attente, et je me contente de contribuer au point n°10 de cette liste, et d'acheter mes ordinateurs nus sur les sites qui le proposent.

En attendant mieux.
Désolé.

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Source dessin : Bruno Bellamy

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