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Le verbe macronien : entre pathos et trivialité ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/11/2018

Surtout j'attache la plus grande importance à la dénonciation du "pathos ornemental". Je prends ce risque pour moi. Le goût de la belle langue, la dilection pour une parole forte vraie et intense, à la fois chargée d'émotion et si possible d'intelligence peuvent en effet parfois frôler l'enflure, voire y tomber. Rien de plus bienfaisant que d'être mis en garde, par l'entremise présidentielle même injustement critiquée, pour les virtualités négatives qui pourraient surgir de ma passion du verbe.

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Quel bonheur de lire les propos de personnalités suprêmement intelligentes. Même si on ne les approuve pas. Comme si le processus de l'adhésion intellectuelle et politique était distinct de l'estime, voire de l'admiration qu'on éprouve face à un esprit en marche vous offrant toutes les subtilités et richesses de sa complexité, de sa profondeur.

Plus d'une fois me suis-je surpris dans cette configuration en lisant ou en écoutant Bernard-Henri Lévy.

En revanche Mona Ozouf m'a toujours ébloui par ses analyses et sa vision et je n'ai jamais eu besoin de me déprendre d'une quelconque hostilité partisane pour apprécier ses réponses et son originalité fondées sur un immense savoir.

Elle a encore été à son meilleur dans un entretien avec Jean-Paul Enthoven dont les questions, il est vrai, la stimulaient (Le Point). Ce qui m'a intéressé tout particulièrement est la dureté de son jugement sur l'éloquence de notre président de la République qui, selon elle, "titube entre pathos ornemental et trivialité".

Mon titre résulte de son appréciation sur laquelle je m'interroge.

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Je me suis déjà souvent livré à une analyse du verbe macronien mais pour qui a la passion de la parole et le désir de l'enseigner, on n'en a jamais assez. Il y a toujours des trésors à rechercher et à découvrir.

Même si je suis conscient qu'on a la parole de son corps comme l'a souligné le formidable orateur qu'était mon ami Thierry Lévy, et donc qu'on ne saurait induire de celle qui surgit naturellement de soi des enseignements généraux et péremptoires puisque chaque expression est unique mais, de qualité, renvoie à quelques exigences communes.

Le reproche de trivialité n'est pas absurde, je ne l'imputerai cependant pas directement à "l'éloquence" du président de la République. Cette familiarité, cette "trivialité", parfois regrettables, surtout de la part d'un homme qui en use délibérément pour s'imaginer ainsi se rapprocher du commun des citoyens, n'imprègnent jamais ses discours officiels, ses interventions solennelles qu'il révise s'il ne les écrit pas et que menace plutôt une longueur excessive.

Cette "trivialité" affecte plutôt la spontanéité et la liberté des échanges, dans le fil de rencontres improvisées et la chaleur de contacts parfois houleux. Mais il convient d'admettre qu'Emmanuel Macron, dans l'ensemble, résiste plutôt bien à cette tentation de la vulgarité compte tenu des multiples circonstances où, sans maîtrise de soi et de son verbe, il aurait pu se laisser aller.

"Pathos ornemental" me semble plus délicat à appréhender dans la mesure où le président de la République non seulement ne fuit pas les opportunités d'une parole officielle, consensuelle, de célébration mais paraît au contraire les multiplier, n'hésitant pas, dans une sorte de salmigondis sans hiérarchisation et avec une même tonalité, à mêler, par exemple, l'hommage à Johnny Hallyday à la pompe orale de telle ou telle panthéonisation ou au lyrisme de la mémoire et du culte historiques.

Ainsi, pour les solennités au service desquelles son verbe se plaît à se soumettre, il est sans doute abusif d'incriminer en général un "pathos" puisque le registre douloureux, parfois tragique, émouvant, meurtri, compassionnel, évidemment humaniste de ces interventions - celle du 11 novembre était à ce titre exemplaire et pour une fois pas trop longue - le rendait si proche du "pathos" qu'il aurait été presque inconcevable, voire indécent qu'il ne s'y abandonnât pas.

Je suis persuadé que pour l'infime part qui dégraderait le pathétique authentique en pathos enflé, le président de la République saura être vigilant.

Mais, si je peux dépasser le cas présidentiel, je suis enclin à remercier Mona Ozouf pour l'avertissement qu'elle donne et la menace qu'elle signale. Pour ceux dont l'expression publique est le lot quotidien, je continue à penser que la trivialité doit être bannie même des dialogues les plus ouverts et décontractés qui soient. Notamment sur les plateaux médiatiques ou sur Twitter trop souvent un cloaque pour le fond ou/et pour la forme.

Surtout j'attache la plus grande importance à la dénonciation du "pathos ornemental". Je prends ce risque pour moi. Le goût de la belle langue, la dilection pour une parole forte, vraie et intense, à la fois chargée d'émotion et si possible d'intelligence peuvent en effet parfois frôler l'enflure, voire y tomber. Le drame est proche du mélodrame, le grave du pompeux, le solennel du ridicule. Chaque vertu orale est susceptible d'avoir sa rançon.

Rien de plus bienfaisant que d'être mis en garde, par l'entremise présidentielle même injustement critiquée, pour les virtualités négatives qui pourraient surgir de ma passion du verbe.


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