Des progrès mais peut mieux faire !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/01/2015
Que l'union nationale ait volé en éclats était prévisible car on n'imaginait pas que l'UMP, avec son président, puisse demeurer durablement coincée entre un FN critique et un pouvoir revigoré (Le Monde).
Ce qui est choquant en revanche est la dénonciation que Nicolas Sarkozy a cru devoir faire de la décapante et lucide observation du Premier ministre sur la situation dans certains quartiers : un apartheid territorial, social et ethnique. NKM avait la première engagé l'UMP sur cette critique purement politicienne et que le FN, par la voix de Florian Philippot, ait lui aussi fustigé cette description forte et infiniment réaliste laisse pantois.
Faut-il donc absolument détester ce que l'on a toujours pensé mais qui est exploité par l'adversaire ? On a suffisamment reproché à la gauche de ne jamais avoir le courage de nommer ce qui gangrenait le réel ici ou là et on irait intenter un procès à Manuel Valls parce qu'il a placé avec vigueur, sans fard ni fausse prudence, des mots sur ces zones de non droit, précisément parce qu'elles sont à la fois protégées et dégradées par les exceptions territoriale, sociale et ethnique qu'elles constituent. Pourquoi pas leur mise sous tutelle de l'Etat, comme Malek Boutih l'a avancé ?
Attaques d'autant plus injustes et spécieuses contre le Premier Ministre que ce dernier, avec son verbe clair et net, n'a fait que reprendre, de manière éclatante, ce que le maire d'Evry et le candidat à la primaire socialiste n'avaient cessé de mettre en évidence en affichant leurs craintes pour la République et son unité.
Manuel Valls n'a pas eu tort de répliquer à cette joute partisane, menée par une UMP impatiente d'en découdre parce que son président a des fourmis dans l'opposition, en regrettant ce manque de hauteur.
Est-ce à dire que le plan annoncé par le Premier ministre, qui augmente et renforce les moyens matériels et humains des forces de l'ordre, est parfait et que, pour l'école, le discours du président de la République représente véritablement le changement de cap espéré ?
Bien sûr que non. Mais, en même temps, compte tenu des limites et des contraintes d'aujourd'hui, du délitement quotidiennement constaté et de ce qu'exigeait la série terroriste récente, il me semble qu'en vertu d'une sorte de "fair play" démocratique, on doit donner acte au pouvoir que pour une fois il ne s'est pas contenté de nommer le mal mais qu'il a formulé des propositions pour entraver son développement à défaut de l'éradiquer.
Le président de la République ne peut pas être contesté quand, découvrant la faillite de l'autorité dans le milieu scolaire, il considère comme prioritaire la restauration de celle-ci avec ce qu'elle implique : que l'élève ne soit plus le maître et que tout manquement de sa part, et de ses parents, soit relevé et sanctionné (Le Parisien).
Reste qu'à nouveau la déception s'attache à l'hémiplégie régalienne du gouvernement qui consacre sa vigilance à la police mais se désintéresse de la justice en feignant de ne pas comprendre que, sans révision de la politique pénale, notamment sur le plan de la cohérence et de la sévérité des sanctions et de leur exécution, rien de décisif ni d'opératoire ne pourra vraiment être accompli.
Il est absurde d'imaginer que l'attelage formé par une police efficiente et une justice défaillante puisse donner autre chose qu'un résultat désastreux.
Comment qualifier autrement que de calamiteux, d'une offense grave au bon sens, ce décret "qui aligne le régime des réductions de peine des multirécidivistes sur celui des non-récidivistes" ? Ainsi nous avons un garde des Sceaux qui ne cesse de proclamer sa volonté de lutter contre la récidive - en désignant la prison comme principale coupable, ce qui est aberrant - mais délie les récidivistes de la charge d'avoir à subir une peine évidemment plus rigoureuse que celle appliquée aux primo-délinquants!
Alors même que les dix-sept assassinats du 7 au 9 janvier ont prouvé, une fois de plus, que les "apprentis djihadistes se recrutent d'abord chez les délinquants multirécidivistes" (Le Figaro). Comprenne qui pourra !
Pour montrer à quel point il ne suffit pas de prévoir des avancées que les événements récents justifient, mais aussi de les imposer à une idéologie qui les refuse, évoquons l'idée que Manuel Valls a formulée et qui se rapporterait au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à la création, à titre préventif, d'une unité de veille et d'information. Rien qui heurte le moindre principe !
Cependant, immédiatement, un éducateur et syndicaliste monte au créneau et se permet de persévérer dans un registre trop entendu : "On confond notre rôle et celui de la police. Aujourd'hui déjà, si on sent une dérive chez un môme, on fait une note au juge..."(Libération). Il est clair que la PJJ ne sera jamais satisfaite de ce qui préserve la société et qu'en généralisant, les ambitions pénales de Christiane Taubira sont aux antipodes du volontarisme sincère d'un Premier ministre que le citoyen se réjouit, après ces désastres mortels, de retrouver dans ces dispositions.
Un débat de bonne tenue, toutefois, doit continuer à envisager, comme possibilités symboliquement dégradantes, l'indignité nationale, la déchéance de nationalité pour les binationaux et peut-être, plus profondément, même si cela dépend du président de la République, une remise en question de nos orientations internationales comme le suggère François Fillon ( Le Monde).
Pour terminer sur une note moins sombre, peut-être de ce pragmatisme qui dans l'urgence - heureusement sans loi nouvelle - cherche à rendre plus redoutable et redouté notre combat contre le terrorisme, le pouvoir va-t-il induire l'obligation, pour lui, de réduire aussi la délinquance et la criminalité ordinaires qui augmentent, si j'ose dire, dans l'anonymat ?
L'arbre raffermi contre le terrorisme - le procureur de la République Molins a dit ce qu'il fallait en penser avec la sévérité requise dans les condamnations et leur exécution - pourra, je l'espère, être le premier d'une forêt hostile, avec la même constance et rigueur, aux crimes et aux délits du quotidien.
S'il faut évaluer la copie du pouvoir, je dirais : des progrès mais peut, doit mieux faire !