NKM a de la classe !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/06/2017
La politique est une occupation sérieuse, je sais, et venir la troubler par des appréciations subjectives est un scandale dû vraisemblablement à ma passion pour les tempéraments. Mais, au fond, je n'en suis pas gêné tant les programmes, se chevauchant et se brouillant les uns les autres, passent au second plan par rapport aux personnalités qui tiennent le haut du pavé.
C'est encore plus vrai avec le dépassement de la gauche et de la droite, voulu par le président de la République et concrétisé par le premier tour des élections législatives et le raz-de-marée de LREM. On sort du partisan pour s'engouffrer dans le macronisme.
A entendre ou lire certains, le pouvoir devrait presque s'excuser d'avoir le 18 juin une majorité absolue. La démocratie en a trop fait, trop donné. C'est comme ça. Il y a de pires handicaps !
L'extraordinaire taux d'abstention - plus de téléspectateurs devant "Les Bronzés" que pour les résultats électoraux : un indice de plus (L'Obs) - révèle aussi une lassitude tenant aussi bien à des frontières qui s'estompent et retiennent moins l'attention civique qu'aux joutes politico-médiatiques, parfois lassantes, de cette dernière année.
Je me sens donc fondé à introduire mes goûts, mes dégoûts, mes sympathies et mes regrets dans l'objectivité des débats et à instiller mes humeurs dans la froide comptabilité des pourcentages.
Comment dissimuler mon contentement, et mon sentiment qu'il y a une justice de l'élection, quand dans la 11è circonscription de Paris, Marielle de Sarnez devance de plus de vingt points un avocat candidat LR repêché en dernière minute par François Baroin -le premier a accueilli le second dans son cabinet - et dont tout m'a séparé ?
Comment, sans la comprendre, être étonné par l'explosion de Henri Guaino tant elle ressemblait à son personnage et à son tempérament ? (BFMTV)
Dans la 2è circonscription de Paris, il a été sèchement désavoué puisqu'il a obtenu moins de 5% et il ne l'a pas supporté, allant jusqu'à déclarer que l'électorat était "à vomir". C'est plus qu'être mauvais joueur mais se consoler par une arrogance méprisant ceux dont on avait sollicité les suffrages et qui n'ont pas su voter dans le seul sens qui vaille : le sien.
Henri Guaino - mais on n'accable pas un homme à terre et qui a décidé de se retirer ! - oublie tout de même qu'il avait bénéficié de la 3è circonscription des Yvelines, en or, imperdable, avec un électorat chic, mais il lui avait fallu un deuxième tour pour l'emporter.
Il fallait bien qu'un jour une personnalité politique craque et avec une liberté d'expression totale sorte de la dignité habituelle des défaites assumées pour invectiver le citoyen qui n'avait rien compris. J'étais persuadé que, si cette rupture se produisait, elle ne pourrait qu'être le fait de Henri Guaino. En même temps sûr de sa valeur et susceptible, trop sensible. Les blessures qu'on lui cause sont forcément imméritées. Le mélange a été détonant.
NKM, dans la même circonscription, se retrouve au second tour mais largement devancée par le candidat LREM. Celui-ci obtient plus de 41% quand elle se situe à 18%.
Vaillante, avec classe, elle assume la difficulté de la tâche et se garde bien d'insulter qui que ce soit. Alors qu'elle aurait le droit d'être plus amère que quiconque. Elle invite la droite et le centre à se rassembler derrière elle parce qu'à juste titre elle répugne à "une assemblée monocolore" (Le Parisien). Guaino et Lecoq, au lieu de bouder, feraient mieux d'avoir le sens des responsabilités et de lui apporter leur soutien.
NKM a et est une personnalité qui n'a jamais laissé personne indifférent. Elle m'a agacé plus d'une fois, notamment par son obsession anti-FN qui la faisait porter aux nues dans les médias.
Je sentais trop que son hostilité ressemblait à celle du seigneur à l'encontre du manant, de la distinction à l'encontre du vulgaire (voire du populaire) pour ne pas être embarrassé par la délicatesse, la réprobation aisée, l'éthique facile, que j'admirais moins qu'elles ne me semblaient condescendantes. On a les valeurs dont votre classe vous permet de jouir. Pour beaucoup, l'humanisme sophistiqué relève d'un luxe impossible.
Mais, à côté de cela, quelle intelligence, quelle liberté, quelle tenue, quel savoir-être politique et médiatique ! Qu'on se rappelle son comportement et sa finesse lors de la primaire ! On l'annonçait dépassée et à sa manière non tonitruante, avec un velouté qui savait se faire écouter, elle a continué à jouer sa petite musique singulière. NKM atypique, précieuse sans jamais tomber dans le ridicule, est obstinément restée dans le camp de la droite sans jamais mépriser l'opposition républicaine, en fuyant le péremptoire et la bêtise des excommunications. Une chanson douce et entêtante.
Et le scandale est que LREM a présenté contre cette candidate, si proche au moins par sa forme sinon par son fond d'Emmanuel Macron et de son aspiration au changement, un adversaire qui va peut-être la battre ! Cette attitude purement politicienne de la part du camp du président - inspirée par les ambitions parisiennes de Benjamin Griveaux et apparemment confortée par les manoeuvres de Rachida Dati - est d'autant plus incompréhensible que celui-ci a fait preuve d'une surprenante bienveillance à l'égard de certains dont la virulence contre lui a été remarquée. Bruno Le Maire, par exemple, se retrouve ministre et va être réélu parce que LREM, par bonté d'âme, lui a laissé toutes ses chances. Je pourrais en citer d'autres qui n'en reviennent pas de cette arbitraire sélection - et, sur le plan intellectuel, incohérente - qui les comble et les épargne. Il sera comique de les voir, après la victoire, s'engouffrer dans les fourgons du vainqueur !
Par bonté d'âme vraiment ? Le paradoxe tient peut-être au fait que LREM sera assurée, ce qui est humain, du soutien inconditionnel de ceux qui l'auront vilipendée avant et qu'elle aura sauvés, tandis que venant des modérés comme NKM, rien n'était spécialement à espérer puisqu'ils n'auraient rien eu à se faire pardonner.
C'est une grave injustice qui a été commise si on veut bien encore considérer que la rationalité et une forme d'équité ne doivent pas demeurer étrangères aux choix électoraux.
Je veux croire que des miracles se produisent.
Pour elle qui énonce cette évidence oubliée par quelques-uns : "Il faut donner sa chance à Emmanuel Macron mais si je dis oui à la main tendue, je dis non au garde-à-vous".
A elle on ne lui a pas tendu la main.
Il y en a tant dont la disparition de l'espace public n'affecterait personne et dont la voix manquante ne laisserait personne orphelin.
Mais, qu'on l'aime ou qu'on la déteste, NKM est nécessaire. Le climat d'aujourd'hui est profondément le sien.
Donc, contre tous les pronostics il faut la sauver !