Manuel Valls soit, mais lequel ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 31/03/2014
Au moment où je commence ce billet, le président de la République vient de s'exprimer. Discours lénifiant, noyant dans des généralités vagues et moralisatrices les attentes, les peurs et les exigences de la France populaire.
Matignon, contre la Constitution et les usages, a annoncé la démission du Premier ministre Ayrault et Manuel Valls est son successeur.
La déroute historique de la gauche de gouvernement aux élections municipales apparemment a accentué le processus de désorganisation, de décomposition d'un pouvoir dépassé par l'ampleur de la catastrophe et certain, en même temps, qu'un changement de politique économique et sociale serait suicidaire pour lui si peu de temps après avoir affiché une ligne clairement social-démocrate.
Contrairement à ce qu'on soutient, la défaite de dimanche a moins signé la révolte d'un peuple de gauche indigné voire désespéré par les deux premières années du quinquennat de François Hollande que l'éclatante remontée d'une part de la droite classique et la confirmation, d'autre part, de l'ancrage du FN dans le tissu municipal même s'il est symptomatique de relever que ses "vedettes" ont perdu tandis que les plus modestes, insérés et connus dans leur environnement, ont gagné.
Ce qui ressort donc de ces péripéties électorales au sens propre bouleversantes tient à l'affirmation d'une forte tendance libérale qui n'a rigoureusement rien à voir avec l'expression minoritaire d'une aspiration "à gauche toute".
Il y a au moins une logique profonde dans le choix de ce nouveau Premier ministre qui a développé vaillamment au PS et lors de la primaire un projet social-démocrate quasiment "blairiste", avant de coller à la mouvance présidentielle pour que ses ambitions, son opportunisme et ses sacrifices ne comptent pas pour rien.
Social-démocrate hier, Manuel Valls a été promu par un président de la République en concordance avec lui-même, puisqu'il a distingué, aujourd'hui, un compagnon de route intellectuel et pragmatique. Il y a là, il convient de l'admettre, une cohérence certaine. Le Premier ministre Valls va rejoindre le fougueux bretteur courageux et presque solitaire qu'il a été au PS.
Mais entre-temps il y a eu un ministre de l'Intérieur qui a échoué dans sa lutte contre l'insécurité et qui n'est pas parvenu, malgré ses coups de menton volontaristes et répétés, à apaiser les Français.
Il a parfois manifesté des dissensions tactiques mais en revenant vite dans le giron du consensus. Il a pointé les graves dangers du projet pénal de Christiane Taubira puis il s'est replié, évoquant même le beau couple qu'il formait avec la garde des Sceaux, dans une sorte de jeu de rôles destiné à faire croire que l'une était laxiste, l'autre ferme, alors qu'au fond c'était la même faillite : par agitation chez Valls, par inaction chez Taubira.
Il y a eu aussi l'hystérie Dieudonné où Valls s'est campé comme un sauveur dans une France qui n'était pourtant pas mise en péril par les délires intermittents d'un obsessionnel, comique en d'autres circonstances.
Il y a eu enfin les traitements inéquitables et scandaleux infligés par le ministre de l'Intérieur à des transgresseurs qui n'avaient que le tort de contester une réforme de société tandis que les délinquants ordinaires offensant vraiment l'ordre public n'étaient pas vraiment inquiétés et troublés par des politiques de sécurité et de justice jamais à la hauteur des défis du quotidien.
Alors quel Manuel Valls aura-t-on ?
Celui estimable ou celui discutable, celui cohérent et réaliste ou celui excité à proportion même de ses insuffisances ? Le Valls du PS ou le ministre englué dans les compromis et les audaces seulement verbales ? Le Valls réellement social-démocrate ou l'ambitieux obsédé par la conquête du pouvoir et se souciant comme d'une guigne des principes fondamentaux comme celui de la liberté d'expression ?
Un doute. François Hollande ne choisit-il pas Manuel Valls comme Mitterrand avait consacré Michel Rocard ?
Pour montrer les faiblesses de leur Premier ministre plus que pour faire connaître ses forces.