Un laxisme radical
Justice au singulier - philippe.bilger, 23/01/2013
On n'est pas en guerre civile et par conséquent on doit pouvoir discuter sereinement des préconisations d'un rapport que le député socialiste Dominique Raimbourg a remis à la Commission des lois de l'Assemblée nationale pour lutter contre la récidive et la surpopulation des prisons (Le Monde).
Ce parlementaire, évidemment de gauche, nous propose, sans forcer le trait, une vision de la justice exclusivement de gauche, sans tenir le moindre compte d'un certain nombre d'exigences qui n'ont que le tort de se rapporter à la défense de la société et à l'efficacité de la politique pénale. Je sais bien qu'en ces temps de mansuétude dogmatique, il est mal venu de rappeler ces impératifs et qu'il serait préférable pour être applaudi de tomber dans un manichéisme où le mal accompli et sanctionné mériterait plus de considération et d'attention que le bien victime ou désarmé.
Rien sur le fait que la surpopulation carcérale n'est de manière lancinante un problème que par rapport aux capacités actuelles de l'enfermement - construire 20 000 places de prison supplémentaires mettrait fin à l'indignité et favoriserait l'exécution des peines - et non pas au regard de ce qui serait théoriquement nécessaire pour gérer avec rigueur et cohérence les détentions provisoires comme les condamnations. L'important est de savoir qui doit être incarcéré en soi et non pas qui doit l'être seulement en se référant à l'état actuel du parc pénitentiaire. L'instauration possible d'un numerus clausus, à ce titre, serait une absurdité.
L'abolition des peines plancher est confirmée et force est de constater qu'elle s'inscrit dans un combat unilatéral où le seul souci est de rendre difficile, voire impossible la lutte contre la délinquance, qui impose l'enfermement, et pas toujours "en dernier recours", et de créer en revanche des dispositifs automatiques, mécaniques, obligatoires pour des libérations anticipées, pour des libérations conditionnelles - et ce, pour TOUS les condamnés dont la situation sera examinée à mi-peine - et pour ce qui viendra, encore plus qu'aujourd'hui, dégrader la fermeté judiciaire au profit d'un humanisme de principe dont la société fera les frais.
Pour qui connaît de l'intérieur les pratiques de la magistrature, comment oser formuler que pour les récidivistes, soit supprimée la révocation automatique du sursis alors qu'il y a trop d'exemples où précisément le ou les sursis demeurent comme des épées de Damoclès vides de sens puisqu'on n'en tient pas compte ?
Comment justifier qu'au bout de dix-huit ans, les condamnés à la perpétuité voient leur condition automatiquement évaluée ? Le pénitentiaire et sa cuisine s'étaient déjà arrogés le droit d'amender sensiblement les décrets de la légitime sévérité criminelle mais une telle disposition, si elle était acceptée, constituerait une prime décisive et un encouragement fort pour tous ceux qui guettent avec espoir les signes de faiblesse de la société et du pouvoir qui la représente.
En revanche, alors que la détention est encore provisoire, je ne suis pas hostile à l'obligation, au bout d'un mois, de vérifier son bien-fondé ou non.
La bonne foi du député Raimbourg, par ailleurs avocat, est totale mais, sans illusion - le réel ne convainc pas les humanistes doctrinaires, il les blesse au contraire -, je voudrais solliciter son intelligence sur deux points fondamentaux.
Si la prison n'est pas "le dernier recours" comme on pourrait souhaiter qu'elle le soit la plupart du temps, c'est précisément parce qu'en amont le système de l'exécution des peines est défaillant. Au lieu de le réparer, il va aggraver, avec son rapport, ses dysfonctionnements et son inefficacité.
Enfin, comment un esprit aussi fin et soucieux de ses concitoyens peut-il ainsi, sans frémir, proposer un ensemble de mesures qui, TOUTES, vont rendre notre démocratie moins sûre parce que moins armée ?
Les socialistes ont oublié l'art et le devoir de la synthèse au profit d'un laxisme radical.