Le fichage en débat au procès en appel de l’ex « Conti » Xavier Mathieu
Chroniques judiciaires - prdchroniques, 4/01/2012
Les "Conti", la crise, les licenciements, le fichage génétique, l'élection présidentielle et le statut des magistrats du parquet, tous ces sujets avaient rendez-vous, mercredi 4 janvier, devant la cour d'appel d'Amiens, qui jugeait le délégué CGT des ex-salariés de Continental, Xavier Mathieu, poursuivi pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement de ses empreintes génétiques, après sa condamnation pour dégradation de biens à la sous-préfecture de Compiègne.
Cela avait d'abord donné, au départ de la gare du Nord à Paris, un train rempli de militants et de quatre candidats à l'élection présidentielle, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Arthaud et Philippe Poutou, puis une manifestation devant le palais de justice. Le débat s'est poursuivi à l'audience, dans une atmosphère étonnamment apaisée.
Sans surprise, le représentant du ministère public, qui était à l'origine de l'appel contre la relaxe obtenue par Xavier Mathieu devant le tribunal de Compiègne, en mai 2011, a demandé la condamnation du dirigeant syndical à une peine d'amende "de 1 000 à 1 500 euros". Mais le substitut général, Eric Fouard, a tenu à répondre à la défense qui reprochait au parquet son "acharnement" et sa "soumission au pouvoir"dans cette affaire. "On est là dans la stricte application de la loi" qui prévoit l'inscription des personnes condamnées pour un certain nombre d'infractions au fichier national des empreintes génétiques et qui ne tient pas compte des "mobiles" de l'infraction – en l'occurrence, le combat syndical – a-t-il déclaré. Il a cependant ajouté : "Que cette question du mobile puisse se discuter, je le comprends, mais ce n'est pas à la justice de le faire", en renvoyant la responsabilité sur le législateur.
Avant lui, le président du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, cité comme témoin à la barre, avait dénoncé le "dévoiement" du fichage génétique. "On est passé d'un fichage restreint, ciblé, à un fichage fourre-tout. Le fichier national des empreintes génétiques a changé de nature. D'outil d'élucidation, il est devenu une sanction, une double peine", a-t-il observé, en rappelant que de 3 000 personnes concernées en 2002, on était passé à 1,7 million aujourd'hui. "Je ne connais qu'un seule affaire de dégradation où l'on a utilisé le fichier des empreintes génétiques, c'est celui du vol de scooter du fils d'une personnalité politique importante...",a ironisé Matthieu Bonduelle, en relevant la "disproportion" entre l'infraction et l'atteinte aux libertés que représente le fichage génétique.
C'est cette "disproportion" qui avait conduit les premiers juges à prononcer la relaxe de Xavier Mathieu. Dans son jugement, le tribunal d'Amiens soulignait en effet que les faits de dégradation volontaire qui avaient entraîné la condamnation du dirigeant syndical "avaient été commis en plein jour, dans le cadre d'une manifestation organisée, et s'inscrivent dans une logique parfaitement lisible de combat syndical et non dans une démarche à vocation purement délinquante et antisociale". Dès lors, poursuivait le jugement, "le recueil d'ADN du prévenu en vue de son identification et de sa recherche était inadéquat, non pertinent, inutile et excessif et il ne saurait être fait grief au prévenu de s'y refuser".
Après la plaidoirie de son avocate, Me Marie-Laure Dufresne-Castets, qui a demandé à la cour d'appel de conforter cette jurisprudence établie par le tribunal, Xavier Mathieu a pris la parole. "Moi, je ne vais pas parler juridique. Je vais parler honneur et dignité d'homme." La voix étranglée, il a rappelé l'annonce dans la presse de la fermeture de l'usine de Continental en 2009, l'émotion alors suscitée jusqu'au sommet de l'Etat par cette décision et la promesse qui avait été faite aux salariés de poursuivre les dirigeants de l'entreprise : "Nous, on a été jugés et condamnés pour avoir saccagé la sous-préfecture, mais l'Etat a oublié de poursuivre les dirigeants de Continental qui ont saccagé des vies."
Et puis, a-t-il ajouté, "j'ai un patrimoine génétique. Il m'a été donné par amour par mes parents, il a été transmis par amour à mes trois enfants et à mon petit-fils aujourd'hui. Jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par amour."
La décision de la cour d'appel sera rendue le vendredi 3 février.