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"La foi de nos ancêtres" en Bretagne et en Corse

Justice au singulier - philippe.bilger, 19/05/2013

Quelle belle démocratie que celle qui parvient à concilier les trésors de Tréguier avec la modernité, quoi qu’on pense d’elle et de ses avancées bonnes ou mauvaises ! Cette alliance, contre la propension à dénigrer et à craindre, fait du bien et rassure.

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La loi sur le mariage pour tous a été promulguée mais la France, apparemment, n’en est pas bouleversée. La manifestation du 26 mai sera à l’évidence plus un exutoire politique pour opposants au président et au pouvoir socialiste qu’un ultime combat pour tenter de défaire ce qui vient d’être scellé.

Nous sommes à Tréguier pour le Grand Pardon de la Saint-Yves et alors que souvent les répétitions sont décevantes, les moments d’aujourd’hui ont encore été plus forts, plus intenses et plus pénétrés que ceux de l’année dernière.

Dans la magnifique cathédrale où l’office a alterné le français et le breton, où des lectures ont été faites dans les deux langues, où les chants en l’honneur de Saint-Yves ont rassemblé croyants et incroyants qui d’une seule voix l’ont célébré en entonnant le breton comme s’il ne connaissait que lui sans répudier un seul instant le français qui prenait naturellement la relève, au cours de la longue procession qui a suivi sous la pluie, avec les bannières et les oriflammes religieux, la musique et hymnes toujours présents, j’ai bizarrement songé à la Corse.

Je suis fou de la Bretagne et j’adore la Corse. Mais pourquoi l’une a-t-elle des traditions, des singularités, une culture, des fêtes qui permettent à ceux qui ne sont pas Bretons d’aimer encore plus la France quand l’autre se sert de ses honorables particularités, de manière jalouse et presque hostile à la communauté nationale ?

Qui n’a pas éprouvé ce sentiment, sur l’île naturellement splendide qu’est la Corse, que ses chants, son mode de vie, ses rituels et son identité n’étaient destinés qu’à manifester une spécificité qui ne rêvait pas de se fondre dans un universel français mais au contraire cherchait à se constituer en autarcie, comme une frontière, un barrage, un refus ?

Pourtant, à Sartène, nous avons pu participer à un 15 août et à un Catenacciù admirables de piété et de partage mais à tort ou à raison j'incline à considérer qu'une telle attitude est exceptionnelle en Corse.

Je ne suis pas persuadé que les Français émerveillés qui y séjournent ne perçoivent pas cette impression d’avoir à s’approprier des richesses que les Corses profondément souhaiteraient garder pour eux, pour des motifs à la fois historiques, politiques, culturels et psychologiques.

Tréguier, c’est une allégresse absolument inverse. La certitude exaltée que cette identité régionale, cette foi, ces manifestations, cette cathédrale, ces chants bretons, cette ferveur, cet attachement puissant des Bretons à ce qui les structure, les comble de joie et de fierté le jour de la Saint-Yves n’ont rigoureusement rien qui exclut les étrangers à la Bretagne. Ils ont le droit de s’appuyer sur ce particulier émouvant pour aimer encore plus un pays dont il est un élément indissociable. Les Bretons, même s’ils ont dû il y a longtemps endurer les excès parfois graves du FLB et d’autonomistes plus que minoritaires, sont heureux de nous voir goûter et partager ces journées qui ne sont pas que les leurs mais aussi les nôtres.

La France est au bout de la Bretagne quand la Corse veut demeurer, même pour la multitude qui n’est pas indépendantiste, d'une certaine manière au bout de la Corse.

Quand à l’issue du défilé multiple encadrant et accompagnant le transport du chef de Saint-Yves, on se retrouve dans la cathédrale et que, moment inouï, on entend, joué par un bagad de binious et d’une bombarde, l’hymne « La foi de nos ancêtres », chanté par une foule accordée, même les cœurs les plus secs ne peuvent que s’attendrir.

Alors cette Bretagne et son histoire, ces Bretons, ces Français si chaleureux, ancrés dans le passé mais accordés avec le présent, sont évidemment compatibles avec cette France pas encore habituée au mariage pour tous. Elle s’y fera.

Quelle belle démocratie que celle qui parvient à concilier les trésors de Tréguier avec la modernité, quoi qu’on pense d’elle et de ses avancées bonnes ou mauvaises ! Cette alliance, contre la propension à dénigrer et à craindre, fait du bien et rassure.


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