Jair Bolsonaro, coup de tonnerre ou inéluctable conséquence ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/10/2018
J'en ai la nausée par avance.
On va voir repris au centuple tout ce qui a déjà été écrit avant son élection et le fait qu'il a été élu avec 55% des voix ne changera naturellement rien à la dénonciation générale du désastre qui surviendra forcément au Brésil à cause de lui.
Il est raciste, homophobe, misogyne, c'est vrai même si j'aurais aimé qu'on ne se contente pas trop souvent de ces qualificatifs odieux mais qu'on nous donne davantage d'exemples de ses dérives (Le Figaro).
Il est nostalgique des "années de plomb" et de la dictature militaire qui a sévi dans son pays de 1964 à 1985. Non seulement il ne le cache pas mais il voit dans cette période quasiment un modèle.
Il serait le "Trump tropical" ou pour d'autres il serait un "soudard" à mettre dans la même catégorie que Viktor Orban et Matteo Salvini (Le Point). Ce qui est absurde.
Malgré le constat que de plus en plus surgissent des leaders qui ne gouvernent plus sur le mode des arrière-pensées et des précautions de langage mais sur celui, démagogique ou non, d'adhésion aux pensées populaires et de parole sans fard.
Je ne doute pas que médiatiquement on aura droit à un certain moment à la comparaison avec Hitler et avec le fascisme. Après tout pourquoi pas puisque pour l'information politique plurielle et diverse, le vocabulaire pour l'appréhender est si pauvre ?
Donald Trump l'a félicité ainsi que quelques chefs d'Etat d'Amérique du Sud. Emmanuel Macron s'y est mis aussi mais en faisant la leçon. Le cercle pour l'instant restreint va s'élargir. Le réel fera loi.
Il a l'intention de combattre "le socialisme, le communisme et le populisme de gauche".
Même si je ne tire aucune conclusion décisive de son premier discours proclamant son respect de la Constitution, de la démocratie et de la liberté, il est évident que même sur une personnalité comme la sienne l'exercice du pouvoir pourra avoir heureusement des effets émollients.
Libéralisme effréné, pouvoir revendiqué comme prétorien dans une structure, il ne faut pas l'oublier, encore démocratique.
Bolsonaro a pour ambition principale de lutter contre l'insécurité et la corruption et c'est une immense entreprise qui l'attend, à supposer que lui-même soit aussi intègre et honnête que sa campagne obligatoirement singulière en a convaincu les Brésiliens. Fera-t-il de ce magnifique pays un Far West où tout pour le pire sera permis ou un Etat qui saura restaurer l'ordre et la moralité publique ? Je préfère laisser l'avenir ouvert.
Une fois que le portrait exclusivement à charge a été surabondamment établi - même l'attentat dont il a été victime et qui sans doute n'a pas été pour rien dans le succès de cet homme politique longtemps effacé et très peu actif dans la vie parlementaire, n'a appelé aucune compassion particulière -, reste que, douloureusement pour la plupart, le constat qu'il a été largement élu reste comme une blessure dont il faudra pourtant s'accommoder.
Jair Bolsonaro n'est à l'évidence pas un coup de tonnerre dans un ciel serein ou acceptable mais une inéluctable conséquence.
Je crains que comme toujours, face à ce qui est perçu comme insupportable, inadmissible, on accable les citoyens, on accuse le peuple.
Ce n'est pourtant pas la faute du peuple si la politique classique l'a dégoûté à force de corruption et de désordres. A force de bénéficier de la première et de ne pas savoir faire cesser les seconds.
Ce n'est pas la faute du peuple si au Brésil la promesse de restaurer l'ordre, l'intégrité et une organisation étatique digne de ce nom l'a convaincu. Parce que les politiciens traditionnels vertueux n'existent plus et que leur impuissance est à la hauteur de leur immoralité.
Ce n'est pas la faute du peuple brésilien si en dernière extrémité il en a été réduit à faire triompher un Bolsonaro dont les dérives de pensée et de langage comptent si peu par rapport aux engagements forts qu'il a pris.
Qu'on ne perçoive pas le surgissement de cet homme au Brésil comme unique, extra-ordinaire, impossible dans nos démocraties classiques alors que tout au contraire est possible.
Ce n'est pas la faute du peuple hongrois ou polonais s'ils plébiscitent une politique et des comportements à la fois autoritaires et démocratiques qui les changent du ronron lassant et stérile des incantations européennes et d'une impuissance presque célébrée en vertu .
Je sais bien que la main sur le coeur la France et son président tellement intelligent et si moral cherchent à répandre la bonne parole sans percevoir que notre nation est elle-même atteinte par ce poison redoutable : la méfiance à l'égard de la démocratie et de son incapacité à affronter les défis nationaux et internationaux.
Emmanuel Macron dénonce avec sincérité la menace du RN dont l'avancée risquera encore plus de surprendre aux élections européennes du mois de mai 2019.
Mais à qui la faute ?
Pas au peuple français en tout cas qui ne se satisfait pas que le régime démocratique soit virtuellement le plus exemplaire mais qu'en réalité il se caractérise essentiellement par un pluralisme auquel manquent de plus en plus le sens de l'autorité et la volonté de l'ordre. Et de leur effectivité.
Ce n'est pas la faute du peuple français si ostensiblement et sans plus rien craindre les uns se permettent tout ou si dans ses tréfonds, une majorité d'autres attend désespérément une démocratie, soit, mais vigoureuse et n'ayant pas peur en permanence de son ombre. Rien pour endiguer le vau-l'eau.
Ce n'est pas la faute du peuple français s'il se détourne des politiciens classiques, de leurs transgressions heureusement encore ponctuelles, et de leur impuissance et incurie structurelles.
Alors il y a certes le verbe humaniste mais il ne comble plus le vide de l'action et de l'efficacité.
Ce n'est définitivement pas la faute des peuples s'ils se détournent en désespoir de cause des démocraties pépères.
Le Brésil n'est pas si loin.