A quel prix remettre en ordre de marche la justice pénale des enfants ? (523)
Droits des enfants - jprosen, 26/02/2013
Le président de la République a annoncé d’ici la fin de l’année une loi qui « clarifie et simplifie les textes » applicables aux enfants délinquants. Pour nécessaire, cette démarche est bien évidemment insuffisante à faire face aux problèmes auxquels sont confrontés les nombreux professionnels mobilisés sur ce front. Il devient nécessaire après 10 ans de coups de butoir et d’interpellations, pour ne pas dire de dénigrement, de fixer un cap et de dégager les moyens de le tenir qui ne sont pas nécessairement économiques.
Adapter notre droit ?
Oui il faut moderniser encore l’ordonnance du 2 février 1945 après ses 80 toilettages plus ou moins profonds dont elle a bénéficié au fur et à mesure de son histoire. Des scories d’origine persistent encore comme le fait d’annoncer à un mineur qu’on l’admoneste ! Il se demande si on a franchi la Révolution. «Avertissement» serait mieux compris de la nouvelle génération.
Oui encore, il faut simplifier quand, depuis 15 ans, on n’a eu de cesse d’ajouter des couches et des couches de dispositifs sans même lire, et a fortiori laisser s’appliquer la réforme précédente. Au stage d’éducation civique on a ajouté les stages de citoyenneté sans qu’on mesure bien le distinguo. Plus sérieusement on introduit en 2002 les sanctions éducatives à partir de 10 ans censées s’intercaler entre les mesures éducatives et les peines. Le succès a été tel que dès 2008 la commission Varinard proposait d’en terminer avec ce triptyque.
Plus fondamentalement, on retiendra l’idée retenue d’amener plus systématiquement le juge à se prononcer rapidement sur la culpabilité et les dommages et intérêts éventuels dus à la victime pour laisser ensuite le temps aux éducateurs de prendre en charge le jeune avant de se prononcer sur la « sanction » : mesure éducative ou peine. D’ores et déjà la loi le permet et il n’est pas rare qu’on ajourne le prononcé de la décision de 6 mois pour voir comment le jeune évolue. Il a alors prise sur la décision en évoluant dans le bon sens et le juge dispose d’un vrai de levier sur le jeune, comme le parquet qui, une fois une peine de prison prononcée, a prise sur le jeune en retardant sa mise en œuvre ou désormais en acceptant des alternatives à l’incarcération.
Des améliorations juridiques sont donc possibles. On attend surtout l’abrogation des tribunaux correctionnels pour mineurs, chronophages et ne débouchant pas, comme l’avait espéré l’ancien gouvernement, sur des sanctions très différentes de celles prononcées par les tribunaux pour enfants. On attend encore la disparition du dispositif des peines-plancher qui, là encore, n’était rien d’autre qu’un coup de menton pour impressionner les jeunes.
Tout cela aurait pu être fait dès l’été, quitte à être accompagné de mesures positives comme nous étions nombreux à l’attendre afin de marquer qu’une nouvelle page se tournait. Les priorités étaient ailleurs.
Qu’à tout le moins, le temps désormais perdu soit mis à profit pour engager une réforme qui ait du souffle. Quand le droit pénal des enfants devait s’estomper sinon disparaître au nom de l’idée que les enfants d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, il faut au contraire affirmer la nécessité d’un droit et de procédure spécifiques pour les moins de 18 ans. Nos engagements internationaux et tout simplement l’histoire de l’action sociale et le bon sens plaident dan ce sens.
Aussi, quitte à s’attaquer à la loi, réinscrivons-la dans un contexte qui ait du sens. Au code de justice pénale des mineurs avancé par le gouvernement Fillon, nous préférons un code de l’enfance qui soit l’occasion de poser le statut de l’enfant en plein et en creux, en droit et en responsabilités. De tous bords des hommes politiques sont prêts à cette démarche (cf. l’appel que nous lancions voici trois ans avec Claude Goasguen, député UMP).
Des procédures,oui, mais un enfant !
Deuxième axe : il est essentiel que notre dispositif juridique et social prenne en compte que derrière des procédures pénales qui servent de fondement à l’intervention de la justice et qui nécessitent d’établir les faits et de prendre en compte les victimes, il y a de jeunes personnalités en carence éducative qu’il convient de prendre en charge.
Osons dire que la sanction y compris la privation de liberté peut s’imposer; elle participera de cette démarche, mais elle ne peut pas être une fin en soi. Un jeune vraiment délinquant – et ils sont peu nombreux dans ce cas – accumule les procédures parce qu’il est dans une séquence de vie où il est en rébellion contre son environnement, contre la société souvent contre lui-même, car il est généralement discrédité à ses propres yeux ; sa violence lui sert souvent de rempart à ses faiblesses et ses doutes. Il faudra souvent du temps – 4 ou 5 ans – pour remonter une pente descendue très tôt et, pendant la prise en charge, il y aura des soubresauts comme en matière de santé le médecin doit prendre en compte les crises sans lâcher prise sur l’essentiel.
Ici une question majeure est posée : comment s’assurer d’une cohérence dans les interventions et dans le suivi avec la multiplication des intervenants (nombreux substituts, juges des enfants, juges d’instruction, juges délégués à la liberté et à la détention, juges de l’application des peines etc.) quand, en plus, le Conseil constitutionnel (décision du 8 août 2011) accuse lui-même le juge des enfants qui a eu à connaître du jeune le temps de l’instruction d’être partial.
Trouver des hommes et des femmes faisant sens aux yeux des jeunes
Troisième idée ; c’est moins la reforme de la loi qui s’impose que de trouver les hommes et les femmes, et les instruments administratifs capables d’accompagner ces jeunes en conflit avec la loi le temps qu’ils rentrent dans le rang.
Et là, le bât blesse. Certes, la PJJ n’est pas encore coulée comme on le craignait dans les années 90 après les attaques frontales qu’elle avait du supporter ; elle a sauvé sa peau, mais elle est groggy debout. Elle ferait naufrage avance-t-on en première page du Monde.
En tout cas, nombre de ses personnels sont mal en point qui s’interrogent sur le sort d’une institution qui aurait perdu sa vocation éducative pour se rapprocher de l’administration pénitentiaire dont elle avait été séparée jadis(1) et sur le sens profond de leur investissement quotidien.
L’institution a été recentrée sur travail ingrat en faveur de 13-18 ans en pleine crise de délinquance ; elle a dû abandonner les enfants en danger qui sont pourtant la pépinière des enfants délinquants. On est presque revenu à l’avant 1958, quand il fallait qu’un jeune commette un délit pour être pris en charge(2). Elle n’a plus la satisfaction de pouvoir continuer à suivre comme un enfant en danger celui qui n’est plus délinquant grâce à elle. Elle ne peut quasiment plus s’occuper des jeunes majeurs qui, à 18 ans, n’en ont pourtant pas terminé et qui ont besoin d‘un service après vente.
Tout aussi grave au fil du temps on l’a inscrite dans des missions de flic social pour reprendre la terminologie des sociologues Donzelot et Meyer. Ainsi elle se voit régulièrement confier des contrôles judiciaires quand cette mission devrait relever de la police ; plus symbolique encore de la mutation, elle doit désormais placer des bracelets électroniques en alternative à l’incarcération. Il y a 20 ans, les travailleurs sociaux seraient descendus dans la rue si on leur avait imposé une telle mission d’ordre public.
Le travail social de milieu ouvert est discrédité au bénéfice de l’accompagnement éducatif en milieu carcéral ou semi-carcéral.
Non pas qu’il ne soit pas nécessaire que des travailleurs sociaux soient présents dans les lieux dans lesquels les jeunes sont retenus ; mais prendre en charge un jeune en délinquance est d’une autre nature que de le surveiller. Or ces dernières années la PJJ, malgré ce qu’elle avance, a mis le paquet sur les Centres éducatifs fermés (CEF) et autres CER qui lui coûtent une fortune. Quand on sait que ses moyens ont commencé à décroître en 2011, elle a du mal à pourvoir à tous les besoins.
Dans la crise que traverse la PJJ on peut mettre en cause la RGPP et ses rigueurs financières qui ont réduit les moyens de nombre de services(3). Pour fondée qu’elle soit, cette explication ne suffit pas. Les personnels éducatifs de la PJJ ont le sentiment que le sens profond leur travail n’est plus pris en compte.
Vouée initialement à être au service de la justice, l’Éducation surveillée de 1945 transformée en PJJ, est devenue le fer de lance d’une politique judiciaire de la ville dans laquelle les juridictions doivent fondamentalement répondre à des objectifs d’ordre public à court terme. Elle ne dote plus les juridictions des moyens qui lui sont nécessaires, les juridictions doivent se couler dans les moyens qu’elle met à leur disposition. En arrière fond se joue également une répartition des compétences entre État et collectivités locales : à l’Etat, l’ordre public, aux collectivités (conseils généraux et communes) l’action sociale
Le message de solidarité que leur a adressé leur ministre aux assises de la protection de l’enfance du Mans le 12 février est bienvenu, mais ne suffira pas. Il faudra plusieurs années pour revaloriser leur travail aux yeux de l’opinion quand, dans la dernière période on a douté qu’il soit utile. Il faudra aussi des mesures concrètes et surtout un autre souffle.
La perspective d’une bonne sanction jusqu’à mai 2012 suffisait de credo politique. Contrairement à ce que l’on a trop souvent avancé, l’ancien ministre de l’intérieur et ancien président de la République ne s’en est pas pris seulement aux juges des enfants, mais plus fondamentalement au travail social qui, pour lui, n’avait aucun intérêt. Il fallait punir purement et simplement. Mieux : la simple menace de la peine devait être de nature à dissuader ; à défaut on mettrait à l’écart.
Cette représentation peu valorisante du travail social explique nombre de dispositifs mis en place.
Peu importent les réalités comme celles restituées par le rapport Lecerf qui démontre que dans 75 % des cas un jeune suivi par la PJJ n’est pas délinquant une fois devenu majeur.
Le malaise des fonctionnaires de la PJJ est de longue date exacerbé par le fait que le secteur associatif assume, sur fonds publics, une grande partie de sa mission avec généralement une bonne image, quand les structures PJJ sont le plus souvent dévalorisées. Il faut dire qu’elles ont leur lot – plus important que dans le privé - de crises avec régulièrement des explosions internes ou des fermetures. Non pas tant du fait d’une moindre qualité des personnels que du mode de fonctionnement de ses structures : lourdeur de la gestion financière paralysant les initiatives, surtout mode de recrutement et de gestion des personnels rendant plus difficile la constitution d’équipes stables et harmonie avec un projet et un responsable.
Bref, de quel que côté où l’on se tourne, à la PJJ il y a de quoi avoir le blues ! Cette administration qui a su innover (les classes-relais, par exemple) est aujourd’hui à la ramasse ; elle court après ses heures de gloire. Elle a raté le coche des mesures de réparation, elle a fulminé contre l’entrée en prison, elle n’a pas été en pointe dans les démarches de contrainte éducatives (CER et CEF). Au point où on a pu l’appeler Mme No.
Dans la dernière période, sur 20 ans, elle était toujours en défense, souvent au nom de principes justes avec le souci de maintenir la spécificité d’une réponse en direction des jeunes délinquants, mais rarement innovante. Elle a couru après les évolutions. Encore aujourd’hui elle n’a pas compris qu’il lui faut intégrer la culture de gestion de l’urgence comme la médecine a su le faire sans désapprendre à engager des traitements de fond.
Ainsi il est choquant qu’il faille des semaines pour qu’une mesure éducative soit mis en oeuvre. L’objectif, présenté comme ambitieux, est d’ici quelques années de garantir qu’une mesure sera attribuée dans les 5 jours quand il faudrait qu’elle le soit le lendemain même ! On n’a pas à exiger plus de moyens mais d’abord s’organiser autrement en introduisant une évaluation des urgences.
Il ne suffira pas de passer la main dans le sens du poil en montrant publiquement aux travailleurs sociaux qu’ils sont performants même s’ils ne connaissent pas des succès. Il va falloir renouer avec une histoire riche et flamboyante.
Il est certes temps de prendre avec les professionnels de la justice (magistrats, éducateurs, avocats, psychiatres, etc.) les données du problème pour redéployer les moyens disponibles ; mais il faudra aussi demain aller rechercher des énergies éducatives dans la société civile, par exemple en restaurant les délégués bénévoles à la liberté surveillée d’antan, en appoint des professionnels. Il faut rechercher des familles d’accueil. Il faut veiller à ce que les travailleurs sociaux s’inscrivent dans la durée sur le suivi des jeunes très difficiles.
Mieux il faut remettre l’éducatif, donc la sanction est, je le rappelle, partie intégrante, au cœur de la mission donnée en levant certaines confusions. Par exemple un centre éducatif est d’abord éducatif avant d’être fermé ; la prison est avant un lieu où l’on s’assure de la présence des intéressés avant d’être éducative. Un placement est d’abord une mesure éducative et très subsidiairement une peine.
Le sénateur Jean-Pierre Michel, qui a reçu la mission de la ministre de la justice de réfléchir sur les perspectives à offrir à la PJJ, a du pain sur la planche. En tout cas, ceux qui pensent qu’il suffit d’une loi et d’un chèque pour relancer la justice des mineurs en seront pour leurs frais.
(1) M. Mercier, dernier garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, ne faisait pas mystère de son souci de refusionner les deux administrations.
(2) Jean Gabin jouant le rôle d’un juge des enfants dans « Chiens perdus sans collier » (1955) « Dis moi que tu as commis un délit et l’État assurera ton avenir ! »
(3) ASH du 22 février 2013