Karim Achoui, le dit et le sous-entendu
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 24/09/2013
Curieux procès, décidément, que celui de la tentative d'assassinat de Karim Achoui qui est jugé depuis mardi 17 septembre par la cour d'assises de Paris. Une sorte d'audience à deux voix, où ce qui est dit semble moins compter que ce qui est sous-entendu.
Ce sentiment a été particulièrement aigu, lundi 23 septembre, lors de la déposition de Karim Achoui. L'ex-avocat se tient à la barre avec aisance, rompu aux usages de l'audience. Ses mots sont aussi ajustés que son costume noir, ils ont ce qu'il faut de fermeté et de courtoisie, sa voix grave porte. Il raconte d'abord sobrement ce 22 juin 2007 où, sortant de son cabinet boulevard Raspail à Paris en compagnie d'une amie vers 22 heures, il repère sur le trottoir d'en face un homme "casqué, ganté, qui se tient droit". "Cette image me paraît relativement suspecte", dit-il.
Sa crainte augmente lorsqu'il voit cet homme avancer dans sa direction, s’approcher à moins de deux mètres de lui, glisser sa main dans le sac qu'il porte en bandoulière "pour en sortir quelque chose que j'ai immédiatement reconnu comme étant une arme à feu". "J'ai eu le sentiment que je ne pourrais jamais oublier ce regard, ces yeux grand ouverts'", raconte-t-il. Karim Achoui tente de s'enfuir en courant, deux balles l'atteignent. La première lui perfore le poumon, l'autre traverse son bassin de part en part. Le médecin qui l'a examiné dira plus tard à la barre que sa survie "relève du miracle".
Cinq années d'instruction ont passé et six hommes, aux casiers judiciaires pour la plupart très chargés, sont renvoyés devant la cour d'assises de Paris sous l'accusation de tentative de meurtre en bande organisée. Pour le juge et les enquêteurs chargés du dossier, la conclusion est formelle : l'ex-avocat a été victime d'un règlement de comptes du milieu.
Depuis le début, Karim Achoui soutient une autre thèse, celle d'un "complot policier" destiné à éliminer un avocat gênant au motif qu'il défendait des voyous. Devant la cour, il reprend, imperturbable, la liste des affaires qui l'ont opposé à la police – l'évasion spectaculaire du braqueur Antonio Ferrara, qui lui a valu une condamnation à sept ans de prison pour complicité lors d'un premier procès puis un acquittement en appel, la défense qu'il a un temps assurée du meurtrier d'une gardienne de la paix, la remise en liberté d'un membre du clan Hornec – et renouvelle ses accusations : "Tout cela me conduit à penser que certains services de police pourraient être liés à cet attentat".
Mis en cause nommément par l'ex-avocat et cité à la barre des témoins quelques jours plus tôt, le commissaire Stéphane Lapeyre avait donné à la cour sa propre explication à cette théorie du "complot policier". "Je pense que Karim Achoui connaît les commanditaires de sa tentative d'assassinat, qu'il connaît la vérité et qu'il n’a pas intérêt à ce qu'elle apparaisse. La réalité, c'est qu'il s'agit d'un complot de voyous pour des raisons de voyous", avait-il déclaré. Selon le commissaire, l'insistance de Karim Achoui à mettre en cause la police serait un "message adressé aux commanditaires. Une manière de leur dire, 'Je me tais, alors vous, ne recommencez pas'".
Ces phrases ont résonné étrangement lorsque la présidente Xavière Simeoni a demandé à l'ex-avocat ce qu'il pensait des charges retenues contre les six accusés.
- Reconnaissez-vous quelqu'un parmi eux ?, lui demande-t-elle.
Sans hésiter, comme il l'avait fait pendant l'enquête, Karim Achoui a désigné Ruddy Terranova comme étant celui qui lui avait tiré deux balles dans le corps.
- Je reconnais formellement Ruddy Terranova. Il a tenté de m'assassiner.
Exalté, hâbleur, converti à l'islam radical, Ruddy Terranova présente la caractéristique d'avoir été pendant quelques mois inscrit au fichier central des sources policières avant d'en être rayé pour "instabilité et versatilité chroniques". Une étiquette de "balance" qui pèse très lourd sur ses épaules face à ses co-accusés et qui, quel que soit le sort que lui réservera la cour d’assises, lui vaut déjà condamnation par le milieu.
- Et les autres ?, poursuit la présidente.
- Les autres, je prends acte de leur présence. On essaie avec eux de former une bande organisée. A la place qui est la mienne, je n'y crois pas trop.
Xavière Simeoni insiste. Elle cite le nom de Djamel Hakkar, l'un des trois accusés détenus qui, selon l'accusation, serait le commanditaire de la tentative d'assassinat de Karim Achoui. Issu d'une fratrie nombreuse, dont plusieurs ont des casiers judiciaires aussi chargés que le sien, Djamel Hakkar a déjà passé le tiers de sa vie en prison. De lui, l'ex-avocat pénaliste assure pourtant presque tout ignorer.
"Je n'ai eu avec lui que des contacts indirects, je n'ai jamais reçu de quelconque menace", dit-il. A-t-il entendu parler de son frère Hamid, s'enquiert la présidente ? "Je ne connais pas les liens de parenté", élude Karim Achoui.
L’ex-avocat se montre encore plus délicat et magnanime avec Jacques Haddad, l'homme à la silhouette imposante qui, depuis le début du procès, fait tout ce qu'il peut pour faire oublier ses onze condamnations et la crainte respectueuse qu'inspire son nom dans le milieu.
- Je l'ai vu une fois à mon cabinet. On le présente comme un membre du grand banditisme. C'est une plaisanterie, déclare solennellement Karim Achoui.
Assis juste derrière lui, Jacques Haddad accueille sans ciller le certificat de parfaite moralité que lui décerne publiquement celui-là même qu'il est accusé d'avoir voulu faire assassiner. Sur les bancs de la défense, les avocats répriment un sourire.