Le suicidé de l'Adour et le journaliste compassionnel
Justice au singulier - philippe.bilger, 11/12/2013
Franck Johannès a écrit un très beau récit sur un condamné qui s'est jeté dans l'Adour presque au terme de sa semi-liberté parce que, selon son avocat, son stage de comptable étant bientôt terminé, "il ne voyait pas comment trouver un boulot". Il avait eu un dernier entretien avec la juge de l'application des peines qui ne l'aurait pas bien accueilli et conseillé.
Le 2 septembre, il écrivait à son avocat : "Je suis en train de craquer". Le 22 il ne rentrait pas à la prison le soir comme il aurait dû et le 27 il se suicidait.
L'exceptionnel talent de ce journaliste donne à sa relation présentée sous le titre "Les derniers mots d'un condamné", une tonalité compassionnelle, crépusculaire mais subtilement unilatérale.
Climat confirmé par le reste de la page qui nous annonce "un suicide de détenu tous les trois jours" - 98 suicides en 2013 au 30 novembre - et la dénonciation de Gabriel Moesca, ancien président de l'Observatoire international des prisons (OIP) fustigeant, à la suite de la mort d'Olivier M, "un juge d'application des peines et un conseiller d'insertion (pas) à la hauteur de leur mission". L'enfermement, à cause du choc légitime qu'il crée et de la contrainte qu'il impose, pousse au paroxysme des fêlures et des troubles qui ne sont pas nés avec lui.
Aussi, le téléscopage opéré entre une tragédie intime, les difficultés sociales, la vie pénitentiaire et le comportement de tel ou telle magistrat est tout de même abusif et trop exclusivement à charge.
Cette fragilité psychologique qui l'a conduit à mourir dans l'Adour, alors que le processus dans lequel il avait été inséré et dont il avait rompu lui-même le cours par une sorte de désespoir anticipé n'avait révélé aucune faille apparente, ne s'est évidemment pas dévoilée après son crime mais existait forcément avant.
Olivier M, en effet, avait été condamné en 2003 à dix-huit ans de réclusion criminelle pour avoir tué sa petite amie alors qu'il était âgé de 19 ans. Il était libérable le 2 janvier 2015. Il ne faut pas oublier qu'après 12 ans de détention à Muret, il avait pu bénéficier à Bayonne d'un régime de semi-liberté avec ce stage de comptable dont la fin proche le préoccupait.
Ce qui devrait plutôt solliciter la réflexion tient moins aux institutions et à la prison qu'à la personnalité d'Olivier M qui, dans un parcours de normalité plutôt positif à son égard, a en effet "craqué" parce que le terreau sur lequel il s'était construit était déjà fortement altéré - son crime le démontre - et qu'il a perdu cette confiance élémentaire en l'avenir qui distingue les battants des vaincus.
Je ne discuterais pas le comportement du juge de l'application des peines puisque son attitude ne nous est connue que par l'avocat du condamné ayant fait des confidences à Franck Johannès et que je n'ai aucune raison de le présumer en quoi que ce soit maladroit ou dénué d'empathie.
Si l'on veut signifier qu'au-delà de ce drame, il est fondamental de remplacer la tentation et la pesanteur de la bureaucratie par la chaleur et l'écoute de l'humanité, je ne peux qu'approuver cette aspiration même s'il me paraît confortable et trop facile de tirer rétrospectivement du caractère forcément équivoque de certaines disparitions des enseignements trop précis.
Je défie quiconque, à la lecture de cet émouvant article, de ne pas ressentir de l'hostilité ou de l'acrimonie à l'encontre de tous ceux qui ont côtoyé, croisé et accompagné le futur suicidé de l'Adour et de la compassion pour lui seul dont la détresse nous est narrée comme si elle était fatale.
Olivier M et sa difficulté d'être brutalement dénouée me touchent.
Je suis ému par son avocat Me Oudin "pleurant comme un con, sur le trottoir" après qu'il a appris la nouvelle à Paris.
Mais je ne concède pas tout au grand journaliste déchirant et compassionnel qu'est Franck Johannès.