La droite de la gauche...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/12/2017
Laurent Wauquiez (LW) a été élu brillamment, au premier tour, président de LR. D'où une légitimité forte (Le Monde).
Il a été placé immédiatement sous surveillance par la frange juppéiste.
Xavier Bertrand, lui, n'a pas traîné et a annoncé qu'il quittait le parti parce qu'il était en désaccord notamment avec la vision de l'Europe de LW et le fait qu'après le premier tour de l'élection présidentielle LR n'ait pas appelé à voter clairement en faveur d'Emmanuel Macron.
LW a déclaré respecter son choix tout en jugeant qu'il n'était "pas acceptable de claquer la porte dans ces conditions". Soucieux du renouvellement des générations, il a ajouté qu'il ne regardait pas "dans le rétroviseur" (Huffington Post).
D'autres vont suivre, malgré sa victoire incontestable (ou à cause d'elle ?), en reprochant à LW la droitisation du discours avant de savoir si la pratique allait y correspondre totalement.
J'éprouve l'impression que derrière les griefs politiques on n'est pas loin de s'abandonner à des attaques personnelles - d'où un malaise - proches du "délit de sale gueule". C'est LW en tant que tel qui est vilipendé plus que son projet. Pourtant il occupe une place que personne n'a eu l'audace de lui disputer sauf les courageux et conséquents Florence Portelli et Maël de Calan.
Eric Woerth tente d'apaiser les tentations de fuite ou d'éloignement en recommandant de "jouer collectif", de mener le combat au sein de LR, et non pas à l'extérieur, et en rassurant les inquiets sur la totale étanchéité entre la droite et l'extrême droite.
Facile sans doute d'ironiser sur la "famille décomposée", cette "droite éclatée" que LW a voulu plus que tout autre prendre en charge, mais peut-être un peu court !
Parce que le président de la République ne sous-estime pas celui qui a proclamé que "la droite était de retour" et le perçoit comme un adversaire déterminé et à prendre au sérieux.
Parce que LW va s'entourer de personnalités n'ayant rien à envier à leurs aînés : je songe notamment à Guillaume Peltier et à Guillaume Larrivé. Et aura à compter avec Valérie Pécresse qui a son chemin mais ne s'est pas détournée de LR. Et Jean-François Copé y reste, lucide, vigilant et disponible.
Parce que dans les débats internes, les diverses tendances de la droite décidée à demeurer parce qu'accordée sur un noyau dur vont proposer, infléchir, amender, contredire et que cette richesse collective ne manquera pas, je l'espère, d'être exploitée.
J'entends bien que de la part de ceux qui sont animés par une force centrifuge, il y a la volonté de faire accroire que cette droite de LW ne sera plus la vraie droite mais dénaturée, impure, excessive et que les "fondamentaux" de cette dernière seraient transgressés. Mais lesquels ?
Serait-il absurde de s'efforcer déjà de partager la pertinence et la légitimité du pavillon, des concepts sous lesquels l'intelligence et la morale conservatrices ont à se développer ? Liberté, efficacité économique, identité, autorité, spiritualité, équité (je la préfère à la grisaille et au nivellement de l'égalité), unité, réalisme : des exigences dont il restera à décliner l'opératoire mais ce ne sera pas une tâche impossible pour une réflexion collective de bonne foi.
A une double condition.
C'est à la droite d'élaborer sa pensée, son programme, les avancées auxquelles elle aspire, sa vision sociale, son projet culturel : elle n'a pas à laisser la gauche lui imposer subtilement ou ostensiblement l'image que cette dernière voudrait avoir d'elle, lui dicter sa substance et son avenir. En la gangrenant surtout par une mauvaise conscience qui lui interdirait d'être elle-même. La droite largement entendue est majoritaire dans le pays mais ses bagages sont emplis de denrées de gauche alors même que celle-ci est politiquement défaite et à terre.
Il convient aussi de sortir de cet étau qui revient à culpabiliser la droite dès lors que naturellement, par exemple sur le plan de la sécurité, de la justice, de l'immigration, de l'éducation, de l'autorité de l'Etat, elle a des analyses et propose des solutions qui peu ou prou sont similaires à celles de l'extrême droite. Sur ces sujets il ne peut pas y avoir de gouffre entre LR et le FN et le premier doit à tout prix résister à une pression qui lui interdirait, pour certains thèmes, d'avoir une cohérence et une vision de droite au prétexte que l'extrême droite dirait comme lui que le soleil chauffe ou que la pluie mouille.
Il est probable que cette familiarité objective serait davantage admise et perçue comme normale si la droite avait une forme, un langage, une mesure qui, traitant des mêmes questions que le FN, les rendrait plus audibles et moins clivantes. Il n'est pas honteux d'avoir le même fond, parce que la réalité n'est pas équivoque dans ses leçons, si le discours pour le présenter n'excite ni n'exclut, est différent.
Cette approche n'infirme pas le refus de pactiser avec l'appareil officiel du FN à quelque moment ou période que ce soit pour corriger à ce sujet la maladresse de Virginie Calmels.
La droite n'a plus à se repentir d'être de droite. Si elle porte comme un fardeau le péché dont la gauche l'accable et ses similitudes inévitables avec le FN, elle perdra. Et ce n'est alors pas demain qu'elle offrira une authentique alternative à l'ambiguïté macronienne redoutablement habile.
Une droite de droite, pas la droite de la gauche !