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Chap. 8. Esclavagisme : La responsabilité de l’Etat français

Actualités du droit - Gilles Devers, 1/05/2015

En Guadeloupe, depuis 1635, l’ensemble des droits fondamentaux sont...

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En Guadeloupe, depuis 1635, l’ensemble des droits fondamentaux sont victimes de violations systématiques et de grande ampleur (I). Depuis le premier jour, l’Etat organise et protège ces faits (II).


I – Des violations des règles universelles et les plus anciennes du droit

A – Un déni des règles les plus établies du droit

Indépendamment de sa dimension conceptuelle, qui bafoue l’idée d’humanité à travers la revendication d’une race blanche supérieure , parfaitement revendiqué par Jules Ferry, l’esclavage se manifeste par des violences corporelles, des meurtres, des menaces de mort, des viols, des vols, des atteintes à l’intimité de la vie privée, faits qui ont toujours été des crimes selon le droit français (La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves, Les Annonces de la Seine, n° 45, 18 juillet 2013).

Le droit interne de l’époque n’accordait aucun statut à l’esclavage, et avait même rompu avec le servage. Le Pape, devant les ravages humains, avait par sa lettre Veritas ipsa, du 2 juin 1537, confirmé cette prohibition de l’esclavage qui considère des êtres humains comme des biens. Il n’y avait aucun doute sur l’illégalité criminelle de ces faits, et leurs auteurs en étaient parfaitement conscients. Cette illégalité, à grande échelle, était la base irremplaçable de l’économie colonialiste, et les colons esclavagistes ne cessaient de demander un statut légiféré à l’esclavage pour couvrir les crimes qu’ils commettaient, statut qu’ils ont obtenu en mars 1685, avec Le Code noir, après le rattachement à la Couronne en 1674.

B – Une légalité d’apparence

Les colons ont cherché à se donner une apparence de légalité, qui s’analyse en trois volets.

1/ Une administration locale fantoche

Les colons ont créé sur place une sorte d’administration factice, dont les figures centrales étaient le gouverneur et le « tribunal souverain de la Guadeloupe ». Mais le gouverneur n’était en fait que le chef des malfaiteurs, dénué de la moindre légalité. Quant au sinistre « tribunal souverain de la Guadeloupe », il a par ses arrêts de règlements, a fait régner la terreur dans la vie quotidienne, accordant aux colons un permis de tuer « les nègres », et a régi en toute tranquillité d’esprit les ventes d’esclaves.

2/ De pseudo documents de propriété

Les « gouverneurs », qui étaient les administrateurs de la Compagnie des Iles, ont profité des difficultés économiques de cette société pour vendre les iles à eux-mêmes, à titre personnel, par des ventes privées, passées chez un notaire à Paris. Or, ces terres relevant de l’inaliénable souveraineté du peuple Kalina ne pouvaient être vendues, et en toute hypothèse, la Compagnie des Iles pouvait vendre des biens qui ne lui appartenaient pas car elle les avait acquis par le moyen de crimes de masse.

3/ Un illusoire traité de paix

Alors que les Kalinas avaient été exterminés en Martinique et qu’ils étaient en passe de l’être en Guadeloupe, le gouverneur Houël a eu l’idée de concocter un soi-disant « traité de paix ». Ce document est signé à Basse-Terre, le 31 mars 1660, est dénué de toute valeur. C’est un acte de droit privé, alors que seul pouvait s’appliquer en Guadeloupe le droit Kalinago public. L’acte a été signé par des religieux agissant comme intermédiaires non mandatés, les Kalinas étant qualifiés de « sauvages », sans personnalité juridique. En toute hypothèse, l’alternative était pour les Kalinas soit une mort annoncée ou la relégation sur La Dominique, et le gouverneur Houël a utilisé ces dramatiques circonstances avec cynisme, pour donner une apparence légale à ses crimes.


II – Un système organisé et protégé par l’Etat français

A – La colonisation et l’esclavagisme

Pendant la première période, de 1626 à 1674, qui a été la plus sanglante, l’autorité publique a joué un rôle éminemment détestable. En effet, la royauté a laissé faire « le sale boulot » par des compagnies qui n’étaient en réalité que de milices de tueurs, autorisées par la royauté à se payer par le butin. La royauté a laissé ces milices procéder au génocide des Kalinas, à l’appropriation des terres, et à la mise en place de l’esclavagisme. La Royauté a également laissé passer les ventes de 1644/1645 pour ensuite réintégrer les iles de la Guadeloupe et de la Martinique dans le domaine de la Couronne, comme si ces ventes avaient pu purger les vices. Et par la suite, en toute tranquillité, la Révolution en 1790 a requalifié le domaine de la Couronne en domaine de la Nation.

Un vrai tour de passe-passe, laissant à la conquête et les massacres à des acteurs privés, alors qu’à tout moment la puissance publique pouvait reconnaître l’illégalité de la situation et en tirer les conséquences de droit. Ainsi lorsqu’en 1660, le tribunal local de Guadeloupe, défendant les colons assassins et voleurs, institue par un arrêt de règlement que les colons peuvent tuer les « nègres » sans que leur responsabilité pénale puisse être recherchée, les autorités publiques françaises sont parfaitement informées, et approuvaient par leur silence (La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves, Les Annonces de la Seine, n° 45, 18 juillet 2013).

B – L’abolition

Pendant la seconde phase, celle de l’abolition, l’Etat a joué une carte vicieuse… et tellement intéressée. Les abolitionnistes ont mis en avant de nobles discours, alors qu’il s’agissait de sauver un modèle économique en faillite, et d’écarter une insurrection des esclaves qui, elle, aurait été libératoire.

Pour Victor Schœlcher : « Les Nègres allaient prendre la liberté eux-mêmes si la métropole ne la leur donnait pas. Tout délai eut porté les Nègres à la révolte… Le gouvernement provisoire n’a pas été imprévoyant. Il s’est rendu compte de tout, il a agi avec un louable empressement, mais sans légèreté, et c’est pour sauver les maîtres qu’il a émancipé les esclaves ». Et il rassurait les anciens maîtres esclavagistes en expliquant que fait de l’appât de la rémunération, « les Nègres ne manqueront pas aux champs de canne ».

On entend en écho le Jules Ferry du 28 juillet 1885 que les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures, à savoir les civiliser. Le ministre des finances de 1848 a été encore plus trivial en expliquant que l’indemnisation ne répondait pas un principe juridique quelconque, mais juste à la nécessité d’apporter des liquidités pour relancer la domination blanche en Guadeloupe. L’Etat a agi dans son seul intérêt, et avec un mépris total pour les populations, validant la notion de valeur marchande des escales, son but étant la préservation du crime.

C – La pérennité de l’acquis colonial

Le plan de 1848 a parfaitement réussi car à ce jour encore la Guadeloupe reste structurée sur le modèle post-colonial, ce qui est toujours le principal obstacle au développement de la Guadeloupe. Depuis 170 ans, l’Etat a eu pour seul but de maintenir ce modèle économique, et ce régime indu de possession de la terre guadeloupéenne.

Parmi de multiples faits, cinq relevant des dernières décennies doivent être ici rappelés.

- Au cours des années 1950, devant les mouvements sociaux et l’accès à l’indépendance des anciennes colonies britanniques, l’Etat s’est dépêché de mettre de place des plans d’embauche dans les institutions et établissements publics français.

- La répression de mai 1967 est une tuerie, que l’Etat a caché en rendant les archives inaccessibles, espérant interdire tout action en justice des victimes.

- L’abolition du colonat a été gérée dans le seul but de sauver les grandes propriétés des anciens maîtres.

- La loi de 2001, loi dénuée de toute force juridique, est présentée et mise en scène comme une victoire morale de l’Etat français.

- L’ouverture du musée est une réponse illusoire au mouvement de réparation, et vise à la glorification d’une histoire qui ignore le crime français. 

L’attitude illégale de l’Etat est d’autant plus fautive que tout a toujours été fait pour organiser l’impunité des colons, et criminaliser la juste contestation. Ces violations, graves et systématiques du droit, sont toutes des infractions pénales, et relèvent de la qualification de crime contre l’humanité.

De telle sorte, l’Etat Français a donné le cadre de la colonisation esclavagiste, pour l’avoir reprise en gestion directe en 1674, après l’épuration ethnique, et pour avoir toujours  agi – en 1794, 1802 et 1848 – pour maintenir un ordre de domination, brisant les droits des esclaves et de leurs descendants. Ces illégalités fautives, au sens de l’article 1382 et des principes de la responsabilité publique, engagent la responsabilité car elles ont causé un préjudice considérable.

Un système inique que l’Etat a sauvegardé jusqu’à ce jour : la propriété foncière reste celles des héritiers des maîtres-esclavagistes, et les descendants d’esclaves restent locataires des terres cultivées depuis quatre siècles par leurs familles. Mais il reste une question qui peut faire écrouler ces siècles de violence et d’injustice, à savoir une question prioritaire de constitutionnalité à propos des textes de 1848/1849 qui organisaient l’indemnisation des criminels et plaçaient les victimes dans la plus grande précarité. Ces textes républicains qui indemnisaient les maîtres esclavagistes en fonction de la valeur marchande des esclaves. 

Question, donc: les textes de 1848/1849 respectent-ils les principes de dignité et d'égalité ?  

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