La lutte contre l'homophobie dans les stades : une diversion ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 31/08/2019
J'aurais tellement voulu écrire sur Yann Moix mais je me suis retenu. Il y aurait eu trop à dire et d'abord pour ce que je perçois comme un scandaleux "deux poids deux mesures" dans les domaines intellectuel, politique, médiatique et culturel ! Il y a des indulgences et des rigueurs. Je le constate. (Le Monde)
Le thème de mon billet n'est guère moins sulfureux puisqu'il s'agit de la lutte contre l'homophobie dans les stades et des suspensions absurdes que des arbitres ont décidées au cours de ces derniers jours à la suite de propos, de cris et/ ou de banderoles réellement ou prétendument homophobes. Ils ont commencé et cela va continuer de plus belle : par précaution on finira par interdire les rencontres avant qu'elles aient lieu !
Je veux rester sérieux parce que le sujet de fond est grave. A-t-on le droit d'être profondément hostile à l'homophobie et à certaines insultes dérivées tout en contestant la manière de s'en prendre à ce phénomène dans les stades ?
Quelques observations.
Etait-il de la plus extrême urgence pour la ministre des Sports d'ajouter à ses missions fondamentales cette préoccupation durable pour ce qui relève, qu'on le veuille ou non, d'une périphérie et, en plus, composée d'une minorité obtuse et imbécile contre laquelle rien ne pourra jamais rien ?
Etait-il de la plus extrême urgence de se mobiliser à l'encontre d'un univers sportif qui ne relève pas du folklore mais qui a le droit dans tous les cas, avant même l'homophobie et le racisme, de tomber dans des encouragements, des critiques, des exclamations que je n'ai jamais proférés mais qui ne me semblent pas choquants ? Nous ne sommes pas dans un salon de thé urbain et entre l'inadmissible et le velouté il y a de la marge !
Etait-il de la plus extrême urgence de se livrer, pour se donner bonne conscience, à des suspensions laissant la responsabilité aux arbitres qui par contagion vont en faire des tonnes au lieu de la prévoir en amont, de la confier durant le match aux joueurs, enfin en aval aux instances de contrôle et de protection ?
Etait-il impossible de prévoir au début de chaque compétition une annonce publique pour prévenir les risques racistes et homophobes, en avertissant des conséquences et aussi de saisir les banderoles litigieuses ou indélicates à l'entrée des stades ?
Etait-il inconcevable, comme cela s'est produit à plusieurs reprises, de compter sur les joueurs quand des propos ouvertement racistes, odieux leur étaient adressés ? Je me souviens d'une triste période où un joueur noir, manquant une passe ou un but, était traité de singe et mais applaudi à tout rompre quand il avait marqué !
Parce que comme toujours une mauvaise méthode de répression va au contraire multiplier les provocations et les transgressions et je gage qu'on aura demain des arrêts encore plus sots que pour des allusions à "la pédale" pour promouvoir un club cycliste.
Je relève également que plusieurs footballeurs, notamment de couleur, n'ont pas pris les derniers événements avec résignation mais en manifestant combien la stupidité méchante de quelques-uns ne devait pas préjudicier à une masse venue applaudir un match avec un comportement et des propos corrects.
Ces considérations ne sont pas centrales par rapport à celle-ci : le 5 septembre, la Ligue nationale de football va organiser une rencontre entre les associations de lutte contre l'homophobie et les associations de supporters. Enfin ! N'aurait-il pas fallu commencer par là au lieu de laisser les polémiques s'envenimer et le football être ciblé comme la malfaisance éthique prioritaire ? "Le casse-tête du football français" n'en aurait pas été un (Le Figaro). Assez français, dans tous les secteurs, que de tenter de faire advenir la solution en conséquence ultime et désespérée de la crise !
Cette manière de prétendre fustiger au nom d'une cause honorable mais qui a d'autres chats à fouetter et à vaincre, autrement graves et parfois tragiques, que ceux qui, dans ce champ somme toute restreint, explosent vulgairement en certaines circonstances. La médiatisation certes les diffuse mais ne va intéresser que les amoureux du football.
Que les associations militant contre tout ce qui se rapporte à un langage insultant se mobilisent à tout-va partout et sans hiérarchiser jamais, je le comprends. Il reste qu'il est totalement contre-productif de leur part de voir de l'homophobie là où elle renvoie, tristement mais seulement, à l'habitude déplorable, et difficile à éradiquer, de propos banalisés par le langage courant.
Je perçois parfaitement que chaque homosexuel peut se sentir offensé - ce qui n'est pas le cas de tous, d'autres discriminations les sollicitent - mais si cette lutte est menée de manière indistincte, non seulement elle échouera mais elle amplifiera le poison.
Parce que le pire est ailleurs, dans les actes, et que sur ce plan capital, on perd la partie. Au risque de choquer, cette lutte contre l'homophobie sportive est à mon sens une diversion parce qu'on fuit le front principal, qu'il est enfoncé par une gangrène active et brutale et qu'il est absurde de ne pas accepter une distinction fondamentale entre les mots et les actes, entre ce qui relève encore d'une liberté d'expression dévoyée dans les stades et de délits ou de crimes dans l'espace social et urbain.
Cette distinction est essentielle et j'ai lu avec plaisir Raoul Vaneigem, situationniste talentueux, revenu médiatiquement, auquel on doit cette analyse décisive, il y a déjà longtemps.
Qu'on ne me dise pas que cette "liberté dévoyée" de quelques-uns - à ne pas négliger mais à traiter autrement - est le socle infime à partir duquel la réalité transgressive va se développer : c'est établir un lien, une cohérence entre des citoyens radicalement différents ici de ceux qui vont frapper, blesser et tuer là.
Qu'on ne vienne pas non plus appréhender cette actualité avec l'humanisme bienséant de l'appel à l'éducation et à l'influence familiale. On ne peut pas se contenter de brasser du long terme et de faire croire qu'un jour l'acceptation de la différence sera tellement évidente, naturelle, intériorisée qu'elle ne se dégradera jamais en homophobie. C'est malheureusement faux, on le sait.
L'investissement contre l'homophobie sportive dans les stades et le football est légitime mais aujourd'hui il constitue une diversion. Il n'a pas à être prioritaire. Quand on perd sur l'essentiel, on dérive sur l'accessoire pour se faire pardonner.
Et le faire oublier.