Actions sur le document

Un radical doux, ça existe

Justice au singulier - philippe.bilger, 19/04/2013

Dorénavant, je lirais autrement les entretiens avec Ruwen Ogien et ce farfelu mais dur, cet humaniste mais révolutionnaire, ce tolérant absolutiste, restera dans un coin de ma tête. Ce si doux radical.

Lire l'article...

Le genre du portrait est un art difficile. Le modèle n'est jamais vraiment content : il se reconnaît sans se reconnaître et a tendance à juger inexacte, tendancieuse ou maligne l'interprétation de ses réponses au questionnement du journaliste. Sous la plume d'Anne Fulda, le Figaro a bien voulu m'en consacrer un.

Il est en revanche des portraits éclairants et pleins d'empathie qui vous font aimer une personnalité dont on ne raffolait pas. Dans Libération, Cécile Daumas a changé sensiblement mon point de vue sur Ruwen Ogien.

Pourtant, toutes les positions de ce philosophe tranquille, lunaire et extrémiste sur le plan social et politique me hérissaient l'esprit. Je ne suis pas devenu un partisan, encore moins un inconditionnel mais j'avoue que la découverte de ce radical doux, proposée avec finesse et bienveillance, me conduit à regarder différemment ses provocations sereinement assénées. Elles titillent, surprennent, irritent, stimulent.

Par certains côtés, je devine une familiarité forte entre lui et Raoul Vaneigem qui, pour la liberté d'expression, a adopté une approche similaire : tout peut être dit sauf ce qui conduit directement à des actes délictuels, ou bien sûr criminels.

Ruwen Owen résume sa vision d'une manière très simple : "Ne pas nuire aux autres, rien de plus". D'aucuns pourraient la qualifier de simpliste mais, pour ma part, une fois le saisissement passé, je suis obligé de m'avouer qu'il y a de la pépite et de la richesse dans cette règle, aussi concise qu'elle soit ; et qu'en tout cas, la réfuter n'est pas aussi aisé que son apparence pourrait le laisser présumer. Il y a des vertiges, des gouffres sous ces mots et leur brièveté.

Quand il énonce "qu'il n'y a pas de rapport entre la vertu privée et l'action politique juste", il émet malheureusement un constat même si je conçois l'acharnement de beaucoup de citoyens, dont je suis, à tout faire pour que le privé et le public, l'intime et le politique ne soient pas déconnectés.

Enfin, sa dénonciation ironique des moralisations vise d'autant plus sa cible qu'il sait bien que la morale personnelle et l'honnêteté individuelle comptent infiniment plus que toutes les tentatives pour redresser une classe politique si elle ne porte pas en elle, naturellement, l'exigence éthique et n'offre donc pas sa traduction quotidienne concrète.

Michel Sapin a rappelé récemment ces évidences. Il est tristement signifiant que de tels rappels à la morale de base non seulement ne soient pas oiseux ni vains mais soient imprégnés d'une forme de nécessité. Où vont un gouvernement et un pouvoir qui ont besoin d'une constante pédagogie sur ce plan ?

Dorénavant, je lirai autrement les entretiens avec Ruwen Ogien et ce farfelu mais dur, cet humaniste mais révolutionnaire, ce tolérant absolutiste, cet anarchiste aimable restera dans un coin de ma tête comme un homme de subversion utile.

Ce si doux radical.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...