L’offre anormalement basse à la croisée du droit de la concurrence et du droit des marchés publics
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Virginie Delannoy, 12/06/2013
Le moyen tiré du caractère anormalement bas de l’offre attributaire est sans doute l’un des plus difficiles à établir devant le juge du référé précontractuel. De fait, outre l’obstacle probatoire matériel (difficulté d’obtenir la communication du rapport d’analyse des offres puis de pouvoir l’exploiter efficacement par-delà les mentions protégées par le secret), son effet radical lorsque le moyen prospère conduit le juge, sur le fondement de l’article 55 du code des marchés publics à imposer des conditions strictes encadrant sa démonstration. L’arrêt du Conseil d’Etat du 29 mai 2013, Soc. Artéis (n° 366606) fournit l’occasion de faire le point sur le traitement par le juge de l’offre anormalement basse.
Conseil d’Etat du 29 mai 2013, Soc. Arteis (n° 366606)
En l’espèce, le juge du référé précontractuel de Versailles avait ordonné la suspension d’une procédure de mise en concurrence au motif qu’en attribuant ledit marché à l’opérateur ayant proposé une offre plus de moitié moins élevée que celle du requérant, le pouvoir adjudicateur avait commis nécessairement une erreur manifeste d’appréciation.
Saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat trouve là l’occasion de rappeler de manière didactique les règles encadrant le traitement des offres anormalement basses.
En premier lieu, le caractère anormalement bas de l’offre retenue par le pouvoir adjudicateur constitue un moyen susceptible d’être invoqué à l’appui d’un référé précontractuel. En effet, le fait de retenir une offre dont le caractère anormalement bas a été confirmé caractérise un manquement aux obligations de mise en concurrence auxquelles le pouvoir adjudicateur est soumis, en ce qu’il « porte atteinte à l’égalité entre les candidats ». Il en résulte que, en dépit du texte de l’article 55 du code des marchés publics qui n’impose pas d’obligation d’exclusion (« le pouvoir adjudicateur peut la rejeter »), le principe d’égalité des candidats nécessite d’écarter une telle offre et ce, « quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre ». Ainsi, la procédure d’attribution serait-elle une procédure adaptée – se caractérisant par une plus grande souplesse (possibilité pour le pouvoir adjudicateur, notamment, de ne pas éliminer d’office les offres non conformes) – que l’obligation d’éviction ne souffrirait pas plus d’exception.
Néanmoins et en deuxième lieu, le pouvoir adjudicateur ne peut écarter d’office l’offre sur la base de simples présomptions. Il lui appartient de procéder à un examen contradictoire de sa structure et des justifications apportées par le soumissionnaire. L’article 55 du CMP fournit, ainsi, une liste non exhaustive de justifications. Ce n’est qu’au vu de ces justifications que le pouvoir adjudicateur doit rejeter l’offre si elle ne présente pas le caractère d’une offre économiquement viable et, partant, si elle est de nature « à compromettre la bonne exécution du marché ».
En troisième lieu, si le contrôle du juge est un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation commise par le pouvoir adjudicateur (CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159, Rec. 65), il ne peut se satisfaire de ce qu’il existerait un écart de prix, même substantiel, entre l’offre retenue et l’offre du requérant pour caractériser l’offre anormalement basse. Le juge doit privilégier une appréciation intrinsèque de l’offre afin de se convaincre que son prix est « en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ».
En l’espèce, en se bornant à comparer le prix de l’attributaire et le prix de la requérante pour estimer qu’aucun des éléments apportés n’était de nature à justifier la différence entre les deux, le juge du référé précontractuel a commis une erreur de droit.
En conséquence, l’étalon retenu pour apprécier le caractère anormalement bas ou pas de l’offre n’est ni le prix proposé par les autres candidats ni – peut-on supposer – l’estimation du pouvoir adjudicateur (même s’ils peuvent servir d’indices pour déceler une offre anticoncurrentielle) mais les nécessités propres à l’exécution du marché.
Le Conseil d’Etat établit un lien très net entre l’offre qui n’est pas économiquement viable et le risque qu’elle fait peser sur l’exécution du marché, par-delà l’atteinte qu’elle porte à la concurrence. Un glissement s’opère donc entre la recevabilité du moyen en précontractuel – qui s’attache au caractère fondamentalement anticoncurrentiel de l’offre anormalement basse – et son examen au fond qui, faisant abstraction de son environnement concurrentiel, privilégie son impact potentiel sur l’exécution du marché.
En l’espèce, le juge du référé précontractuel de Versailles avait ordonné la suspension d’une procédure de mise en concurrence au motif qu’en attribuant ledit marché à l’opérateur ayant proposé une offre plus de moitié moins élevée que celle du requérant, le pouvoir adjudicateur avait commis nécessairement une erreur manifeste d’appréciation.
Saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat trouve là l’occasion de rappeler de manière didactique les règles encadrant le traitement des offres anormalement basses.
En premier lieu, le caractère anormalement bas de l’offre retenue par le pouvoir adjudicateur constitue un moyen susceptible d’être invoqué à l’appui d’un référé précontractuel. En effet, le fait de retenir une offre dont le caractère anormalement bas a été confirmé caractérise un manquement aux obligations de mise en concurrence auxquelles le pouvoir adjudicateur est soumis, en ce qu’il « porte atteinte à l’égalité entre les candidats ». Il en résulte que, en dépit du texte de l’article 55 du code des marchés publics qui n’impose pas d’obligation d’exclusion (« le pouvoir adjudicateur peut la rejeter »), le principe d’égalité des candidats nécessite d’écarter une telle offre et ce, « quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre ». Ainsi, la procédure d’attribution serait-elle une procédure adaptée – se caractérisant par une plus grande souplesse (possibilité pour le pouvoir adjudicateur, notamment, de ne pas éliminer d’office les offres non conformes) – que l’obligation d’éviction ne souffrirait pas plus d’exception.
Néanmoins et en deuxième lieu, le pouvoir adjudicateur ne peut écarter d’office l’offre sur la base de simples présomptions. Il lui appartient de procéder à un examen contradictoire de sa structure et des justifications apportées par le soumissionnaire. L’article 55 du CMP fournit, ainsi, une liste non exhaustive de justifications. Ce n’est qu’au vu de ces justifications que le pouvoir adjudicateur doit rejeter l’offre si elle ne présente pas le caractère d’une offre économiquement viable et, partant, si elle est de nature « à compromettre la bonne exécution du marché ».
En troisième lieu, si le contrôle du juge est un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation commise par le pouvoir adjudicateur (CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159, Rec. 65), il ne peut se satisfaire de ce qu’il existerait un écart de prix, même substantiel, entre l’offre retenue et l’offre du requérant pour caractériser l’offre anormalement basse. Le juge doit privilégier une appréciation intrinsèque de l’offre afin de se convaincre que son prix est « en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ».
En l’espèce, en se bornant à comparer le prix de l’attributaire et le prix de la requérante pour estimer qu’aucun des éléments apportés n’était de nature à justifier la différence entre les deux, le juge du référé précontractuel a commis une erreur de droit.
En conséquence, l’étalon retenu pour apprécier le caractère anormalement bas ou pas de l’offre n’est ni le prix proposé par les autres candidats ni – peut-on supposer – l’estimation du pouvoir adjudicateur (même s’ils peuvent servir d’indices pour déceler une offre anticoncurrentielle) mais les nécessités propres à l’exécution du marché.
Le Conseil d’Etat établit un lien très net entre l’offre qui n’est pas économiquement viable et le risque qu’elle fait peser sur l’exécution du marché, par-delà l’atteinte qu’elle porte à la concurrence. Un glissement s’opère donc entre la recevabilité du moyen en précontractuel – qui s’attache au caractère fondamentalement anticoncurrentiel de l’offre anormalement basse – et son examen au fond qui, faisant abstraction de son environnement concurrentiel, privilégie son impact potentiel sur l’exécution du marché.