« Je suis prêt à défendre Hitler… » N’importe quoi !
Actualités du droit - Gilles Devers, 17/08/2013
Le monde du spectacle a perdu jeudi l’un de ses grands artistes, qui font tant de bien dans notre monde aride : paix à son âme.
Mais aussitôt, a repris la danse, morbide et goulue, des petits lascars qui frétillent à l’idée de côtoyer les criminels : « il était prêt à défendre Hitler ». Comme un écho de la chanson de Barbara : « Si la photo est bo-onne, qu’on m’amène ce jeune ho-omme… ». Les sensations pour pas cher…
Désolé de casser le glamour picotant, mais les avocats ne défendent pas leurs clients ; ils défendent les droits de leurs clients. Ça change tout, et c’est une ligne infranchissable. Celui qui défend un client n’est plus son avocat, mais son pote.
Il n’y a rien de choquant à défendre une personne : ça commence dans la cour de l’école quand un gamin se fait choper par d’autres, et que sans plus réfléchir, tu viens faire le coup de poing. Après, ça continue, et c’est très bien. Je pense à tant de personnes que j’aime et j’apprécie, de la famille ou des amis, que je pourrais défendre en toute circonstance. Mais, même avocat, je ne serais plus leur avocat.
Alors « défendre Hitler » : non. C’est juste bon pour les nazis.
Pour devenir avocat, c’est-à-dire auxiliaire de justice, nous ne passons pas des examens d’amitié, de militantisme, ou de frère-la-gratouille. Nous étudions le droit, cette construction humaine si intelligente, texte et jurisprudence, règle de fond et procédure, et il faut un haut niveau de connaissance pour accéder à la profession.
Le diplôme est un mode d’accès, et chaque jour, il faut se remettre en question, se sentir humble et étudier. Au fil du temps, on parvient à s’extraire de la technique pour arriver à la pratique, sous le contrôle permanent – et tellement stimulant ! – des clients, des contradicteurs et des juges, puis à l’art du praticien. L’avocat ne cherche pas à gagner – ce n’est que le fruit, soumis à tant d’aléas – mais à convaincre, en soignant la qualité des racines. Tout le travail de l'avocat se fait dans cette tension entre les faits et la régle commune, en allant au plus loin dans l'analyse, l'interprétation et la conviction.
Le droit est un langage commun, qui a des bases intemporelles et universelles. Nous vivons ensemble en fonction de ce que nous ont légué notre histoire, notre société, notre famille, nos croyances… mais aussi par la vertu de règles communes, qui méritent une protection commune. Oublier le droit comme donnée centrale du procès, c’est massacrer la défense.
Il n’est pas compliqué de comprendre que lorsqu’un avocat plaide aux assises pour un client accusé de viol, sa compassion et son empathie vont vers la victime,… alors même qu’il se doit d’être le défenseur intraitable des droits de son client. Ce sont des piliers de notre civilisation : droit de la preuve, droits de la défense lors de la garde-à-vue, droit au silence, droit au respect des règles de procédure jusqu’à la nullité, droit au respect intangible des principes et même s’il faut pour cela écarter la loi, droit à la liberté de la plaidoirie pour aller au plus loin de la compréhension, par la force de la rhétorique.
Celui qui oublie le droit pour ne défendre que son client n’est plus avocat, mais juste un aboyeur. Sa plaidoirie n’est qu’un cri. Le raisonnement abdique, renonçant à la prise de distance qui, dans l’adversité, permet de faire entendre la force de l’argument, de refuser la brutalité morale ou sécuritaire.
Après, joue l’affect, la passion. Le cabinet d’un avocat se construit par les efforts de chaque instant, et on ne devient par hasard avocat dans telle ou telle affaire. L’avocat se met en situation d’être disponible. Et il n’est pas interdit à l’avocat de s’engager au service d’une cause, c’est même recommandé. Mais même dans ce cadre, il perdrait tout s’il oubliait qu’il n’est qu’un praticien du droit. Alors que la passion aveugle, le droit est pour l'avocat le meilleur terrain de l’éloquence.