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Loach et Lafferty : quelle équipe !

Justice au singulier - philippe.bilger, 1/07/2012

Loach et Lafferty sont modestement, sans se pousser du col comme nos créateurs français souvent au petit pied et d'autant plus contents d'eux-mêmes, des maîtres pour qui sait bien regarder et écouter ce qu'ils nous montrent, ce qu'ils nous disent : on se sort de tous les enfermements et le bonheur n'est pas impossible.

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Il y a de grands films, de bons films, des films passables, des films médiocres, de très mauvais films, des films dont la diffusion est une offense absolue au cinéma.
Et il y a les films de Ken Loach (KL).
Ce n'est pas parce que ce réalisateur d'extrême gauche est invité systématiquement au festival de Cannes, cette foire aux vanités, au corporatisme et à l'élitisme vulgaire, qu'il faut passer sous silence le fait que - j'ose le terme - il est génial.
Je viens de voir La part des anges et je craignais non pas le pire - avec KL on ne risque rien, pas plus qu'avec Woody Allen - mais peut-être une légère déception devant cette oeuvre présentée comme une comédie (Marianne 2).
De fait, elle en est une mais aussi par moments une tragédie, une autopsie sociale, une histoire de jeunes destinées qui pourraient, dans une inévitable dérive, sombrer, un chant d'espoir, une volonté forcenée, après la chute, de se relever, le jour, la nuit.
KL ne serait rien - il l'a dit lui-même - sans son habituel et formidable scénariste depuis des années, Paul Lafferty (PL). On n'a pas l'équivalent en France même si, ici ou là, à la télévision ou au cinéma, on porte aux nues trop rapidement, trop mécaniquement des talents auxquels il manquera toujours quelque chose pour atteindre cette excellence humaine, cette perfection inventive capable de rassembler, en 90 minutes, tout ce qui représente à la fois les misères, les faiblesses d'une vie mais aussi ses chances et, à force, ses lumières. Dans le brouillard, dans le désespoir, dans la quotidienneté la plus accablante, au moment même où le protagoniste s'effondre parce que la bande ne suffit plus, que la tentation d'un bonheur familial et classique est trop intense, lancinante mais inconcevable, parce que la réalité est trop dure et ses contraintes implacables, quelque chose se lève qui va permettre l'élan, le sursaut, le progrès.
Ce que j'aime passionnément dans les films de ce duo magique tient à ce que l'humanité n'y est jamais abordée exclusivement comme une défaite à venir mais surtout comme un combat où des valeurs, des principes, des règles, une morale infiniment simple parviennent à la longue à s'imposer. Aucune complaisance dans la description et l'analyse des fêlures et des détresses sociales, de l'inéluctable poids des lieux, des origines, du manque d'éducation. La part sombre est à fuir. La misère ne geint pas, elle se révolte comme elle peut.
Il ne suffit pas de souligner que KL et PL qui partage les mêmes opinions politiques que le cinéaste échappent, dans leur fiction nourrie de réalité, au didactisme de l'idéologie. Les rares films moins réussis par ce duo sont précisément ceux où le thème historique et donc naturellement politique rendait plus difficile pour lui la liberté de l'imagination et la soumission à la vérité plus qu'au partisan.
Le tour de force de PL, dans ses histoires, est en même temps de restituer avec justesse "des tranches d'existence" devant lesquelles le spectateur demeure saisi tant elles éclatent d'authenticité douloureuse ou drôle, émouvante ou cynique, abattue ou volontaire, mais de les imprégner d'une tonalité profondément de gauche avec des thèmes qui renvoient à ce qu'il y a d'universel dans la dénonciation d'un monde et d'un réel trop injustes.
La fraternité humaine, la solidarité, la certitude qu'il se trouvera, à tout coup, un bon samaritain, un homme généreux et attentif, une femme compréhensive, l'irruption, même dans l'univers le plus froid, le plus pauvre, de ces grands soleils du coeur, l'amour, l'amitié, l'acharnement à habiter un jour ces territoires qui paraissent inaccessibles, la détestation de cette misère qui humilie, le rire ou la rage pour armes, et toujours, toujours l'aurore au bout de la nuit.
Loach et Lafferty sont modestement, sans se pousser du col comme nos créateurs français souvent au petit pied et d'autant plus contents d'eux-mêmes, des maîtres pour qui sait bien regarder et écouter ce qu'ils nous montrent, ce qu'ils nous disent : on se sort de tous les enfermements et le bonheur n'est pas impossible.


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