Le Jouyet du président Hollande
Justice au singulier - philippe.bilger, 11/07/2012
Le président de la République lui a pardonné depuis longtemps.
Jean-Pierre Jouyet (JPJ) a été Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes sous la présidence de Nicolas Sarkozy, du 18 mai 2007 au 14 novembre 2008.
Sa nomination à la tête de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est annoncée et elle sera effective puisque les Commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat n'y trouvent rien à redire, que la commission de déontologie n'aura pas à s'en mêler et que, surtout, le président de la République y tient (nouvelobs.com, Le Monde).
Pourtant, cela grince au PS. Les députés socialistes n'ont pas oublié que JPJ a servi le prédécesseur. La tolérance n'est pas leur fort, pas plus d'ailleurs qu'elle ne serait celui de députés de droite confrontés à la même situation.
La contestation n'est pas mince puisque, par exemple, Pascal Cherki, député de Paris, raille : "Je n'ai aucun doute sur sa capacité à retourner sa veste" et que Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis, déplore "un message qui n'est pas d'une grande clarté dans une période où le pays en a besoin" (Le Parisien).
Je ne doute pas que François Hollande, aussi sûr qu'il soit de la validité de son désir, ne tient cependant pas pour rien cette fronde interne ; mais son argumentation est toute prête et modestement je vais tenter de la deviner.
Le fait que JPJ fasse partie de cette fameuse promotion Voltaire tellement mise aux responsabilités depuis le début du quinquennat n'est évidemment pas l'essentiel.
Pas plus d'ailleurs que de souligner, JPJ ayant travaillé sous l'autorité désordonnée du ministre Bernard Kouchner, l'ascèse méritoire qu'il a fallu au premier pour supporter le second.
Plus sérieusement, le président de la République se souvient qu'il n'a pas hésité à rompre toute relation avec son meilleur ami durant son activité de Secrétaire d'Etat et que celui-ci a donc déjà subi une sanction intime qui, pour n'être pas dans le registre politique, a dû être pourtant très vivement ressentie.
Il n'oublie pas non plus, certainement, que JPJ n'a jamais éprouvé "la moindre envie de faire de la politique" ni de "battre les estrades", que ce n'est pas "son truc" comme il l'a déclaré lui-même, pour "le technocrate" qu'il est.
JPJ ne s'est pas contenté de cette lucidité verbale mais il a démontré sa sincérité puisqu'il a refusé l'offre politique de Nicolas Sarkozy qui voulait le voir conduire une liste aux élections européennes. Sa nomination à la tête de l'Autorité des marchés financiers le 15 décembre 2008 concrétisait sa passion exclusive pour les mécanismes de la régulation et de la transparence financières. Comme ce retour de JPJ à son champ de compétence reconnu et incontesté a dû être rassurant pour François Hollande sur tous les plans!
F.Hollande élu, JPJ (revenu en grâce depuis ce mois de décembre 2008) commettait l'imprudence, parce que selon lui il avait été piégé, de révéler avant l'heure le nom du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ce qui l'a privé, paraît-il, de l'éminente fonction de Secrétaire général de l'Elysée.
Dans ces conditions, la volonté du président de le voir diriger la CDC, qui est un organe capital pour la mise en oeuvre du redressement industriel et financier, est tout à fait compréhensible et admissible.
Si on persiste à opposer à François Hollande les rigidités de l'idéologie et du sectarisme qui devraient gouverner le choix des hommes pour les hauts postes, bien plus que leur compétence, on risque de s'aventurer sur un terrain qui, je l'espère, n'est plus d'actualité. JPJ, à droite hier, c'était un "coup". Si demain la CDC accueille JPJ, ce sera logique et nécessaire.
Ce serait une grande avancée - j'excepte les trahisons à la Besson ou les sauvetages de socialistes esseulés - de voir un jour un président de droite intelligent accomplir la même démarche que celle de François Hollande : nommer quelqu'un qui aura un temps pactisé avec la gauche, non pas pour troubler le jeu politique mais pour distinguer le meilleur dans son domaine et ainsi pacifier la démocratie.