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Les politiques au coin !

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/02/2012

Les citoyens n'accepteront plus, je l'espère, qu'on leur jette un os moral et qu'il n'y ait plus rien, ensuite. L'éthique jetée dans le débat public par opportunité seulement puis la banalité habituelle, la dérive lente, progressive. Sinon, les politiques risqueront de demeurer longtemps au coin et alors, comme l'Histoire nous l'a enseigné, une pureté dangereuse aura peut-être ses redoutables chances.

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On ne peut pas promettre impunément, au début d'un quinquennat, un Etat irréprochable sans que son absence pèse lourd à l'issue du mandat. Le triomphe de la politique, en 2007, s'est dégradé en 2012 en une méfiance forte à l'égard des politiques et de la politique. Quel gâchis de constater que l'enthousiasme démocratique d'hier, au-delà des préférences partisanes, s'est délité en une grisaille républicaine où les citoyens n'admirent plus et estiment peu.

Un sondage réalisé par Ipsos et Logica Business Consulting pour l'association Lire la société et Le Monde dresse un tableau accablant de l'état de l'opinion aujourd'hui à l'égard des hommes politiques. Si 22% admettent que la plupart de ceux-ci respectent "les grandes règles de la morale", une majorité de Français est pour le moins réservée sur ce plan et "peu confiante dans l'éthique de ses élus". Les citoyens dénoncent surtout "la défense des intérêts privés plutôt que l'intérêt général" et "les promesses non tenues".

Même si j'ai conscience du risque de la démagogie qui pourrait venir affaiblir encore davantage une noble profession dans son principe et ceux qui la servent dignement, il convient tout de même de prendre la juste mesure de ce pessimisme. J'entends bien aussi qu'il y a traditionnellement, de la part de la société française, une sorte de suspicion, de mécontentement presque inévitablement attachée au pouvoir, à son exercice et à sa périphérie fidèle.

Reste que, si on quitte le champ des pratiques de l'Etat peu recommandables et des comportements d'élus incriminés judiciairement, directement relié à cette détestation citoyenne, la nature même du débat et du langage politiques est porteuse d'une transgression quasi permanente de l'honnêteté intellectuelle et de la complexité nécessaire. Ce n'est pas que les élus, les parlementaires, les ministres, au gré des alternances, doivent se sentir privés d'exprimer leur opinion, aussi tranchée soit-elle, mais "la langue de bois" commence - troisième hostilité, d'ailleurs, mentionnée par le sondage - quand, d'une part, en faisant preuve d'une absurde et dangereuse solidarité, on feint d'avaliser ce qui ne vous agrée pas et que, d'autre part, on élimine de son propos tout ce qui serait de nature à le rendre plus riche, plus convaincant. Pour garder ce manichéisme que notre système électoral semble imposer mais que l'intelligence devrait refuser.

Je ne suis pas naïf au point de rêver de discours et d'interventions sulpiciens à force de s'efforcer aux nuances mais cette obligation de mutilation de la pensée et d'assèchement du langage dans le monde politique, me paraît s'inscrire dans un mouvement qui accepte de gaîté d'esprit de faire fi de toute éthique intellectuelle. Socle et terreau pour toutes les autres, singulières et collectives.

Un phénomène est susceptible de rendre compte de cette dépréciation générale des élus. Alors que le mouvement est rarement ascendant de la périphérie vers le pouvoir et que ce dernier a souvent la chance de demeurer intact en dépit de la corruption et de la médiocrité des branches secondaires, je crains en revanche qu'il soit descendant et éclabousse sans discriminer quand le sommet est discuté et blâmé. Les politiques, alors, sont directement et partout, à tous les niveaux, quelles que soient leur compétence et leur intégrité personnelles, les victimes de la politique qui est menée et diffuse ses effets pervers sur l'ensemble des réputations.

Au cours de la campagne présidentielle maintenant si proche, je ne doute pas qu'à nouveau, à droite, au centre et à gauche, nous allons entendre des engagements moraux, vanter l'impartialité de l'Etat. Pour un candidat, en dépit de l'importance capitale du plan économique et financier, il est inconcevable de ne pas disposer, pour faire bien, de sa part d'éthique pour la proposer à ses concitoyens. Encore plus qu'en 2007, le désillusionné d'aujourd'hui aura besoin d'air pur, de santé républicaine, de nominations incontestables, de justice réellement laissée indépendante, d'exemplarité des élites, de démocratie authentique. D'une France qui, chaque matin, ne se réveillera pas avec une pierre dans sa chaussure, un grippage dans son fonctionnement, un scandale dans telle ou telle de ses institutions, d'une France chroniquement "patraque", la tête à l'envers.

Les citoyens n'accepteront plus, je l'espère, qu'on leur jette un os moral et qu'il n'y ait plus rien ensuite. L'éthique jetée dans le débat public par opportunité puis la banalité habituelle, la dérive lente, progressive. Sinon, les politiques risqueront de demeurer longtemps au coin et alors, comme l'Histoire nous l'a enseigné, une pureté dangereuse aura peut-être ses redoutables chances.

 

 


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