Vive l’Egypte !
Actualités du droit - Gilles Devers, 27/12/2012
Je ne sais rien de ce qui passe en Egypte, mais je salue la remarquable réussite politique du peuple égyptien, des Frères musulmans et de Morsi. Deux ans après la Révolution du 25 janvier 2011, le peuple est uni, une constitution est adoptée et s’annoncent des législatives. De partout des insatisfactions, mais le chemin parcouru est magnifique.
Je dis que je ne sais rien de ce qui se passe en Egypte, car je n’y ai pas mis les pieds depuis six mois, que là-bas on se rend vite compte à quel point on sait peu de choses, et comment tout évolue si vite.
Plongé dans la vie du Caire, rencontrant beaucoup de monde, et des plus divers, et passant des heures dans les rues, les souks, les restos et les cafés (dont l’éternel Fishawi du souk de Khan al-Khalil), j’avais juste compris qu’il faudrait des mois pour savoir ce qui se passe au Caire, et des années pour avoir une petite idée de ce qu’est ce grand pays. De loin, on voit des masses de personnes, affairées, pressés par un but qu’on ne parvient à imaginer. Et quand on s’approche, on voit de visages et des vies. Quand un ami peut faire l’intermédiaire, qu’on commence à échanger, on commence à entrer dans le concret, et alors on comprend juste qu’on ne sait rien de l’Egypte.
Chères amies, chers amis, allez faire un tour au Caire. Il y a de très bons vols directs par Egyptair depuis Roissy. Les hôtels sont bon marché, car les afficionados de l’ordre sous le soleil du temps de Moubarak, le grand ami de Sarko et d’Obama, sont partis chercher le dépaysement hype et pas cher ailleurs. Alors, prenez trois ou quatre jours, et allez vivre le monde de demain : bienvenue au Caire. Et ouvrez les yeux.
Ceci pour dire quoi ? Que le miasme entretenu tous les jours sur l’Egypte est insupportable, car il ne résulte que d’a priori, et de postures fondées sur les peurs de la société française.
Il y aura deux ans ce 25 janvier, c’était la Révolution. L’enfant chéri des US, d’Israël et de la France, était renversé. Une crapule authentique, qui avait tout vendu. Les mêmes US, Israël et la France n’ont ces temps-ci pas de mots assez durs contre El Assad. Ils atteindraient le seuil minimal de crédibilité s’ils n’avaient pas tant soutenu Moubarak et son allié Ben Ali. Qu’ils se la ferment relève de la salubrité.
Et ils parlent pour dire quoi ? Ils ne disent rien, ils préfèrent donner des leçons. Eternels professeurs de morale, les US et la France entonnent le couplet « C’est pas gentil, il faut unir, et pas diviser ». TF1 et Libé applaudissent, çà en dit long… Après avoir pleuré pour le printemps arabe, ils pleurent pour l'hiver arabe... Attention, un jour viendra l'été !
Regardons les faits.
35% de votants pour une réforme constitutionnelle, c’est un excellent score pour ce type de vote, et ce dans un pays miné par l’illettrisme et ravagé par la crise économique.
63% de votes favorables… C’est la division du pays… Ben voyons. On reparle du référendum de 1962 ? Ou du référendum sur l’Europe ? Nous n’avons plus d’analystes politiques, mais seulement des phraseurs incontinents et écervelés.
Ensuite ? La constitution est illégitime car elle fait référence à l’Islam ! Ces grands névrosés de la déesse laïcité intégrale pratiquent des séances d’onanisme collectif et bien heureux, mais c’est leur problème ! Grand bien leur fasse… Dans tous les pays du monde, l’Etat trouve des arrangements avec la religion. Obama dans quelques jours va prêter serment sur la Bible… En France c’est itou, avec des données religieuses omniprésentes dans la vie publique… mais il ne faut pas le dire !
Ah, mais voilà le blème. Je n’ai rien compris au film, car la constitution Egyptienne intègre les principes de l’Islam. C’est donc l’abomination absolue, m’expliquent BHL, Sœur Caroline de l’Esprit Coincé, Libé et Rance-Inter. Yes, babies… Sauf que cette référence à l’Islam figurait dans la constitution de Moubarak… et dans celle de Sadate… Et faire l’Egypte sans l’Islam, çà me semble un peu compliqué…
Bref, deux ans après la Révolution, malgré toutes les nuisances internationales, l’Egypte unie, vient de se doter d’une constitution démocratique. Le pouvoir judiciaire est préservé, et sait se faire entendre. Dans deux mois, viendront les législatives, le président Morsi transférera le pouvoir législatif à l’assemblée élue. Tout continue.
Le nouveau gouvernement doit faire face à deux urgences, qui ne ressort pas des fantasmes de l’islamisation, mais se jouent sur la vie quotidienne des Egyptiens : éradiquer la corruption et stabiliser l’économie. Ce sera très compliqué, car tant d’esprits tordus (et intéressés) rêvent d’une déstabilisation de l’Egypte.
Il y aura de l’incompréhension, des manifs, de la répression, des excès… Oui, et alors ?
Les médias d’ici rêvent d’une opposition qui leur ressemble. Pourquoi pas ? Mais que fait le sympathique et US-compatible El-Baradeï, à part des interviews ?
L’enjeu réel est évident, loin de ces jérémiades : combattre le grande misère, fruit des années Moubarak.
Venez au Caire, oui, venez au Caire. Ne craignez pas les circuits touristiques, car ils sont magnifiques. Mais prenez le temps d’en sortir. Ce n’est pas compliqué, il suffit de demander à un taxi. Partez avec un taxi le soir, après vingt heures, et posez-vous à la terrasse d’un des petits restos (après avoir commandé leurs inégalables grillades), par exemple dans le quartier des Pyramides.
Quand la nuit s’installe, vous allez voir de très nombreuses personnes se déplacer, partant en groupe. Ce sont les habitants des cimetières, qui partent s’installer pour la nuit. Le régime admiré de Moubarak a laissé une misère telle que deux millions de Cairotes, environ 10% de la population, dorment la nuit à l’abri des grandes tombes des cimetières.
Combattre la misère, relancer l’économie : ce sont les seuls vrais enjeux du gouvernement égyptien.