Calais : Gaz poivre contre les migrants…
Actualités du droit - Gilles Devers, 26/07/2017
Mais dans quel pays on vit… Jusqu’où va-t-on chuter, juridiquement et moralement… Depuis Calais, on recevait des témoignages récurrents sur l’usage de sprays au gaz poivre par les policiers sur des migrants, et en particulier des enfants. Ce gaz, toxique pour la santé, peut être utilisé dans des situations de crise dans la gestion de la violence, mais son usage systématique en dehors de toute répression de la violence, parfois sur des personnes qui dorment, et en atteignant volontairement le matériel et la nourriture, sont des faits d’une particulière gravité. Souvent de la Convention européenne des droits de l’homme, il s’agit de traitements inhumains et dégradants, sanctionnée par l’article trois.
La question posée est donc de savoir s’il y a un usage généralisé de ses sprays au gaz poivre, et donc un recours à des traitements inhumains et dégradants sur des personnes en grande vulnérabilité.
Vu la gravité de la situation, Human Rights Watch a pris le temps de procéder à une enquête approfondie, avec l’audition de 60 migrants, la moitié étant des mineurs, mais aussi les témoignages des travailleurs humanitaires et des médecins. Le résultat est la publication d’un rapport très documenté « C’est comme vivre en enfer », dont le recommande vivement la lecture. Ici, je reproduits des témoignages, et la réponse du préfet.
Témoignages des migrants
Nebay T., un Érythréen de 17 ans : « Les aspersions ont lieu presque chaque nuit. Les policiers s’approchent de nous pendant que nous dormons et nous aspergent de gaz. Ils le pulvérisent sur tout notre visage, dans nos yeux ».
Moti W., un jeune Oromo de 17 ans : « Ce matin, je dormais sous le pont. Les policiers sont arrivés. Ils nous ont aspergé le visage, les cheveux, les yeux, les vêtements, le sac de couchage, la nourriture. Il y avait beaucoup de gens endormis. La police a tout recouvert de gaz poivre ».
Abel G., un Erythréen de 16 ans : « S’ils vous attrapent quelque part dans la rue, ils vous aspergent de leur véhicule au moment où ils passent près de vous. Si vous êtes en train de dormir, ils se contentent de vous pointer leur bombe dessus ». Il décrit les effets : « Vous pleurez. Vous avez très chaud au visage. Votre gorge est contractée. Vous ne pouvez plus respirer. »
Mirwas A., un Afghan : « Ils n’ont pas dit un mot, ils nous ont juste aspergés ».
Saare Y., un Érythréen de 16 ans : « Hier soir, après le repas, les policiers sont venus. ‘‘Allez-vous-en, allez, allez’’, ils ont dit. L’un d’eux m’a attrapé. Il m’a tenu par le bras, et un autre agent de police est arrivé et m’a aspergé les yeux. Le gaz poivre est aussi entré dans mon nez ».
Birhan G., un Erythréen de 16 ans : « Il était environ minuit. Je suis venu chercher à manger. Les policiers étaient là. Ils ont dit au groupe : ‘‘Vous ne devez pas donner de nourriture’’. Nous avions faim. Nous avions soif. Mais les policiers ont commencé à nous asperger, alors nous nous sommes enfuis. Nous trébuchions tout en courant vers les bois, et les policiers se moquaient de nous ».
Meiga T., un Oromo de 16 ans : « Mon visage me brûle. J’ai l’impression d’être en feu ».
Demiksa N., Un Oromo de15 ans, a déclaré : « Après l’action du spray, vous êtes désorienté. C’est comme si vous ne saviez plus rien ; vous n’arrivez pas à réfléchir. Vous ne voyez plus rien, vous ne vous rappelez plus de rien. Vous avez le sentiment qu’il vaudrait peut-être mieux vous tuer ».
Biniam T., un Ethiopien de 17 ans : « Dès que les policiers nous trouvent sur la route ou dans une zone ouverte, ils nous aspergent. C’est normal pour nous. Ça fait partie de notre vie. S’ils nous trouvent quand nous dormons, ils pulvérisent du gaz sur nous puis ils prennent toutes nos affaires. Ils font ça tous les deux ou trois jours. Ils viennent et prennent nos couvertures ».
Jalil M., un Afghan : « Les policiers ont tout aspergé, nos couvertures, nos vêtements. »
Hassan E., un Ethiopien de 17 ans : « Il y a deux nuits, j’étais en train de dormir. Les policiers sont arrivés. Ils ont tout pris – toutes nos couvertures et nos sacs de couchage ».
Wako L., un Oromo de 15 ans : « Ce matin les policiers sont passés, donc je n’ai plus de sac de couchage. Les policiers l'ont pris. Ils l’ont aspergé de gaz ».
Negasu M., un Oromo de 14 ans : « Quand les policiers me trouvent, ils m’aspergent de gaz. Ils prennent ma couverture. Parfois ils prennent mes chaussures. Parfois ils prennent mes vêtements. […] J’essaie de ne jamais dormir au même endroit. »
Témoignages des humanitaires
Un humanitaire : « J’ai vu deux policiers en train d’asperger un garçon dans les yeux. Il a fait quelques pas avant de tomber par terre, sur les genoux. Les deux travailleurs humanitaires sont alors allés chercher un collyre dans le véhicule de distribution et les policiers les ont laissés soigner le garçon. Ensuite les policiers l’ont obligé à continuer son chemin, dès qu’il a pu marcher »,
Arthur Thomas, coordinateur pour la protection des enfants pour les organisations Refugee Youth Service et l’Auberge des Migrants : « Hier, j’ai vu un enfant qui m’a dit que les policiers l’avaient aspergé au visage. Il avait des problèmes aux yeux. Et un autre enfant, qui disait lui aussi qu’il avait été atteint au visage, a fait une réaction allergique au spray »,
Une travailleuse médicale : « Lors de nos visites aux sites de distribution de nourriture fin juin, nous avons vu des enfants avec des bandages sous les yeux ; lorsque nous leur en avons demandé la cause, ils nous ont raconté que des policiers leur avaient envoyé du gaz poivre au visage la nuit précédente ».
Réponse du préfet
Vincent Berton, le sous-préfet de Calais : « Ce sont des allégations, des déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits. Ce sont des calomnies. (…) La police est le corps administratif le plus contrôlé, et répond à des codes et des règles de déontologie très strictes ».
* * *
Donc, tout ceci est inventé, et il ne s’est rien passé. Nous sommes rassurés.