Droit de cités
Justice au singulier - philippe.bilger, 21/01/2013
Tout naturellement, les défaillances, voire l'impuissance de l'Etat, les carences de certaines gestions municipales, l'inaction de la police ou, pire, l'impossibilité de ses interventions ont conduit des citoyens plus responsables, plus déterminés que d'autres à prendre en main leur destin quotidien et à sauvegarder leur cadre de vie.
Ce qui est nouveau tient à la multiplication de ces démarches collectives qui constituent autant de condamnations des incuries en amont qu'une volonté positive de faire front et de répondre aux défis de cités gangrenées par des minorités dévoyées en aval.
Certes, l'essentiel de ces révoltes citoyennes se rapporte à la lutte contre les dealers qui pourrissent littéralement l'existence de la majorité des familles confrontées à ce fléau d'une délinquance tellement évidente, familière, banale qu'elle en deviendrait quasiment irrésistible, comme une anomalie à ce point intégrée qu'à la longue elle ne serait plus remarquée et détruirait l'environnement humain et matériel sans que quiconque songe même à esquisser le moindre geste de refus.
Mais, au-delà des rondes de nuit et d'une politique de présence destinée, de la part des habitants concernés, à opposer leur légitimité honnête à la domination désordonnée et dangereuse de mineurs et de jeunes gens laissés à l'abandon, ce sont les conditions même de la vie commune qui sont préservées ou réparées. Tout ce qui, hier, était accepté, la dégradation au jour le jour des immeubles, des ascenseurs et des espaces communs, la privatisation de ceux-ci au bénéfice d'une minorité assurée de son pouvoir et de sa capacité d'intimidation - tout est ressaisi, contre les bandes et le délitement, par des groupes qui en ont eu assez d'attendre une aide, une action ou la manifestation d'une solidarité.
Ainsi, des riverains se sont organisés et mobilisés dans la cité des Marguerites à Sevran, dans le quartier du Colombier à Bezons et au Valibout à Plaisir.
A Ris-Orangis, rue Henri-Sellier, des locataires exaspérés interpellent la municipalité, dénoncent des nuisances contre lesquelles personne ne fait rien et mettent en cause l'absence de la police. On leur répond que "le travail de police et de justice est en cours avec la préfecture, le commissaire et le parquet. Il y a déjà eu des interpellations" (Le Parisien).
On sait ce que cela veut dire. A l'écoute de telles explications, je devine le désabusement.
Que le civisme conduise à se substituer - sans tomber dans des abus qui seraient immédiatement dénoncés par ceux-là même qui remplissent si mal leur mission face aux fauteurs de troubles - aux autorités incompétentes ou indifférentes semble de prime abord une conquête et un sursaut qu'il convient de saluer. Ces citoyens n'ont plus le choix.
Pour qu'ils ne soient plus tenus d'administrer, de contrôler et de prévenir à la place des services leur offrant de "bonnes paroles" mais guère de concret, encore faudrait-il que ceux-ci soient profondément conscients de ces quotidiennetés gâchées et de la nécessité, devant les inévitables conflits qu'une lutte acharnée contre les dealers et les saccageurs ne manquerait pas de susciter, de ne pas se tromper de coupables : ce ne sont pas les victimes ni les forces de l'ordre, mais les créateurs de désordre, les délinquants, les trafiquants.
Ce droit de cités n'a pour ambition à la fois modeste mais si indispensable en de tels lieux et pour tant d'honnêtes gens que de rendre la vie de tous un peu plus "vivable".
Ce pourrait être l'objectif de la politique.
Des citoyens ont décidé d'en faire leur cause. Une démocratie du ras-le-bol, de l'impatience et de l'empirisme.