Christine Angot et la vie des autres
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 26/03/2013
Finalement, il y a beaucoup de choses dans cette toute petite affaire. Du mondain et de l'humain. Du dérisoire et du grave. De la vie et du droit. L'une s'appelle Elise Bidoit, l'autre Christine Angot. La première vit dans un HLM, la seconde écrit des romans. Le même homme, Clovis Charly, est le père de quatre des cinq enfants de la première et le compagnon de la seconde.
Lundi 25 mars, l'une et l'autre se sont retrouvées devant la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris, où Elise Bidoit poursuivait Christine Angot et son éditeur, Flammarion, pour atteinte à sa vie privée dans le roman Les Petits.
L'écrivain est restée assise, silencieuse, dans les rangs du public. La mère s'est avancée à la barre.
- Je voudrais que l'on comprenne ma blessure et ma souffrance. L'enjeu de ce livre, ce sont les petits. Et les petits, ce sont mes enfants..
C'est la deuxième fois qu'Elise Bidoit reconnaît sa vie dans un roman de Christine Angot. En 2008, après la parution du Marché des amants (Seuil), elle avait assigné l'écrivain avant de retirer sa plainte moyennant une indemnisation de 10.000 euros. Avec la publication trois ans plus tard des Petits, elle s'est sentie "traquée".
- J'ai essayé de mettre fin à mes jours. Je ne comprends pas pourquoi elle s'acharne sur moi. Ça fait mal, très mal."
Son avocat, Me William Bourdon, se lève. Il va plaider pour "la cloche, l’inconnue qui a l'outrecuidance de traîner la reine Christine devant les juges". Cosette contre Saint-Germain-des-Prés. "Ce qui caractérise ce livre, c'est la toute puissance et le mépris absolu pour Elise Bidoit. Le droit à la protection de la vie privée serait-il proportionnel à la notoriété?" lance Me Bourdon. Il sait bien qu'on va lui opposer Stendhal, Flaubert, et le droit de l’écrivain à aller chercher "des fragments dans la vie des autres".
Mais dans le roman Les Petits, l’avocat voit "le braconnage organisé, le pillage massif de la vie privée », « la mutualisation dans des conditions malsaines, perverses, de confidences qui ont migré d'une chambre à coucher à une autre". Et "en récidive" qui plus est.
"Avez-vous connaissance d'un écrivain qui, pour la deuxième fois, porte le glaive dans la vie et dans la chair de quelqu'un qui ne demande rien?" demande Me Bourdon. "L'écrivain, ce n'est pas l'irresponsabilité juridique. La liberté doit céder devant la méchanceté et la malveillance", conclut l'avocat qui demande 200.000 euros de préjudice pour sa cliente.
La parole est au boulevard Saint-Germain. Me Christophe Bigot pour Flammarion, Me Georges Kiejman pour Christine Angot. Tout à l’heure, Elise Bidoit a confié que si elle a changé d’avocat, c’est parce que la précédente "avait peur de Me Kiejman". Le vieux lion avait souri de l’hommage mais il en est bien encombré à l’heure de plaider. Il retient sa cruauté, lime ses griffes et puise sa meilleure défense dans la jurisprudence. Celle qui a donné raison à l'écrivain Camille Laurens ou au réalisateur Arnaud Depleschin, accusés eux-aussi d’atteinte à la vie privée. Les juges, souligne Me Kiejman, ont toujours fait prévaloir le droit à l'autofiction. Surtout, relève-t-il, "il n'y a d'atteinte que si la personne peut être identifiée avec certitude par le lecteur".
La cruauté n'était pas loin, elle revient. Parmi les lecteurs de Christine Angot, lance Me Kiejman, qui pouvait reconnaître Elise Bidoit dans l’Hélène des Petits ? Sa voisine de palier, sa poignée d’amies ? Il brandit alors la copie d’un entretien accordé par la plaignante au Nouvel Observateur, peu après la sortie du roman. "Il y a sa photo, elle pose chez elle. Alors, soyons sérieux! Si l'on souffre d'une identification, doit-on faire en sorte de la rendre possible à tous?"
Jugement le 27 mai.
___________
Sur la violation de la vie privée, on peut relire le procès qui avait opposé Patrick Poivre d'Arvor à l'une des ses anciennes compagnes. Et le jugement de condamnation rendu par le tribunal dans cette affaire.