Vers un durcissement du régime de la prise d’acte ?
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch et Gratiane Kressmann, 9/12/2013
Par un arrêt du 9 octobre 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation exclut expressement du champ des griefs susceptibles d'être invoqués au soutien d'une prise d'acte ceux dont le salarié a eu connaissance après la rupture quand bien même ils sont contemporains de l'exécution de son contrat.
La démission n’est pas le seul mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.
Celui-ci, s’il considère que son employeur a commis des manquements graves à ses obligations contractuelles, peut en effet prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Cette prise d’acte, qui est une création jurisprudentielle (Cassation sociale 25 juin 2003 n° pourvoi 01-43.578 et 01-42.335) produit ses effets en deux temps :
• Elle entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, sans rétractation possible. Ne constituant à ce stade ni un licenciement, ni une démission, l’employeur doit faire figurer sur l’attestation pôle emploi qu’il est tenu de délivrer à son salarié, la mention « autre motif » en précisant éventuellement qu’il s’agit d’une prise d’acte.
• Elle donne ensuite naissance à un contentieux à l’initiative du salarié qui est en effet tenu de saisir le Conseil de Prud’hommes s’il veut voir sa prise d’acte requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse afin d’obtenir le paiement d’indemnités relative à cette rupture et de pouvoir solliciter, le cas échéant, en fonction de sa situation, le bénéfice de l’assurance chômage.
Cette procédure est donc risquée pour le salarié qui prend l’initiative de quitter son employeur sans indemnité, ni droit aux allocations chômage, en laissant ensuite le soin aux tribunaux de qualifier sa décision de licenciement aux torts de l’employeur ou de démission.
Les délais de procédure particulièrement longs en matière prud’homales font qu’une réponse définitive, après épuisement des voies de recours, n’est donnée au salarié et à son employeur que plusieurs années après la rupture.
Il faut néanmoins noter qu’une proposition de loi, enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale le 26 juin 2013, prévoit justement, pour ne pas faire subir aux salariés de tels délais, que l’affaire serait portée directement devant le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes, qui serait tenu de statuer dans le mois suivant sa saisine (proposition de loi relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié, enregistrée le 26 juin 2013).
En pratique, et en l’état actuel du droit, sauf dans des hypothèses où le salarié n’a réellement d’autres choix que de prendre ce risque eu égard à la gravité des manquements de son employeur pouvant mettre en cause son intégrité ou sa sécurité, ce mode de rupture est assez souvent mis en œuvre par des salariés qui, sans grande inquiétude sur leur capacité à retrouver un emploi (ou l’ayant même déjà retrouvé), mais n’ayant pas quitté leur employeur dans les meilleurs termes possibles, sont tentés de le faire condamner, même plusieurs années plus tard, à des dommages et intérêts.
Quel que soit toutefois le contexte autour de la prise d’acte, les juges du fond sont tenus d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, peu important que la véritable motivation de la rupture soit, par exemple, la création d’une entreprise intervenue un mois après celle-ci (Cassation sociale 17 février 2010, 08-42.490, Bull V, n°45).
En d’autres termes, une prise d’acte que l’on pourrait qualifier de manière un peu provocatrice de prise d’acte « de confort » car notifiée à une date à laquelle le salarié sait qu’un autre projet professionnel l’attend, ne délivre toutefois pas le juge de son obligation d’examiner si les griefs invoqués par le salarié sont ou non justifiés.
Ces griefs ne doivent pas nécessairement figurer dans la lettre de prise d’acte ; le salarié est en droit d’invoquer d’autres faits dont il n’avait pas fait état au moment de la rupture.
Contrairement à la lettre de licenciement, l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les termes du litige.
Cette solution se justifie par le fait qu’aucun formalisme n’est aujourd’hui imposé à la prise d’acte, qui peut être formulée verbalement : le choix par le salarié d’un écrit ne doit donc pas jouer en sa défaveur.
Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt récent du 9 octobre 2013 (pourvoi n°11-24.457 publié au Bulletin), ces principes avaient été rappelés par un salarié auteur d’un pourvoi, qui avait vu sa prise d’acte requalifiée en démission (la prise d’acte avait été notifiée en 2008, soit 5 ans plus tôt, ce qui illustre parfaitement ce que nous rappelions à propos des délais de procédure… !).
Les juges du fond, en vertu de leur appréciation souveraine, avaient écarté plusieurs manquements insusceptibles à eux seuls de constituer des griefs suffisamment graves rendant impossible la poursuite de la relation de travail (notamment paiement tardif du salaire, absence de compensation d’heures supplémentaires contestée par l’employeur) ou retenu les propres carences du salarié averti deux fois.
Le salarié faisait grief à la Cour d’appel d’avoir étudié isolément chacun des manquements et de ne pas avoir cherché à apprécier si, dans leur ensemble, ils faisaient ou non obstacle à la poursuite du contrat.
La Cour de Cassation a rejeté l’argument en relevant qu’en vertu de leur appréciation souveraine, les juges du fond avaient retenu qu’un seul manquement était établi et qu’il n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier la prise d’acte.
Mais surtout, la Cour d’appel avait refusé de prendre en considération un grief très sérieux d’atteinte à la vie privée (le salarié avait fait l’objet d’une filature par un détective privé mandaté par son employeur « pour contrôler son emploi du temps en dehors du travail ») « puisque le salarié n’avait eu connaissance de cette surveillance que postérieurement à la lettre du 27 août 2008 qui avait eu pour effet de mettre fin au contrat de travail ».
Ici, le manquement invoqué est bien antérieur à la prise d’acte : un détective avait incontestablement enquêté sur la vie privée du salarié avant que ce dernier ne prenne acte de la rupture de son contrat.
L’on comprend néanmoins de l’arrêt que le salarié concerné n’avait pas invoqué ce grief dans sa lettre de notification de prise d’acte et pour cause, puisqu’il n’avait appris l’existence de cette filature que postérieurement à la rupture.
Il nous semble que la Cour de Cassation fait ici preuve d’une certaine sévérité et porte atteinte au principe bien arrêté jusqu’à alors selon lequel la lettre de prise d’acte ne cristallise pas le litige, à la différence de la lettre de licenciement.
Certes, l’on peut comprendre la Cour de Cassation en estimant qu’au moment de prendre sa décision, le salarié ne pouvait se fonder que sur des griefs dont il avait connaissance et que c’est à ce moment et à ce moment seul, que doit s’apprécier la portée de son acte.
L’on peut aussi admettre que seule compte la gravité du fait intervenu antérieurement à la prise d’acte et qu’il est loisible au salarié, qui en apprend l’existence après, de s’en prévaloir dans le cadre de la procédure contentieuse qu’il va initier pour établir les manquements de son employeur, tous les manquements, y compris ceux portés à sa connaissance après qu’il ait informé son employeur de la prise d’acte.
Mais si, en tout état de cause, la Cour peut retenir ici que le salarié n’a eu connaissance de ce grief que postérieurement à la prise d’acte, et refuser de lui permettre de s’en prévaloir, c’ est uniquement parce que la prise d’acte s’est faite par écrit et que le salarié a énoncé la liste de ses griefs, ce qu’il n’était pas tenu de faire.
Le choix du salarié en faveur d’un écrit (qui certes facilite la preuve), mais surtout d’un écrit détaillant les griefs, joue ici à son détriment.
Il n’est pas exclu que, si le salarié avait fait preuve de moins de formalisme, les juges n’auraient pas été en mesure d’établir ce point et auraient retenu la filature attentatoire à sa vie privée.
Cette jurisprudence augure donc probablement d’un durcissement du régime de la prise d’acte que l’on retrouve d’ailleurs dans une proposition de loi, antérieure à celle précitée, déposée le 12 décembre 2012, en vue de donner un cadre légal à la prise d’acte (proposition de loi (code du travail
Cette proposition, si elle reprend un certain nombre de règles issues de la jurisprudence, durcit tout de même le régime prétorien en imposant notamment :
• Que la prise d’acte se fasse obligatoirement par écrit ;
• Que les motifs de la prise d’acte soient exposés dans un document écrit ;
• Que la charge de la preuve pèse uniquement sur le salarié.
Elle fait par ailleurs référence à la possibilité pour l’employeur de prendre lui-même acte de la rupture du contrat, ce qui est prohibé aujourd’hui par la jurisprudence.
Nous vous tiendrons informés du sort réservé à cette initiative parlementaire.
Celui-ci, s’il considère que son employeur a commis des manquements graves à ses obligations contractuelles, peut en effet prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Cette prise d’acte, qui est une création jurisprudentielle (Cassation sociale 25 juin 2003 n° pourvoi 01-43.578 et 01-42.335) produit ses effets en deux temps :
• Elle entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, sans rétractation possible. Ne constituant à ce stade ni un licenciement, ni une démission, l’employeur doit faire figurer sur l’attestation pôle emploi qu’il est tenu de délivrer à son salarié, la mention « autre motif » en précisant éventuellement qu’il s’agit d’une prise d’acte.
• Elle donne ensuite naissance à un contentieux à l’initiative du salarié qui est en effet tenu de saisir le Conseil de Prud’hommes s’il veut voir sa prise d’acte requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse afin d’obtenir le paiement d’indemnités relative à cette rupture et de pouvoir solliciter, le cas échéant, en fonction de sa situation, le bénéfice de l’assurance chômage.
Cette procédure est donc risquée pour le salarié qui prend l’initiative de quitter son employeur sans indemnité, ni droit aux allocations chômage, en laissant ensuite le soin aux tribunaux de qualifier sa décision de licenciement aux torts de l’employeur ou de démission.
Les délais de procédure particulièrement longs en matière prud’homales font qu’une réponse définitive, après épuisement des voies de recours, n’est donnée au salarié et à son employeur que plusieurs années après la rupture.
Il faut néanmoins noter qu’une proposition de loi, enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale le 26 juin 2013, prévoit justement, pour ne pas faire subir aux salariés de tels délais, que l’affaire serait portée directement devant le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes, qui serait tenu de statuer dans le mois suivant sa saisine (proposition de loi relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié, enregistrée le 26 juin 2013).
En pratique, et en l’état actuel du droit, sauf dans des hypothèses où le salarié n’a réellement d’autres choix que de prendre ce risque eu égard à la gravité des manquements de son employeur pouvant mettre en cause son intégrité ou sa sécurité, ce mode de rupture est assez souvent mis en œuvre par des salariés qui, sans grande inquiétude sur leur capacité à retrouver un emploi (ou l’ayant même déjà retrouvé), mais n’ayant pas quitté leur employeur dans les meilleurs termes possibles, sont tentés de le faire condamner, même plusieurs années plus tard, à des dommages et intérêts.
Quel que soit toutefois le contexte autour de la prise d’acte, les juges du fond sont tenus d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, peu important que la véritable motivation de la rupture soit, par exemple, la création d’une entreprise intervenue un mois après celle-ci (Cassation sociale 17 février 2010, 08-42.490, Bull V, n°45).
En d’autres termes, une prise d’acte que l’on pourrait qualifier de manière un peu provocatrice de prise d’acte « de confort » car notifiée à une date à laquelle le salarié sait qu’un autre projet professionnel l’attend, ne délivre toutefois pas le juge de son obligation d’examiner si les griefs invoqués par le salarié sont ou non justifiés.
Ces griefs ne doivent pas nécessairement figurer dans la lettre de prise d’acte ; le salarié est en droit d’invoquer d’autres faits dont il n’avait pas fait état au moment de la rupture.
Contrairement à la lettre de licenciement, l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les termes du litige.
Cette solution se justifie par le fait qu’aucun formalisme n’est aujourd’hui imposé à la prise d’acte, qui peut être formulée verbalement : le choix par le salarié d’un écrit ne doit donc pas jouer en sa défaveur.
Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt récent du 9 octobre 2013 (pourvoi n°11-24.457 publié au Bulletin), ces principes avaient été rappelés par un salarié auteur d’un pourvoi, qui avait vu sa prise d’acte requalifiée en démission (la prise d’acte avait été notifiée en 2008, soit 5 ans plus tôt, ce qui illustre parfaitement ce que nous rappelions à propos des délais de procédure… !).
Les juges du fond, en vertu de leur appréciation souveraine, avaient écarté plusieurs manquements insusceptibles à eux seuls de constituer des griefs suffisamment graves rendant impossible la poursuite de la relation de travail (notamment paiement tardif du salaire, absence de compensation d’heures supplémentaires contestée par l’employeur) ou retenu les propres carences du salarié averti deux fois.
Le salarié faisait grief à la Cour d’appel d’avoir étudié isolément chacun des manquements et de ne pas avoir cherché à apprécier si, dans leur ensemble, ils faisaient ou non obstacle à la poursuite du contrat.
La Cour de Cassation a rejeté l’argument en relevant qu’en vertu de leur appréciation souveraine, les juges du fond avaient retenu qu’un seul manquement était établi et qu’il n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier la prise d’acte.
Mais surtout, la Cour d’appel avait refusé de prendre en considération un grief très sérieux d’atteinte à la vie privée (le salarié avait fait l’objet d’une filature par un détective privé mandaté par son employeur « pour contrôler son emploi du temps en dehors du travail ») « puisque le salarié n’avait eu connaissance de cette surveillance que postérieurement à la lettre du 27 août 2008 qui avait eu pour effet de mettre fin au contrat de travail ».
Ici, le manquement invoqué est bien antérieur à la prise d’acte : un détective avait incontestablement enquêté sur la vie privée du salarié avant que ce dernier ne prenne acte de la rupture de son contrat.
L’on comprend néanmoins de l’arrêt que le salarié concerné n’avait pas invoqué ce grief dans sa lettre de notification de prise d’acte et pour cause, puisqu’il n’avait appris l’existence de cette filature que postérieurement à la rupture.
Il nous semble que la Cour de Cassation fait ici preuve d’une certaine sévérité et porte atteinte au principe bien arrêté jusqu’à alors selon lequel la lettre de prise d’acte ne cristallise pas le litige, à la différence de la lettre de licenciement.
Certes, l’on peut comprendre la Cour de Cassation en estimant qu’au moment de prendre sa décision, le salarié ne pouvait se fonder que sur des griefs dont il avait connaissance et que c’est à ce moment et à ce moment seul, que doit s’apprécier la portée de son acte.
L’on peut aussi admettre que seule compte la gravité du fait intervenu antérieurement à la prise d’acte et qu’il est loisible au salarié, qui en apprend l’existence après, de s’en prévaloir dans le cadre de la procédure contentieuse qu’il va initier pour établir les manquements de son employeur, tous les manquements, y compris ceux portés à sa connaissance après qu’il ait informé son employeur de la prise d’acte.
Mais si, en tout état de cause, la Cour peut retenir ici que le salarié n’a eu connaissance de ce grief que postérieurement à la prise d’acte, et refuser de lui permettre de s’en prévaloir, c’ est uniquement parce que la prise d’acte s’est faite par écrit et que le salarié a énoncé la liste de ses griefs, ce qu’il n’était pas tenu de faire.
Le choix du salarié en faveur d’un écrit (qui certes facilite la preuve), mais surtout d’un écrit détaillant les griefs, joue ici à son détriment.
Il n’est pas exclu que, si le salarié avait fait preuve de moins de formalisme, les juges n’auraient pas été en mesure d’établir ce point et auraient retenu la filature attentatoire à sa vie privée.
Cette jurisprudence augure donc probablement d’un durcissement du régime de la prise d’acte que l’on retrouve d’ailleurs dans une proposition de loi, antérieure à celle précitée, déposée le 12 décembre 2012, en vue de donner un cadre légal à la prise d’acte (proposition de loi (code du travail
Cette proposition, si elle reprend un certain nombre de règles issues de la jurisprudence, durcit tout de même le régime prétorien en imposant notamment :
• Que la prise d’acte se fasse obligatoirement par écrit ;
• Que les motifs de la prise d’acte soient exposés dans un document écrit ;
• Que la charge de la preuve pèse uniquement sur le salarié.
Elle fait par ailleurs référence à la possibilité pour l’employeur de prendre lui-même acte de la rupture du contrat, ce qui est prohibé aujourd’hui par la jurisprudence.
Nous vous tiendrons informés du sort réservé à cette initiative parlementaire.