J. Casanova, le juge qui fit basculer l’histoire des femmes de France (500)
Droits des enfants - jprosen, 12/11/2012
40 ans après la décision majeure rendue par le tribunal pour enfants de Bobigny, quand évoque encore la défense de rupture de Giséle Halimi ou de l'auto dénonciation des ces 343 "salopes" qui avaient avorté, je crois nécessaire, en republiant le billet que je lui consacrais à sa mort, de rendre hommage au magistrat (et à ses assesseurs) dont la décision fit basculer l'histoire des femmes de France.
Novembre 2006 . Joseph Casanova est mort. Discrètement comme il avait vécu. Pourtant avec lui disparaît l'un des magistrats qui a rendu une des décisions judiciaires les plus importantes de l'histoire de France.
Aujourd'hui, dans la chapelle située au fond de l'église Saint Sulpice, devant les siens et ses proches amis j'ai été amené à lui rendre justice et à témoigner. Je l'ai fait pour répondre à l'attente des siens comme président du tribunal pour enfants de Bobigny, mais aussi pour l'avoir côtoyé comme maître de stage en 1972. J. Casanova était un magistrat compétent et reconnu comme tel par l'institution.
Il commença sa carrière comme juge de paix pour l'achever comme conseiller à la cour d'appel de Paris après avoir été vice-président du TGI de Bobigny. J. Casonova fut un magistrat engagé dans le social et exceptionnel dans cet engagement. De 1969 à 1988 il fut juge des enfants à Bobigny, quand la moyenne de durée dans ces fonctions exigeantes est de 2 ans et demi ! Il sut donc faire face à des fonctions éprouvantes. Il continua en devenant juge aux affaires familiales. Il en a laissé chez les magistrats, avocats et éducateurs le souvenir d'un homme juste et bon.
J. Casanova fut aussi un magistrat courageux quand le 11 octobre 1972, président le tribunal pour enfants de Bobigny, il refusa de condamner la jeune Marie Claude qui à 15 ans et demi avait avorté quand l'avortement était encore un crime. Il osa affirmer que la jeune fille avait été victime d'une contrainte morale, sociale et familiale quand Marie Claude revendiquait cette IVG et refusait de se réfugier derrière l'autorité de sa mère. Dans l'ambiance du moment il fallait oser afffirmer que Marie Claude était sous contrainte et l'acquitter. Le parquet niait le viol dont elle avait la victime, le garde des sceaux fustigeait la presse, etc.
Je ne sais pas si J. Casonova mesura l'importance et la portée de cette décision d'acquittement, mais il y a eu un avant et un après "Bobigny".
Le débat sur l'IVG bascula définitivement quand l'appel des "343 salopes" l'avait ébranlé. Après le procès fait aux adultes qui furent condamnées, mais bénéficièrent d'une prescription faute pour l'appel d'être audiencé en temps utile, la loi dut être révisée. Sa décision ne fut pas illégale, mais juste. Comme l'était l'acquittement dont bénéficia Mme Caillaux en son temps, mais surtout comme le jugement du bon juge Magnaud qui à Château-Thierry refusa de condamner au nom de l'état de nécessité la mère voleuse de pain. Comme le fut la décision de Patrice de Charette rappelant que l'ordre public s'appliquait dans l'entreprise et pas seulement dans la rue pour justifier l'incarcération d'un cadre responsable de l'accident mortel du travail dont avait victime un ouvrier.
Bref, Joseph Casanova a rendu l'une des décisions judiciaires majeures. La condition des femmes et même l'état du pays en a été bouleversé. Discret il ne s'en est jamais vanté. Injustice de l'histoire, tout un chacun connaît le nom de l'avocat qui a plaidé pour Marie Claire, personne ou presque sait qui a rendu la décision. Il était peut être difficile et courageux de plaider la rupture, il était certainement tout aussi courageux sinon plus de la décider et de la porter !
Il fallait bien que justice lui soit rendue. Je me réjouis de l'avoir fait. Ceux qui suivent ce blog savent que le 2 avril dernier je l'avais déjà fait, sans savoir que quelques mois plus tard, je serai devant son cercueil !
Quand on dit souvent des juges qu'ils sont réactionnaires, je vois à travers J. Casonova l'illustration des magistrats de savoir aussi être en phase avec leur société et de pousser la loi comme cela fut le cas avec la jurisprudence sur la responsabilité civile - ex. : les accidents d'automobiles hier, les dommages causés par les enfants aujourd'hui - ou comme ce fut le cas pour l'exercice conjoint de l'autorité parentale. De quoi rassurer ceux qui doutent de notre justice.
Joseph Casanova, un homme juste qui a rendu justice aux plus faibles; un magistrat discret , démesurément discret, mais courageux. Il aurait mérité quelques mots, quelques lignes - et plus - dans les grands médias.