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Résumer une oeuvre au risque du droit d’auteur ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 5/05/2012

Affirmation étonnante, voire incongrue. Et pourtant … Si vous consultiez les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites web visités habituellement, vous constateriez que certaines d’entre elles interdisent de faire, sans autorisation, non seulement des liens hypertextes, mais aussi de résumer leurs articles. Les CGU du Monde, relues récemment dans le cadre de ma veille, m’ont [...]

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Affirmation étonnante, voire incongrue. Et pourtant … Si vous consultiez les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites web visités habituellement, vous constateriez que certaines d’entre elles interdisent de faire, sans autorisation, non seulement des liens hypertextes, mais aussi de résumer leurs articles. Les CGU du Monde, relues récemment dans le cadre de ma veille, m’ont incitée à faire ces quelques rappels sur le cas du résumé.

L’analyse, une exception au droit d’auteur

Nul besoin, selon l’article L 122-5 du CPI, de demander une autorisation pour analyser une œuvre ou en citer de [très] brefs extraits lorsque ces pratiques ont « un caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ».

Par ailleurs, certains éléments plaident en faveur du résumé. Aucune autorisation n’est, en effet, requise pour reprendre des idées, l’objet même d’un résumé, « les idées étant de libre parcours ». Le résumé peut, par ailleurs, avoir un caractère polémique, critique, scientifique ; il est très souvent pédagogique et, quoi qu’il en soit, est toujours réalisé à des fins d’information.

Mais le résumé est-il incorporé dans une autre œuvre, autre condition exigée par la loi française ? N’est-ce pas plutôt une œuvre dérivée, une œuvre seconde créée, tout comme une traduction par exemple, à partir d’une œuvre première, impliquant une autorisation ? Pourquoi distinguer l’analyse du résumé ?

L’analyse, affirmait le juriste Claude  Colombet  est  « un texte lui-même original », ce qu’est très souvent un résumé, « portant jugement de valeur », ce qui est moins souvent le cas, « et non un résumé pouvant porter concurrence à l’œuvre analysée ». Qu’un résumé se substitue à un ouvrage ou à un article ne peut manquer de laisser perplexe !

L’œuvre d’information, un objet juridique 

Il y a 25 ans, le 30 octobre 1987,la Cour Cassation, dans un arrêt très remarqué dans le secteur de l’information, reconnaissait l’œuvre d’information à but documentaire lorsqu’elle répond à l’intérêt général, soit ici en favorisant la circulation de l’information.

Cet arrêt avait été pris dans le cadre d’un procès opposant la société Microfor au Monde. Microfor proposait une base de données de titres d’articles, accompagnés de mots-clés et de résumés, en l’occurrence des phrases extraites des articles. Le Monde s’y était opposé. Avait suivi un très long procès, entamé en 1979, ayant donné lieu à deux arrêts en Cour de cassation, le second en Assemblée plénière, ce qui lui donne plus de poids.

De cette décision, on retiendra que si les titres originaux sont protégés, la reprise des titres pour identifier les œuvres à des fins documentaires est autorisée. Fort bien, on aurait pu craindre pour les notices bibliographiques et toutes les citations ! [1]

Par ailleurs, pour les juges, il y avait bien une œuvre incorporante ou œuvre seconde, en l’occurrence l’index dans son ensemble. L’œuvre incorporante, une obligation ? D’après un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), « savoir si la citation est faite dans le cadre d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur ou, au contraire, d’un objet non protégé par un tel droit, est dépourvu de pertinence [2] ». Modifier la loi française ? Dans ses conclusions, l’avocat général relève que les « États membres (…) sont par principe libres d’enserrer, dans leur droit national, le droit de citation par un cadre plus restrictif, mais qu’ils doivent respecter d’autres exigences du droit de l’Union, parmi lesquelles notamment les libertés d’expression et de la presse ». Dans l’immédiat, on retiendra que l’auteur de résumés pourrait donc les mettre à la disposition de tiers selon les conditions qu’il aurait définies. Aucun éditeur ne pourrait s’y opposer, en arguant l’absence d’œuvre incorporante.

Tous les résumés sont autorisés

Ce serait le cas du résumé signalétique, celui qui « reflète fidèlement le contenu sans dispenser le lecteur de lire l’article ». Fidèlement car il y pourrait y avoir « dénaturation par des phrases extraites mises bout à bout», autrement dit atteinte au droit moral. N’y voit-on pas là un rappel des bonnes pratiques professionnelles, excluant la paraphrase ?  Qu’il y ait menace de sanction pour contrefaçon pour un mauvais résumé, ne manque pas de sel.

Tout autant admis, le résumé critique, apparenté à l’analyse, exception au droit d’auteur présenté infra. Quant au résumé indicatif, factuel et très court, il ne permet pas d’imaginer qu’il y ait substitution à l’œuvre originale. Suffisamment « concis et éloigné du texte original », il répond aux exigences des CGU du Monde.

Quelle menace présente le résumé ?

Selon les CGU du Monde, « le résumé d´un article est soumis à l´autorisation préalable de l´auteur ou de son ayant droit. Il doit nécessairement mentionner le nom de l´auteur et de la source. Autorisé, il ne doit pas « porte[r] pas concurrence à la publication ou au site à partir duquel est réalisé ce résumé, ni à son auteur. Il doit donc être suffisamment concis et éloigné du texte original pour ne pas être considéré comme une contrefaçon. »

Ce sont les termes mêmes de la Charte du Geste dont plusieurs points, notamment le résumé, ont été contestés par l’ADBS en l’an 2000. Avait suivi un accord entre l’ADBS et le Geste, le 21 avril 2000. Le Geste y reconnaissait « que le travail des professionnels de la documentation ne porte pas préjudice au travail des éditeurs de presse, mais contribue à le mettre en valeur en incitant à consulter les articles de presse cités ».

Dans les faits, ce que craignent les éditeurs, c’est la concurrence d’une offre de résumés, faite par des prestataires. Qu’elle soit gratuite ou payante importe peu ! Il s’agit d’un service que les éditeurs auraient pu proposer. Ce qu’ils craignent c’est la substitution à un service et non à une œuvre.

Que les éditeurs proposent les résumés des œuvres de leur catalogue comme une prestation supplémentaire tombe sous le sens ! Qu’ils interdisent à des tiers de le faire est difficilement admissible ! [3] Le résumé doit être autorisée au même titre « la revue de presse » permettant aux journalistes de présenter, sans en avoir demandé l’autorisation, les points de vue de leurs confrères. La Cour de cassation n’avait-elle pas évoqué l’intérêt général ? Dans un autre registre, le droit de la concurrence pourrait aussi s’intéresser à cette question [4].

Autres considérations

  • A propos de l’exception  

Qu’une traduction ou l’adaptation d’un roman en film soit une œuvre dérivée, on en convient car ces nouvelles œuvres se substituent à l’œuvre initiale. Un résumé, en revanche, incite à critiquer une œuvre et à la consulter.

Le résumé appréhendé comme une exception, on soulignera qu’un contrat, ce que sont les CGU, ne peut pas faire fi des exceptions au droit d’auteur. Les exceptions au droit d’auteur, comme je le rappelle volontiers, répondent à l’intérêt général ; il devrait être interdit de les contourner.

En outre, il y a peu de chance qu’un juge prouve que des résumés portent atteinte à l’exploitation normale d’une œuvre, première étape d’un test  [5] auquel doit se soumettre toute exception au droit d’auteur. Il en aura encore moins si le projet de toilettage de ce « test des trois étapes » (à lire absolument), proposé pour rééquilibrer les intérêts des différents acteurs que sont les cessionnaires de droits, les auteurs et les utilisateurs, et répondre ainsi aux objectifs assignés au droit d’auteur de stimuler la création, sera adopté.

On peut imaginer que le résumé entre dans la liste des exceptions de l’article L 122-5 du CPI ; on peut aussi imaginer que le résumé fasse partie d’une sorte de « Fair use », pratique autorisée lorsqu’elle répond à des critères plus larges (voir aussi ici).

  • A propos du modèle économique

Le souci du modèle économique faisant payer pour les titres des articles envoyés à leurs clients par des prestataires de presse, ainsi que pour les liens hypertextes permettant de consulter les articles sélectionnés, bien que ceux-ci soient librement accessibles sur Internet ? C’est ce qu’ont obtenu les éditeurs de presse au Royaume-Uni dans un procès qui devait se poursuivre devant la Cour suprême. D’autres actions contre Meltwater, le prestataire en question, sont en cours.

Ce qu’envoient généralement ces prestataires à leurs clients, ce sont les titres et les premières lignes de l’article utilisés comme pour inciter à cliquer sur les liens hypertextes et non des résumés, m’avait-il semblé. Toutefois, le résumé a toujours une utilité.

Un wikipédia de résumés ?

Les résumés réalisés par des volontaires  seraient mis à la disposition de tous sous une licence CC by-sa, celle de Wikipédia, autorisant la reproduction, la modification et l’usage commercial des résumés, soit également au bénéfice des éditeurs.

Si ma présentation, en effet, est un plaidoyer pour faire librement un résumé, on rappellera qu’il est interdit de reproduire un résumé fait par des tiers, qui ne serait pas proposé sous une licence libre. Un résumé original est protégé par le droit d’auteur. Brièveté, par ailleurs, ne signifie pas manque d’originalité : un chapô, un slogan, … seront protégés. Si un résumé indicatif peut être dénué d’originalité, un droit s’applique aux bases de données, même constituées d’éléments non originaux.

Créer un wikipédia pour organiser le partage de résumés, suggestion faite par Lionel Maurel et plusieurs professionnels pour conclure ma présentation de la question faite lors d’une formation le 3 mai, pallie cette difficulté.  Une proposition que je relaie bien volontiers !  Se lance-t-on?

Illustr. Le géant Hugo avec Adrien, le nain béarnais 69cm © Carte-Postale.com

Références  incontournables

Notes


[1] Les titres originaux sont,  bien évidemment, protégés par le droit d’auteur, ce qui permet de s’opposer à leur reprise par d’autres auteurs mais par pour les utiliser à des fins d’information.

[2] L’exception française ne donne aucune précision à cet égard. Mais il me semble que l’on ait toujours interprétée cette disposition comme étant une œuvre protégée par le droit d’auteur.

[3] Dans un contrat d’édition, j’ai noté qu’il était demandé de céder le droit de faire des résumés de manière exclusive. S’il s’agit d’une exception au droit d’auteur, la cession n’aura plus de sens. Aujourd’hui, l’exclusivité de cette autorisation ne saurait lui être accordée ; il ne doit pas pouvoir s’opposer à la réalisation de résumés par des tiers.

[5] Selon l’article 9.2. dela Convention de Berne, « Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ».

 


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