Quelle indemnisation pour « l’attributaire évincé » d’un marché ?
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel et Mathieu Prats-Denoix, 26/03/2012
La personne publique contractante peut toujours décider de ne pas donner suite à un appel d’offres, pour un motif d’intérêt général. Mais lorsqu’elle lance, ensuite, un second appel d’offres ayant le même objet et retient finalement un autre candidat, comment peut être indemnisé l’attributaire initial qui devient l’évincé ?
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 2011 de la cour administrative d’appel de Lyon, SARL Technic Elec 58, n° 10LY02078, le syndicat intercommunal à la carte du canton de Saint-Pierre-le-Moûtier a lancé une première procédure de passation sur appel d’offres et a retenu Technique Elec 58. Toutefois, compte tenu des irrégularités ayant affecté cette procédure, le pouvoir adjudicateur n’y a pas donné suite, pour motif d’intérêt général et a lancé un nouvel appel d’offres, aux mêmes conditions que le précédent.
A l’issue de ce second appel d’offres, le marché a été attribué à un concurrent qui, entre les deux appels d’offres, aurait diminué ses prix. S’estimant lésée, la société initialement attributaire Technique Elec 58 demandait l’indemnisation de son préjudice, qu’elle estime à hauteur du chiffre d’affaire qu’elle n’a pas pu réaliser (29.700 euros).
La décision d’attribuer le marché ne crée, pour l’attributaire, aucun droit à la signature du contrat. Le pouvoir adjudicateur peut ne pas donner suite au processus de conclusion du marché, à condition toutefois que sa décision soit justifiée par un motif d’intérêt général. Le respect de la légalité, méconnue par les irrégularités constatées dans la procédure de passation, constituent un tel motif.
Mais, toute illégalité étant fautive par nature, ces irrégularités engagent la responsabilité du pouvoir adjudicateur (la faute consiste dans les irrégularités commise par le pouvoir adjudicateur au cours de la première procédure d’appel d’offres, non dans la décision de ne pas donner suite à cette procédure, pour motif d’intérêt général, compte tenu de celles-ci).
Classiquement, lorsque l’administration décide de ne pas donner suite à une procédure de passation, l’attributaire a droit à l’indemnisation de son manque à gagner, lorsque la décision d’abandon ne repose pas sur un motif d’intérêt général et que cet attributaire n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le marché.
Lorsque la décision de ne pas donner suite au marché repose bien sur un motif d’intérêt général mais a été prise dans des circonstances fautives (par exemple, lorsque l’administration a incité l’attributaire à engager la préparation et l’exécution du contrat, avant sa signature), l’attributaire a droit à être indemnisé, notamment de ses dépenses engagées inutilement.
A l’issue de ce second appel d’offres, le marché a été attribué à un concurrent qui, entre les deux appels d’offres, aurait diminué ses prix. S’estimant lésée, la société initialement attributaire Technique Elec 58 demandait l’indemnisation de son préjudice, qu’elle estime à hauteur du chiffre d’affaire qu’elle n’a pas pu réaliser (29.700 euros).
La décision d’attribuer le marché ne crée, pour l’attributaire, aucun droit à la signature du contrat. Le pouvoir adjudicateur peut ne pas donner suite au processus de conclusion du marché, à condition toutefois que sa décision soit justifiée par un motif d’intérêt général. Le respect de la légalité, méconnue par les irrégularités constatées dans la procédure de passation, constituent un tel motif.
Mais, toute illégalité étant fautive par nature, ces irrégularités engagent la responsabilité du pouvoir adjudicateur (la faute consiste dans les irrégularités commise par le pouvoir adjudicateur au cours de la première procédure d’appel d’offres, non dans la décision de ne pas donner suite à cette procédure, pour motif d’intérêt général, compte tenu de celles-ci).
Classiquement, lorsque l’administration décide de ne pas donner suite à une procédure de passation, l’attributaire a droit à l’indemnisation de son manque à gagner, lorsque la décision d’abandon ne repose pas sur un motif d’intérêt général et que cet attributaire n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le marché.
Lorsque la décision de ne pas donner suite au marché repose bien sur un motif d’intérêt général mais a été prise dans des circonstances fautives (par exemple, lorsque l’administration a incité l’attributaire à engager la préparation et l’exécution du contrat, avant sa signature), l’attributaire a droit à être indemnisé, notamment de ses dépenses engagées inutilement.
Constatant, en l’espèce, que le pouvoir adjudicateur n’avait pas invité la société initialement attributaire Technique Elec 58 à engager des démarches d’exécution, la cour administrative d’appel juge que ladite société n’est pas fondée à demander l’indemnisation de son manque à gagner.
Toutefois, la cour ne se prononce pas sur le moyen selon lequel l’annulation de la première procédure de passation et l’organisation d’un nouvel appel d’offres aux mêmes conditions que le précédent auraient permis à un concurrent de diminuer son prix et de remporter la seconde mise en concurrence, en évinçant l’attributaire initialement retenu.
Les visas de l’arrêt ne permettent pas de savoir si les jugements des offres des deux procédures de passation successives ont été mis aux débats et s’il existait un doute raisonnable sur la divulgation des offres financières respectives des candidats lors de la première consultation. A défaut d’une procédure en référé précontractuel, qui aurait pu permettre de recueillir des éléments probatoires tendant à démontrer l’influence de la connaissance acquise par le candidat finalement victorieux des offres financières de ses concurrents, l’on imagine que les candidats initialement évincés (dont ce candidat finalement victorieux) ont dû, malgré tout, être informés des motifs du rejet de leur offre et des avantages relatifs de l’offre de Technic Elec 58.
Toutefois, la cour ne se prononce pas sur le moyen selon lequel l’annulation de la première procédure de passation et l’organisation d’un nouvel appel d’offres aux mêmes conditions que le précédent auraient permis à un concurrent de diminuer son prix et de remporter la seconde mise en concurrence, en évinçant l’attributaire initialement retenu.
Les visas de l’arrêt ne permettent pas de savoir si les jugements des offres des deux procédures de passation successives ont été mis aux débats et s’il existait un doute raisonnable sur la divulgation des offres financières respectives des candidats lors de la première consultation. A défaut d’une procédure en référé précontractuel, qui aurait pu permettre de recueillir des éléments probatoires tendant à démontrer l’influence de la connaissance acquise par le candidat finalement victorieux des offres financières de ses concurrents, l’on imagine que les candidats initialement évincés (dont ce candidat finalement victorieux) ont dû, malgré tout, être informés des motifs du rejet de leur offre et des avantages relatifs de l’offre de Technic Elec 58.
La question, épineuse, se pose, dans les mêmes termes, en cas d’annulation contentieuse d’une procédure de passation.
Le besoin public demeure le même et la seconde consultation menée pour y répondre ne peut que reprendre les termes de celles qui a été abandonnée ou annulée. La divulgation d’informations sensibles sur les offres concurrentes est inéluctable en cas d’annulation contentieuse et devient pathologique dans le cas d’espèce où la renonciation à conclure le marché n’intervient qu’après une décision d’attribution. Comment considérer que cette porosité puisse être sans effet sur les stratégies d’offres développées dans la nouvelle consultation qui suit pour répondre au même besoin ?
Le tribunal administratif de Paris a, ainsi, pu juger, dans le cadre d’un référé précontractuel, que la personne publique pouvait se contenter de ne communiquer que des motifs de rejet succincts, dès lors que, face au risque de l’annulation contentieuse du marché, « une reprise de la procédure alors que l’un des candidats aurait eu connaissance du montant de l’offre du précédent attributaire aurait été de nature à nuire à l’égalité des candidats et à fausser les règles de la concurrence » (TA Paris 6 décembre 2007, Société Arcet Notation).
Le droit dont dispose le pouvoir adjudicateur de ne pas donner suite à l’attribution d’un contrat pour un motif d’intérêt général, justifie la limitation des prétentions indemnitaires de l’« attributaire évincé ». Mais, justement lorsqu’il existe un « attributaire évincé », il est difficile de ne pas tirer les conséquences de l’atteinte potentielle mécaniquement portée à l’égalité entre les candidats du fait de la divulgation, dans la phase charnière entre les deux procédures successives, d’informations sensibles par nature, quelles que soient les précautions prises par le pouvoir adjudicateur pour préserver le secret des affaires.
L’on comprend que la cour ait fait le choix de ne pas se prononcer sur ce moyen car il aurait été délicat voire impossible de procéder à la pesée du préjudice en cause, résultant d’un handicap, difficile à appréhender, ayant conduit à la perte d’une chance.
Le besoin public demeure le même et la seconde consultation menée pour y répondre ne peut que reprendre les termes de celles qui a été abandonnée ou annulée. La divulgation d’informations sensibles sur les offres concurrentes est inéluctable en cas d’annulation contentieuse et devient pathologique dans le cas d’espèce où la renonciation à conclure le marché n’intervient qu’après une décision d’attribution. Comment considérer que cette porosité puisse être sans effet sur les stratégies d’offres développées dans la nouvelle consultation qui suit pour répondre au même besoin ?
Le tribunal administratif de Paris a, ainsi, pu juger, dans le cadre d’un référé précontractuel, que la personne publique pouvait se contenter de ne communiquer que des motifs de rejet succincts, dès lors que, face au risque de l’annulation contentieuse du marché, « une reprise de la procédure alors que l’un des candidats aurait eu connaissance du montant de l’offre du précédent attributaire aurait été de nature à nuire à l’égalité des candidats et à fausser les règles de la concurrence » (TA Paris 6 décembre 2007, Société Arcet Notation).
Le droit dont dispose le pouvoir adjudicateur de ne pas donner suite à l’attribution d’un contrat pour un motif d’intérêt général, justifie la limitation des prétentions indemnitaires de l’« attributaire évincé ». Mais, justement lorsqu’il existe un « attributaire évincé », il est difficile de ne pas tirer les conséquences de l’atteinte potentielle mécaniquement portée à l’égalité entre les candidats du fait de la divulgation, dans la phase charnière entre les deux procédures successives, d’informations sensibles par nature, quelles que soient les précautions prises par le pouvoir adjudicateur pour préserver le secret des affaires.
L’on comprend que la cour ait fait le choix de ne pas se prononcer sur ce moyen car il aurait été délicat voire impossible de procéder à la pesée du préjudice en cause, résultant d’un handicap, difficile à appréhender, ayant conduit à la perte d’une chance.
L’on peut estimer, à l’inverse, qu’il n’y a pas de handicap véritable.
La divulgation licite (soit au titre du principe du contradictoire au contentieux, soit en exécution d’un texte) d’informations propres à éclairer sur les stratégies d’offres des concurrents, peut être considérée comme conduisant à un degré plus accomplie de concurrence, tendant mieux vers l’idéal théorique de la concurrence pure et parfaite produite par la totale transparence sur les décisions économiques des opérateurs en compétition. Au fond, cette divulgation licite crée une nouvelle donne concurrentielle, qui n’est issue d’aucun acte illicite. Il appartient à chaque offreur de s’y adapter, y compris à l’« attributaire évincé » dont les choix économiques ont été révélés.
Le pouvoir adjudicateur serait d’ailleurs impuissant à promouvoir une plus grande égalité concurrentielle entre les candidats. On ne peut, en effet, imaginer qu’il communique à l’attributaire initial les mêmes informations sur les candidats évincés, que celles qui ont été communiquées aux candidats évincés sur l’attributaire initial. De plus, puis qu’il s’agit de deux procédures de passation distinctes, de nouveaux offreurs pourraient se porter candidats à la seconde sans avoir été préalablement candidats à la première et des candidats à la première pourraient se retirer de la compétition.
Dans ces cas, plus fréquents qu’on ne peut le penser, la procédure d’appel d’offres se mue en procédure de passation ad’hoc en deux phases avec une étape d’enchères inversées.
L’on relèvera, en conclusion, que la solution n’est pas totalement satisfaisante au plan logique, pour autant. En effet, lorsqu'un candidat évincé de l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il a droit à l'indemnisation de l'intégralité de son manque à gagner s’il avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Or Technique Elec 58 avait démontré le sérieux de ses chances ... en étant devenu attributaire.
La divulgation licite (soit au titre du principe du contradictoire au contentieux, soit en exécution d’un texte) d’informations propres à éclairer sur les stratégies d’offres des concurrents, peut être considérée comme conduisant à un degré plus accomplie de concurrence, tendant mieux vers l’idéal théorique de la concurrence pure et parfaite produite par la totale transparence sur les décisions économiques des opérateurs en compétition. Au fond, cette divulgation licite crée une nouvelle donne concurrentielle, qui n’est issue d’aucun acte illicite. Il appartient à chaque offreur de s’y adapter, y compris à l’« attributaire évincé » dont les choix économiques ont été révélés.
Le pouvoir adjudicateur serait d’ailleurs impuissant à promouvoir une plus grande égalité concurrentielle entre les candidats. On ne peut, en effet, imaginer qu’il communique à l’attributaire initial les mêmes informations sur les candidats évincés, que celles qui ont été communiquées aux candidats évincés sur l’attributaire initial. De plus, puis qu’il s’agit de deux procédures de passation distinctes, de nouveaux offreurs pourraient se porter candidats à la seconde sans avoir été préalablement candidats à la première et des candidats à la première pourraient se retirer de la compétition.
Dans ces cas, plus fréquents qu’on ne peut le penser, la procédure d’appel d’offres se mue en procédure de passation ad’hoc en deux phases avec une étape d’enchères inversées.
L’on relèvera, en conclusion, que la solution n’est pas totalement satisfaisante au plan logique, pour autant. En effet, lorsqu'un candidat évincé de l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il a droit à l'indemnisation de l'intégralité de son manque à gagner s’il avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Or Technique Elec 58 avait démontré le sérieux de ses chances ... en étant devenu attributaire.