Des jeunes étrangers condamnés pour s’être faits passer pour mineurs (568)
Planète Juridique - admin, 4/06/2014
Deux jeunes étrangers ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Lyon a des peines de prison ferme - 3 mois pour l'un , 4 pour l'autre, interdiction de territoire français, mais aussi remboursement des frais occasionnés par leur prise en charge par l'Aide sociale à l 'enfance. (Le Monde du 5 juin 2014)
Que leur reprochait-on ? De s'être faits passer pour mineurs alors qu'ils étaient majeurs et ainsi avoir escroqué les services sociaux, et donc l'argent des contribuables français.
Le Conseil général du Rhône - d'évidence en lien avec le procureur de la République - avait donc porté plainte contre eux. Le parquet n'a pas caché pas son souci - élément d'une politique pénale locale - d'adresser un message fort aux filières et à tous ceux qui envoient vers la France, des jeunes qui n'ont pas de quoi vivre ou faire vivre leur famille au pays. Désormais ce ne sera pas seulement le refus de prise en charge pour les personnes tenues comme majeures, mais des poursuites pénales et des condamnations sévères contre celles d'entre elles qui réussiraient à berner les défenses des services sociaux et de la justice. (1)
Ces condamnations ne sont peut être pas les premières à intervenir; en tous cas elles sont exceptionnelles et méritent qu'on s'y arrête.
Pour avoir suivi 15 ans durant quelques milliers de situations au tribunal pour enfants de Bobigny et avoir plusieurs fois et de longue date abordé ici cette question juridiquement et humainement délicate, mais aussi infiniment politique, des mineurs étrangers isolés (MIE) quelques rappels me semblent s'imposer.
1 - Chacun l'aura observé en suivant l'actualité, la crise économique dans les pays du sud fait peser une pression de plus en plus forte sur les pays dits riches du Nord. Beaucoup partent de chez eux; tous n'arrivent pas à destination pour être morts en route.
2 - On évalue à 6 à 8 000 les jeunes personnes se présentant comme mineures à nos frontières.
3 - Toutes ne sont pas mineures, mais la grande majorité - environ 70% - l'est.
4 - En se présentant comme mineures elles entendent échapper à l'expulsion (1) et généralement bénéficier du dispositif de protection de l'enfance, mais surtout de formation français. Interrogés ces jeunes n'hésitent pas à dire qu'ils sont venus pour étudier et travailler avec pour objectif, certes de rester en France, mais surtout d'envoyer de l'argent au pays et déjà rembourser la dette contractée. Une petite partie de ces jeunes cherchent simplement à échapper aux conflits internes, persécutions ou guerres civiles et vont généralement, mais pas systématiquement, demander le droit d'asile.
5 - Fréquemment ces jeunes sont dépourvus de papiers d'identité probants (passeport, CNI) et ne disposent que d'un extrait d'acte de naissance, quand tout simplement ils n'ont aucun papier sur eux.
6 - Avec ou sans papiers ils avancent un âge qui peut détonner au regard de leur apparence physique. Dans le contexte où se pose le problème - montée en puissance du nombre des situations, tensions de budgets sociaux, querelles Etat - collectivités locales, originalité et difficulté de l'exercice pour des travailleurs sociaux non formés à cette problématique, barrière de la langue, quand ce n'est pas tout simplement des sentiments racistes ou xénophobes largement répandus, y compris dans le milieu du travail social et dans la justice), la tendance lourde est dans un premier temps, de traiter ces jeunes plus comme des étrangers que comme des enfants en situation irrégulière prêts à tout pour rester en France, et donc sur le territoire Schengen.
7 - L'identification de ces jeunes n'est pas toujours aisée dans le court laps de temps dont on dispose quand ils se présentent ou sont interpellés. Ajoutons que la preuve scientifique dont nous disposons est tout sauf réellement scientifique. L'examen osseux qui va plus loin qu'un simple examen des cartilages, consiste en une comparaison avec des tables d'âge établie dans les années 1920 aux USA sur des sujets morphologiquement différents de ceux qui nous rencontrons aujourd'hui. La marge d'erreur autour de la majorité est notoirement de 18 mois, ce qui est crucial à cet âge charnière. Au point où certains pays comme l'Allemagne ont renoncé aux examens osseux au profit d'entretiens poussés avec l'intéressé.
8 - Si on veut bien être objectif, la plupart de ces jeunes sont des enfants qui se retrouvent au final dans notre pays déboussolés, obeissant à des proches qui les ont envoyés ici pour se sauver et pour gagner de quoi faire vive la famille. Je peux témoigner que même dans des situations difficiles la plupart d'entr'eux ne volerait pas un œuf et n'agresserait personne. (3) ils ont soif d'étude, de formation et de travail et avancent rarement leur psyché d'enfant envoyé au charbon loin des leurs et de leur culture.
9 - Oui parmi ces 6 à 8000 jeunes il en est qui sont majeurs et bernent leurs interlocuteurs. Si les travailleurs sociaux, les cadres sociaux voire les juges des enfants répugnent à livrer les majeurs à l'administration policière, il est des limites qu'on ne peut pas dépasser sauf à se discréditer. Ce n'est pas rendre service aux jeunes qui arrivent ou sont appelés inéluctablement à venir que de fragiliser encore plus notre dispositif d'accueil.
10 Globalement nous (ASE et tribunaux avec le réseau associatif) n'avons pas à rougir du travail mené pour la plupart des ces jeunes tenus pour mineurs et suivis une fois devenus jeunes majeurs. Ils seront formés, régularisés et deviendront de bons français. On aurait pu s'appuyer sur le dispositif de coopération; on s'appuie sur le dispositif de protection de l'enfance en danger!
Pour beaucoup de magistrats le tribunal pour enfants n'a pas vocation à intervenir. Il a là pour mobiliser les compétences parentales défaillantes- on est dans la procédure d'assistance éducative - or, pour ces MIE les parents ne sont pas là voire décédés ou simplement injoignables. Ne faudrait-il pas mieux via le juge aux affaires faliliales organiser une tutelle et la déléguer à l'ASE. Bref, on ne serait que devant un pur problème civil.
Cette analyse néglige que ces enfants sont à la rue, dans des squatts, parfois exploités dzns tous le ssens du terme ou en passe d el'etre. Ils sont d'abord en danger. Une fois mis à l'abri on peut certes songer à leur prise en charge juridique, mais encore faut-il déjà les protéger. Le tribunal pour enfants est compétent. CQFD.
Autre problème posé : le conflit de compétences.Relèvent-ils de l'Etat en charge du contrôle des frontières et du séjour des etrangers ou des conseils génraux en charge de l'enfance en danger ? Des deux mon général ! avons nous affirmé depuis 10 ans pour être finalement entendu en 2013. Etat et conseils généraux ont chacun leurs responsabilités.
Ils partagent plusieurs enjeux : éviter de fabriquer des clandestins avec tous les problèmes qui en résulteraient; répartir la charge financière et humaine de ces prises en charge sur l'ensemble du territoire car il ne s agit pas d'enfants du 93, du 75 ou du 59, mais des enfants destinés qu'on le veuille ou pas à devenir des enfants de France. Une double préquation s'impose : Etat/conseils généraux et conseils généraux entre eux. Constatons pour revenir ici sur le sujet déjà traité que le dispositif Taubira de mai 2013 est inachevé et critiquable. Enfin, et ce n'est pas le moins important, il nous faut garder la tête froide - la question des étrangers rend fou - et avoir une pratique conforme à nos valeurs, claire et sans misérabilisme.
Dans ce contexte que penser de la décision de Lyon sans langue de bois et sans angélisme ?
Cette question des mineurs étrangers isolés n'est pas que française. Elle pèse sur l'Europe, mais sur l'Amérique du Nord ou l'Australie. Elle est mondiale et il nous faut trouver modestement une reponse à notre niveau. Une reponse nécessairement insatisfaisante car le problème de la pauvreté et des conflits qui prennent les enfants en otages nous échappe en grande partie.
Il est impensable de ne pas réagir devant les stratégies de contournement de nos règles. Nous n'avons pas envie d'une loi qui dirait que les mineurs sont expulsables ! Il nous faut donc faire la part entre ceux qui ont moins de 18 ans et les autres. Et assumer le fait de decouvriri que certains ne sont pas majeurs. Je veux croire que dans ce dossier les éléments prouvant sans conteste la majorité sont réunis.
Il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le panier de l'expertise osseuse surtout si des papiers existent dont la validité n'est pas mise en cause. Ils font foi.
En cas de doute, on doit présumer la minorité. Il vaut mieux deux ou trois adultes pris en charge illégalement qu'un enfant laissé pour compte! D'autant qu'on fait le pari de l'insertion sociale qui fonctionne bien (voir mon blog sur ce MIE de mon cabinet devenu policier de la République alors que certains doutaient de son âge).
Enfin, n'oublions pas que derrière ces arrivées massives il y a la traite des personnes humaines avec des filières qui exploitent la pauvreté. Il faut s'attaquer à ses filières (4) et surtout à ceux qui en tirent des bénéfices.
Ces condamnations sévères de la pauvreté porteront-elles leur fruit, à savoir la diminution de la pression? On peut en douter. Elles seront intégrées comme des risques parmi d'autres somme toute moins graves que celui de se noyer en Méditerranée. Le message risque de n'être pas entendu. Ou tout simplement les filières étant très réactives, les jeunes viendront moins à Lyon qu'ailleurs. L'Etat, à travers ses magistrats, aura tenté de rassurer les élus locaux et la population !
Une mauvaise cuillère pour écoper la mer.
(1) On aurait pu également les poursuivre pour injure à magistrat pour avoir menti au juge des enfants
(2) L'expulsion suppose d'être entré sur le territoire français. Le mineur de 18 ans ne peut pas être expulsé, mais refoulé s'il n'a pas encore pénétré en France
(3) Nous en avons eu la preuve au dernier trimestre 2011 lors du conflit Etat-Conseil général de la Seine Saint-Denis.
(4) Toutes les filières ne sont pas condamnables. Souvenons nous de 1942