J'ai peur
Justice au singulier - philippe.bilger, 28/08/2013
Non, ce gouvernement n'est pas lâche, sur aucun plan.
Le président de la République, devant nos ambassadeurs réunis, a, dans un discours lucide et responsable consacré notamment à la tragédie syrienne, mis l'accent sur l'alternative, qu'il n'a cessé de développer, entre agir ou ne pas agir, laisser faire ou intervenir, demeurer témoin des massacres ou s'y opposer militairement, le courage ou l'abstention, la France tranquille ou la France solidaire. A ces interrogations si légitimes, une réponse sera donnée à très bref délai (Libération, Le Monde, Le Figaro, Dauphiné Libéré) avec un débat parlementaire sans vote le 4 septembre (BFM TV).
J'ai peur.
"La France est prête à punir ceux qui ont gazé des innocents" et à ne pas laisser impunie l'attaque chimique du 21 août. Elle envisage d'apporter son concours aux Britanniques et aux Américains, fer de lance de cette coalition de l'humanisme international. Elle ne serait pas en première ligne mais après la Libye, avec les résultats désastreux qu'on sait, et le Mali, elle s'engagerait à nouveau dans une aventure en s'assignant une mission morale sûrement mais imprudente peut-être.
J'ai peur.
On s'en prendra à l'ignoble Bachar Al-Assad mais on apportera notre soutien au front de ses adversaires - coalition nationale syrienne et groupes rebelles autonomes - dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'inspire pas plus confiance que le dictateur sanguinaire. Pour sanctionner l'un en nous mêlant, si tardivement, des affaires horribles de ce magnifique pays, ne va-t-on pas abusivement et dangereusement conforter les autres ?
J'ai peur.
Est-il possible d'entraver un processus inouï de terreur et de sauvagerie d'Etat en venant y ajouter l'irruption d'un autre désordre, aussi nécessaire qu'il puisse apparaître pour la fierté éthique de la patrie des droits de l'Homme ?
J'ai peur.
L'Irak, aux quelques-uns qui ont soutenu l'intervention américaine si bien préparée en amont mais si catastrophique en aval, a servi de leçon. Je ne veux plus m'abandonner à ce réflexe de justifier toute action guerrière au prétexte qu'un tyran en sera victime. La Syrie ne serait-elle pas une tentation périlleuse, et sur le même registre que l'irakien, pour tous les jusqu'aux boutistes prêts à faire de la France un gendarme universel au petit pied quand tout appelle notre pays à se créer d'abord puissance et force à l'intérieur de lui-même ?
J'ai peur.
Garder l'arme au pied ne serait pas lâche. Manifester une autorité de feu et de sang en Syrie ne serait pas forcément une absurdité, un cocorico inutile et destructeur. Quand il y a tant de doutes et d'obligatoires hésitations, quand une partie de notre classe politique, à droite et à gauche, s'inquiète ou s'oppose, le message n'est-il pas clairement de remiser l'orgueil national et avec audace de s'abstenir ?
J'ai peur.
Si le président de la République tranche en faveur d'une France dans la coalition, il songera aux risques, aux souffrances, aux tragédies là-bas mais aussi dans nos rangs. Ce n'est pas parce qu'une armée ne craint jamais la guerre et qu'elle est par principe et par vocation courageuse qu'il faut l'exposer à tous les mauvais vents de l'Histoire.
J'ai peur.
Les justiciers créent du danger partout.