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Pour l'instant, Ianoukovitch est détestable !

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/02/2014

Il faut goûter, sans attendre, les plats car l'Histoire ne les repasse jamais, les pires comme, hélas aussi, les meilleurs.

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Un jour, certainement, on voudra réhabiliter Viktor Ianoukovitch.

Un jour, il y aura des révisionnistes ukrainiens qui le regretteront.

Un jour, dans l'arbitrage, Ioulia Timochenko sera encore plus vilipendée que lui. Sa destinée n'aura pas des zones d'ombre, elle ne sera plus qu'ombre, soupçon et opprobre.

Un jour, si l'Ukraine est encore vivante, on soutiendra que l'emprise russe d'un Poutine cynique, intelligent, déterminé, à la fois épris de la grandeur de son pays et de lui-même, aurait mieux valu qu'une Union européenne peu habile hier avec Ianoukovitch et la Russie, guère enthousiasmante malgré son aura démocratique et sa capacité de mobilisation jusqu'au dernier Ukrainien.

Un jour, on défendra Ianoukovitch en disant que ce n'était pas de sa faute et que les victimes tuées par la police n'avaient qu'à rester tranquilles.

Un jour, on déclarera qu'avant, sans la démocratie, c'était peut-être plus dur mais bien mieux et que moins de corruption et plus de liberté n'ont pas rendu l'Ukraine plus riche, plus respectée.

Un jour, on se moquera de la place Maïdan et de son effervescence à la fois pompeuse et héroïque.

Un jour, on jettera au feu ce pour quoi on avait brûlé si fort, si intensément et le nom de Ianoukovitch pourra être prononcé sans susciter rien d'autre qu'une sorte de vague regret mêlée de nostalgie pour soi et de tristesse pour l'Ukraine.

L'Histoire va embarquer les rêves d'aujourd'hui et dans son cours, probablement, va-t-elle les noyer un par un.

Mais pour l'instant, le temps des espérances, on a envie d'y croire.

Pour l'instant, l'exaltation démocratique, la solidarité qui s'est délivrée, le courage de la multitude sont un don qui a été fait à un monde trop morose pour faire le difficile.

Pour l'instant, Ianoukovitch est un personnage détestable que sa conférence de presse, en Russie, n'aura pas grandi mais bien au contraire rendu plus haïssable encore (20 minutes, Le Monde, Le Figaro).

Pour l'instant, il y a des allégresses, des paroxysmes qui ont le droit de s'abandonner au ressentiment, à la colère, au soulagement immense, mieux même, à la volonté de justice d'autant plus que le sort, grâce à sa fuite, n'aura pas fait de lui un martyr paradoxal à la Ceaucescu.

Pour l'instant, il est doux, bon d'imaginer l'avenir sous d'heureux auspices.

Peut-être qu'on déchantera mais l'enchantement tumultueux et libérateur, aujourd'hui, n'est que promesse et pour rien au monde, on n'aurait voulu le manquer, ne pas en être les témoins stupéfiés et ravis. Le printemps ukrainien, pour l'instant, n'est pas un vain mot.

Il faut goûter, sans attendre, les plats car l'Histoire ne les repasse jamais, les pires comme, hélas aussi, les meilleurs.


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