Justice à la traîne, délais raisonnables...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/09/2015
Un homme accusé du meurtre d'un policier et condamné à 20 ans de réclusion en 2011 a été remis en liberté parce que son affaire n'avait pas encore été fixée devant la cour d'assises d'appel au bout de quatre années (Le Figaro).
Dans un délai raisonnable.
Une femme - "la veuve noire" - condamnée à 30 années de réclusion criminelle, en 2010, pour homicide volontaire a été remise en liberté parce que depuis plus de 5 ans, l'appel n'avait pas encore été programmé.
Dans un délai raisonnable.
Comment ne pas comprendre l'indignation des familles, des proches et de la police et, au-delà, l'émoi public devant ces décisions prenant acte de l'infinie lenteur de certains audiencements et en tirant les conséquences au risque de provoquer ou de surprendre ?
En même temps, l'exigence de délais raisonnables est fondamentale et probablement, la carence de la justice pénale sur ce plan est-elle la cause principale du manque de confiance des citoyens, de la société à son égard. Un tel défaut de fiabilité apparaît en effet rédhibitoire et on n'aurait pas dû avoir besoin de l'Europe pour que notre justice nationale soit attentive à l'obligation de rapidité et d'efficacité, voire obsédée par elle.
Parce que les jugements ou les arrêts même les plus équilibrés et pertinents sont frappés de suspicion ou de ridicule quand ils surviennent trop tard, trop longtemps après la commission des délits ou des crimes.
Dans l'arbitrage à opérer entre le délai raisonnable et des incarcérations à prolonger, sauf à accepter la fuite des accusés concernés, il n'est pas concevable de choisir un terme au détriment de l'autre mais il faut tenter dans la pratique de réduire la menace du premier pour que les secondes ne soient pas battues en brèche.
Il me semble que l'imagination devrait prendre le pouvoir judiciaire. En effet je ne suis pas sûr que le dispositif et les instances de contrôle d'aujourd'hui soient les plus efficients et légitimes pour répondre au défi d'une justice qui n'a pas le droit de se laisser déborder par le temps.
Les chambres de l'instruction qui ont décidé les remises en liberté et plus généralement le judiciaire sont-ils les plus adaptés à l'urgence, à la réactivité et à la vigilance ? Certes il y a les démarches des avocats et leur conscience professionnelle qui, le délai raisonnable écoulé, sollicitent la juridiction compétente mais je considère que nous devrions inventer des signaux et des alertes qui, en permanence, seraient susceptibles de mobiliser l'appareil judiciaire face à des scandales ou des aberrations prévisibles.
Entre le politique et le judiciaire, un niveau aujourd'hui absent devrait être créé. Entre le judiciaire et le judiciaire également.
La Justice dispose certes d'un corps d'Inspection mais officiel, lourd, guère réactif et peu mobile. Il est à la rigueur adapté pour les dysfonctionnements ostensibles ou les suspicions disciplinaires. Il convient que la réalité lui ait déjà fait signe en quelque sorte.
Pourquoi ne pas innover en mettant sur pied des brigades rapides, efficaces, sur la brèche, dégagées de tout corporatisme, pluralistes, impartiales qui sillonneraient la France judiciaire et s'attacheraient à un contrôle professionnel strict, notamment sur le plan des délais ? Elles se contenteraient de cibler ce que l'intensité du quotidien a masqué.
L'être aimé est trop près, a dit Jacques Chardonne.
Les tragédies judiciaires proviennent souvent du fait que la justice, trop proche de ceux qui la rendent, n'est plus observée ou scrutée dans sa réalité, dans ses dérives. Un regard extérieur lui ferait du bien. J'imagine des vibrions, des mouches du coche qui seraient initialement mal acceptés mais qui à force, rassureraient.
Dans les deux exemples que j'ai cités, ces contrôleurs auraient, ici ou là, depuis belle lurette tiré le signal d'alarme.
J'ajoute qu'avec de tels auxiliaires fonctionnant en temps réel, un garde des Sceaux serait naturellement informé de ce qui, à court, moyen ou long terme, devrait mobiliser son énergie et ses moyens d'action.
Si j'osais, je dirais aussi que ces gardiens du délai raisonnable pourraient être aussi ceux du bon sens et d'une digne opportunité. Je lis qu'un homme âgé de 87 ans, atteint de la maladie de Parkinson, va être jugé après un premier renvoi pour avoir aidé son épouse malade à mettre fin à ses jours en 2011 (Le Parisien).
Peut-être un mot aurait-il pu être glissé dans l'oreille de la justice à ce sujet ? Il y a des abstentions qui ne sont pas des démissions.
Une institution ne peut pas tout faire : agir et se regarder agir.
Qu'elle garde le beau rôle et laisse l'autre à ceux qui peut-être ne la ménageront pas.