Les lycées et collèges interdits de débats ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 8/01/2013
Alors, comme çà, les débats sur les questions de société seraient interdits dans les lycées et collèges… Les trouillards incompétents qui « gouvernement » ont tellement peu d’idées qu’ils ont peur de celles des autres, et notamment des plus jeunes.
1/ Le dangereux mythe de la neutralité
Sarko avait commencé avec une loi sur l’encadrement des mineurs, et Hollande proclame l’interdiction du débat dans les lycées et collèges. Nos chères petites et chers petits doivent être de bons élèves qui apprennent bien les leçons des gentils professeurs, mais attention aux débats sociaux et aux idées qui passionnent. Ce sont des virus dont il faut protéger nos chérubins, et pour cela on a trouvé le remède absolu : la neutralité.
Sauf que ça ne marche pas. L’enseignant est bien sûr en faute s’il cherche à inculquer ses propres opinions, et il doit se tenir à une démarche telle qu’il ne puisse pas être suspecté de partialité. Oki.
Mais, la neutralité n’est pas l’équidistance avec toutes les opinions, comme si toutes avaient la même valeur. Faute de quoi le prof d'histoire devrait présenter comme deux données simplement antagonistes le nazisme et la Résistance. Une heure pour la théorie nazie, une heure pour la Résistance, et à l’élève de se faire une idée ! Non, dans l’enseignement, la neutralité est une démarche engagée, qui entre dans le champ des opinions, apprécie les valeurs, apprend à se forger une opinion en construisant un raisonnement et cultive le respect des opinions.
Quoi, mais c’est horrible,... nos chéris vont être endoctrinés ! Eh bien essayez, et on verra le résultat,… qui, tôt ou tard, sera un splendide coup de pied au cul de l’endoctrineur. Comment peut-on sous-estimer à ce point l’esprit citrique de nos enfants… L’enseignant qui amène des débats d’idées riches et stimulants sera respecté, alors que l’endoctrineur rencontrera l’indifférence ou le mépris, en attendant le conseil de discipline. Il faut laisser passer les idées, permettre à toutes de s’expliquer, puis faire le tri, discuter la pertinence des raisonnements, identifier les niveaux de connaissances… Chercher à comprendre, c’est toute la mission de l’école. Dans la vie sociale, les mineurs sont confrontés à toutes les idées, toutes les interrogations, toutes les vérités, et on voudrait les passionner pour une école qui ignorerait les débats d’idées, et passerait son temps à célébrer des messes noires à la Déesse Neutralité ?
Ah, mais il y aurait une limite : respecter le programme, s’en tenir au programme ! Or, le mariage gay n’est pas au programme, donc c’est fini, terminé, argument fatal... Eh bien, je ne suis pas d’accord car l’éducation ce n’est pas que le programme scolaire, et on dispose de nombreuses références juridiques qui définissent le vrai droit à l’éducation. Alors, respectons la loi.
2/ Le droit à l’éducation
En droit international
Le droit à l’éducation est défini par l’article 29 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, dont les dispositions sont applicables en droit interne dès lors qu’elles sont assez précises (Conseil d’Etat, 6 octobre 2000, n° 216901 et 18 octobre 2000, n° 213303).
Alors, c’est quoi ce droit à l’éducation ? Pas de place pour les débats sociaux ? Voici l’article 19.
« 1. Les Etats parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à :
« a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;
« b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales,et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;
« c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;
« d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone;
« e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel ».
Le sens de cet article a été précisé par le Comité des droits de l’enfant via une publication du 17 avril 2001 (CRC/GC/2001/1). L’idée est que l’éducation doit permettre l’épanouissement de la personnalité, comme un véritable apprentissage de la citoyenneté.
Il s’agit de promouvoir une culture imprégnée des valeurs appropriées relatives aux droits de l’homme.
« 2 (…) L’éducation à laquelle chaque enfant a droit est une éducation qui vise à doter l’enfant des aptitudes nécessaires à la vie, à développer sa capacité à jouir de l’ensemble des droits de la personne et à promouvoir une culture imprégnée des valeurs appropriées relatives aux droits de l’homme. L’objectif est de développer l’autonomie de l’enfant en stimulant ses compétences, ses capacités d’apprentissage et ses autres aptitudes, son sens de la dignité humaine, l’estime de soi et la confiance en soi ».
L’éducation doit permettre d’apporter au cours de sa vie une réponse équilibrée et respectueuse des droits de l’homme.
« 3. Le droit de l’enfant à l’éducation n’est pas seulement une question d’accès à l’éducation, mais concerne également le contenu de l’éducation. L’éducation dont le contenu est fermement ancré dans les valeurs énoncées au paragraphe 1 de l’article 29 constituera pour chaque enfant un outil indispensable lui permettant d’apporter au cours de sa vie une réponse équilibrée et respectueuse des droits de l’homme aux défis liés à la période de changements fondamentaux dus à la mondialisation, aux nouvelles technologies et aux phénomènes connexes ».
Les enfants doivent être préparés à jouer une jouer un rôle de réconciliation, sur des antagonismes anciens qui divisent les sociétés.
« 4. Conformément au paragraphe 1 de l’article 29, les États parties conviennent que l’éducation doit viser toute une série de valeurs. (…) De plus, les enfants peuvent jouer un rôle privilégié dans la réconciliation d’un grand nombre de différences qui ont de longue date séparé les groupes de population les uns des autres ».
A ce titre, il convient d’encourager l’enfant à exprimer ses opinions librement.
« 8. Ainsi, les efforts visant à encourager l’exercice d’autres droits ne doivent pas être entravés mais doivent être encouragés grâce aux valeurs inculquées dans le cadre du processus d’éducation. Il s’agit à cet égard non seulement du contenu des programmes scolaires, mais également des processus d’éducation, des méthodes pédagogiques et du milieu dans lequel l’éducation est dispensée, qu’il s’agisse de la maison, de l’école ou d’un autre cadre. Les enfants ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux du seul fait qu’ils franchissent les portes de l’école. Ainsi, par exemple, l’éducation doit être dispensée dans le respect de la dignité inhérente de l’enfant et doit permettre à l’enfant d’exprimer ses opinions librement conformément au paragraphe 1 de l’article 12 et de participer à la vie scolaire ».
En définitive, l’objectif fondamental de l’éducation est le développement de la personnalité individuelle.
« 9. (...) Conformément à l’accent placé dans la Convention sur l’importance d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, cet article repose sur la notion d’éducation axée sur l’enfant, à savoir que l’objectif fondamental de l’éducation est le développement de la personnalité individuelle des dons et des aptitudes de l’enfant, reconnaissant le fait que chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d’apprentissage qui lui sont propres. En conséquence, les programmes scolaires doivent être pleinement adaptés au milieu social, culturel, environnemental et économique de l’enfant ainsi qu’à ses besoins présents et futurs et doivent être conçus en fonction de l’évolution des capacités de l’enfant; les méthodes d’enseignement doivent être adaptées aux différents besoins de chaque catégorie d’enfants ».
A ce titre, le milieu scolaire doit promouvoir des valeurs et des politiques favorables au respect des droits de l’homme.
« 19. En outre, le milieu scolaire lui-même doit ainsi être le lieu où s’expriment la liberté et l’esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone (…) L’expression «éducation dans le domaine des droits de l’homme» est trop souvent employée dans un sens très réducteur. L’important, outre l’éducation formelle dans le domaine des droits de l’homme, est de promouvoir des valeurs et des politiques favorables au respect des droits de l’homme, non seulement dans les établissements scolaires et les universités, mais également au sein de la communauté dans son ensemble ».
En droit interne
Le droit international, c’est bien joli, me direz-vous, mais c’est de l’agitation intellectuelle. Non, la Convention peut être invoquée en droit interne – j’ai cité la jurisprudence du Conseil d’Etat – et d’ailleurs le droit interne a intégré cette approche. Ce but émancipeur de l’éducation est proclamée par le premier article du Code de l’éducation, l’article L. 111-1.
« L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances.
« Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. L'école garantit à tous les élèves l'apprentissage et la maîtrise de la langue française.
« Dans l'exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs.
« Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté.
« L’expression des idées est protégée par le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, dès lorsqu’elle ne porte pas atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité.
Aux termes de l'article L. 511-2 du code de l'éducation :
« Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement. »
Selon l’article R. 421-5, le règlement intérieur détermine les modalités selon lesquelles sont mis en application (1°) la liberté d'information et la liberté d'expression dont disposent les élèves, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité. Seule une atteinte grave aux droits d'autrui et à l'ordre public peut justifier la remise en cause de la liberté d'expression, garantie par les dispositions précitées de l'article L. 511-2 du code de l'éducation ».
Je conclus par quelques extraits de la circulaire n° 91-052 du 6 mars 1991 sur les droits et obligations des élèves.
« L'exercice des droits et obligations des élèves est inséparable de la finalité éducative des établissements scolaires et ne prend son sens qu'en fonction de celle-ci. Il a en effet pour but de préparer les élèves à leur responsabilité de citoyen. La mise en œuvre de ces droits et obligations ne peut s'exercer que dans le respect des principes fondamentaux du service public et, en particulier, ceux de laïcité et de gratuité.
« L'apprentissage de la citoyenneté et de la responsabilité doit être progressif depuis l'entrée au collège jusqu'aux années de lycée où de nombreux élèves ont atteint l'âge de la majorité. Ainsi, à toutes les étapes de la scolarité, l'exercice de leurs droits et le respect corrélatif de leurs obligations accoutument les élèves à assumer leurs responsabilités et contribuent à transformer leurs relations avec le reste de la communauté scolaire ».
* * *
Ce n’est donc pas une question de public ou de privé. C’est une question d’apprentissage de la liberté d’expression, alors, il faut juste souhaiter que les débats vont se généraliser. Sans idées, sans débats, on étouffe.