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Mourir à Strasbourg, s'indigner en France !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/05/2018

Ce n'est pas de la démagogie de ma part. Non pas tous responsables tous coupables. Mais je n'apprécie pas quand la légitime mise en cause individuelle tourne trop aisément en un "lynchage" qui n'a pour but que de nous faire oublier nos propres turpitudes. Il ne faudrait pas que mourir à Strasbourg et s'indigner en France nous arrête à notre seule émotion vindicative.

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Il y a des héroïsmes qui interdisent par décence qu'on les mêle à une quotidienneté trop réaliste.

Mais il y a aussi des tragédies qui permettent à chacun de se défouler, contre une grave faute individuelle, dans une indignation générale.

Le 29 décembre 2017, une jeune femme de 22 ans, Naomi Musenga (NM) est décédée à 17 heures 30 au Nouvel Hôpital civil de Strasbourg des suites d'une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique".

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Un enregistrement audio a été diffusé il y a quelques jours sur le site d'information local alsacien Heb'Di. D'où le scandale.

Le 29 décembre, NM se plaint de très vives douleurs. "Elle appelle à l'aide. A l'autre bout du fil l'opératrice du centre de traitement des appels qui appartient aux pompiers et la régulatrice du SAMU se moquent d'elle. "La dame que j'ai au bout du fil, elle a appelé la police...C'est parce qu'elle a la grippe, c'est ça...Elle m'a dit qu'elle va mourir ; et ça s'entend qu'elle va mourir". Dialogue indécent et moqueur ponctué de gros rires.

NM ne parvient pas, avec une voix très faible, à expliquer ce dont elle souffre. La régulatrice s'énerve : "si vous ne me dites pas ce qu'il se passe, je raccroche..." et comme elle entend : "J'ai très mal, je vais mourir", elle lui réplique brutalement : "Oui, vous allez mourir un jour comme tout le monde, OK ? Vous appelez SOS Médecins, je ne peux pas le faire à votre place".

Selon les Dernières Nouvelles d'Alsace, NM a tenté à trois reprises d'appeler SOS Médecins mais se trompe en tapant le numéro. Elle parvient cependant à alerter un proche qui se rend chez elle. Appel infructueux au SAMU. Puis SOS Médecins enfin. Le médecin arrive entre 14 et 15 heures et alerte immédiatement le SAMU qui envoie une ambulance. NM est conduite aux urgences adultes où elle meurt peu après (Le Monde).

Ce terrible enchaînement de circonstances, d'abstentions, de dérision, de mépris et d'actions tardives a abouti à une catastrophe qui légitimement a suscité compassion collective et indignation totale. Haro sur cette unique coupable, cette régulatrice du SAMU, "effondrée" et "qui a pris conscience de la gravité de ce qu'elle a fait", selon une source syndicale du CHU de Strasbourg qui s'est entretenue avec cette salariée présentée comme "expérimentée".

L'intolérable a été le ton méprisant et moqueur avec lequel elle a traité cet appel au secours sans percevoir une seconde son extrême urgence. Cette attitude a été en effet gravissime puisqu'elle a sans aucun doute différé un processus dont on n'est même pas sûr qu'il aurait été salvateur.

La régulatrice concernée a été suspendue à titre provisoire par la direction des Hôpitaux Civils qui a mis en branle une enquête administrative.

Une enquête judiciaire a été ordonnée pour non-assistance à personne en danger dont une stricte application du texte n'induira pas forcément la validité de cette qualification pénale.

La ministre de la Santé a dénoncé immédiatement de "graves dysfonctionnements" et a demandé à l'IGAS de faire la lumière sur les péripéties à l'issue desquelles NM est morte.

La famille de NM va également porter plainte pour mise en danger de la vie d'autrui.

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Ce cumul de démarches n'a rien de choquant. Il manifeste, après la tragédie et une forme d'incurie, qu'à la fois il convient de prendre la juste mesure de la première et de dénoncer la seconde qui n'a été le fait que d'une régulatrice justement blâmée mais peut-être devenue aussi un bouc émissaire idéal de toutes nos imperfections, faiblesses et peut-être racisme. Comment ne pas apprécier à ce titre la réaction digne de la famille de NM qui refuse de "charger" la fautive mais a souffert d'un manque de considération ? (Le Figaro)

Il ne s'agit en aucun cas de noyer ce mauvais comportement professionnel dans une responsabilité générale qui mettrait chacun de nous au banc des accusés.

Mais je ne peux pas m'empêcher de retenir que selon différentes sources syndicales, à cette période des fêtes de fin d'année, les opérateurs traitaient entre 2 000 et 3 000 appels par jour, que certains étaient des canulars et que la tension nerveuse qui sert souvent à exonérer les privilégiés et les hauts responsables de débordements répréhensibles pesait donc également sur cette régulatrice.

Difficile aussi de reléguer les contraintes et parfois les insuffisances structurelles d'un système. On n'est jamais coupable totalement toute seule.

Je ne suis pas persuadé que face à un drame de même nature mais dans lequel aurait été impliqué tel ou tel membre de la France d'en haut il y aurait eu cet opprobre, cette conscience et dénonciation unanimes, cette volonté précipitée de sanction et un peu ce mépris à rebours.

Ce n'est pas de la démagogie de ma part. Non pas tous responsables tous coupables. Mais je n'apprécie pas quand la légitime mise en cause individuelle tourne trop aisément en un lynchage qui ne vise qu'à faire croire à l'existence, ailleurs, de comportements professionnels irréprochables. Alors que l'imperfection, l'usure, l'approximation, les défaillances et le manque d'urbanité sont loin d'être rares mais qu'heureusement, à tout coup, la mort ne les assombrit pas.

Il ne faudrait pas que mourir à Strasbourg et s'indigner en France nous arrête à notre seule émotion vindicative.


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