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Une lettre d'adieu qui nous en dit long...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/04/2015

Jean Germain est mort suicidé dans son garage. Avec une lettre d'adieu qui nous en dit long. Continuer de penser et de ne pas agir comme si elle n'existait pas serait une trahison.

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Au moment où j'étais décidé à écrire sur la bonne leçon donnée à la RATP par politiques, citoyens et médias pour une fois accordés et donc décisifs - ce qui nous incite à réfléchir à un tel système pour l'avenir, quand le bon sens et la justice seront offensés -, j'ai appris le suicide de Jean Germain.

Intervenant sur Europe 1, au Journal de Wendy Bouchard, en compagnie du ministre Rebsamen, d'Olivier Duhamel et de Laurent Baumel, puis dialoguant plus tard avec Alba Ventura, j'ai perçu cette terrible évidence : parler d'un suicidé, l'ancien maire de Tours, sénateur socialiste, qui aurait dû comparaître le 7 avril devant le tribunal correctionnel de Tours pour complicité de prise illégale d'intérêts dans l'affaire dite des "mariages chinois", est à la fois le comble de l'impudeur et l'opportunité d'un questionnement honorable.

D'autant plus que Jean Germain, cette personnalité intègre pour tous ceux, amis, proches et collègues qui le connaissaient et le côtoyaient, soucieux d'exemplarité et de morale, attaché à l'image qu'il donnait de lui et veillant à ce que sa famille et ses concitoyens en soient fiers et jamais désabusés, nous a laissé une lettre d'adieu qui, quoique brève, est très explicite.

Infiniment touchante parce que juste avant son dernier geste, Jean Germain a eu conscience de la peine et du chagrin qu'il allait causer et, en même temps, a exprimé son indignation devant ce qu'on pourrait appeler, en ne trahissant pas son humeur ultime, la chasse aux politiques.

J'étais persuadé que cette interprétation viendrait et elle n'a pas manqué.

Je ne partage pas cette impression dominante, dans les propos attristés d'une part de la classe politique, d'une sorte de justice vindicative, partisane et unilatérale qui serait peu ou prou impliquée dans cette catastrophe humaine. Il est hors de question d'exploiter ce suicide dans un sens qui viserait à délégitimer, dans tous les cas, l'offensive honorable et compétente des juges contre les transgressions municipales, départementales, régionales et nationales - contre les délits et les crimes de quelque pouvoir que ce soit, de ses collaborateurs, de ses serviteurs.

J'espère aussi n'être pas naïf ni complaisant quand je récuse ce qui sourd de l'angoisse du sénateur : que les réquisitions soient politiques et qu'il soit forcément condamné. Avec beaucoup de mélancolie et toute dignité conservée à son égard, je soutiens qu'il a eu tort même si je comprends trop bien ce que l'inquiétude fait dire et ce qu'une morale qui s'affirme honteusement désavouée se laisse aller à déclarer.

Il n'est pas nécessaire, pour réfléchir sur ce désastre intime, de dénier la valeur démocratique de l'action de la justice dans ces domaines sensibles. Il est clair que le message de Jean Germain, avec d'autant plus de force qu'il le signe de sa mort, renvoie à une responsabilité à la fois médiatique et judiciaire. On n'est pas obligé de tirer de son suicide la preuve absolue de son innocence pour s'interroger sur les prudences, les précautions dont l'appareil judiciaire devrait faire preuve en certaines circonstances. J'entends bien que le principe de l'égalité de tous devant la loi est républicain, et je n'abuse pas de cet adjectif.

Cependant, je suis convaincu que dans le monde composite qui va devoir affronter le processus pénal, sa rigueur, ses contraintes mais aussi ses garanties, il y a des rectitudes, des intégrités, des honneurs tels qu'une forme de délicatesse et de retenue devrait être adoptée. Je ne sais comment. Mais à l'évidence il est absurde d'appliquer la même grille et le même corset, avec la même implacable homogénéité, à un Jean Germain qui va mourir de honte puis se tuer et à un quidam habitué à être comme chez lui dans l'univers des crimes et des délits.

Qu'on ne vienne pas, au mieux, me reprocher cette utopie, au pire m'agonir d'injures comme si je n'étais plus un inconditionnel de notre sacro-sainte égalité. Je lance une piste et j'ouvre un chemin. Coupables ou innocents, tous les présumés innocents, sauf à perdre des réputations, des vies et à mélanger le bon grain fortuitement sali et l'ivraie abondamment souillée, ne devraient pas être mis dans le même sac procédural. La justice, si elle est rigoureuse, ne peut se dispenser de l'équité et il n'est pas de plus belle définition de cette dernière que celle d'Aristote : traiter également les êtres égaux.

Il ne faut pas avoir peur non plus, pas plus que Jean Germain, dans un courage inouï de désespéré de la vie, n'a eu peur, d'aborder ce qui me semblerait dorénavant, pour une justice digne de ce nom, devoir être radicalement écarté. Les dénonciations anonymes, les missives venimeuses, les accusations intéressées ou stipendiées de "corbeaux" - ces libelles qui trop souvent sont à l'origine des procédures politico-judiciaires et aboutissent, pour le meilleur, à une justice souvent déloyale, au pire, à une justice indirectement meurtrière.

Certes, se priver de ces aubaines, dont il convient de reconnaître que leur perversion est parfois tristement emplie de vérité, fera perdre de la substance à la justice. Elle sera moins irriguée par ce biais dégradant et peut-être cela contraindra-t-il l'autorité de poursuite à être plus réactive, plus vigilante, moins dépendante ?

Ces poisons ne sont pas à confondre avec la fermeté civique qui n'hésite pas à prévenir les autorités, comme il se doit, des crimes et des délits dont la connaissance est venue à des tiers exemplaires.

Pour finir, sans entrer dans le débat sur le maintien ou non du juge d'instruction - cette fonction a été sauvée pour longtemps, par une ironie amère, paradoxale, par les effets délétères de l'action guère conforme à l'état de droit du couple Sarkozy-Courroye - je voudrais attirer à nouveau l'attention sur une proposition qui avait été formulée il y a longtemps par Jacques Toubon.

Je serais en effet très partisan, avant de décider du renvoi d'un mis en cause devant le tribunal correctionnel, à l'issue de la procédure d'enquête et d'instruction, d'un débat public et contradictoire qui validerait ou non le caractère suffisant et pertinent des charges. J'incline à considérer que la transparence, à ce moment crucial, quand il s'agit de sceller le sort d'une comparution ou non, sera un gage de qualité et de lucidité.

Jean Germain est mort suicidé dans son garage. Avec cette lettre d'adieu qui nous en dit long.
Continuer de penser et d'agir comme si elle n'existait pas serait une trahison.


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