Titre de séjour des enfants étrangers : Jeunesse et justice, acte 1 ? (466)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 13/05/2012
L’histoire de Fahim Mohammad, bengali de 11 ans proclamé champion de France poussins des échecs, fait la Une de tous les médias. Certes il n’est pas le premier étranger à remporter une compétition nationale, mais il souffre d’un handicap majeur : être en situation irrégulière. Comme le premier ministre sortant François Fillon s’y était engagé, cet enfant a obtenu de pouvoir séjourner en France, sachant que mineur il n’est pas expulsable. Il va surtout disposer de papiers lui permettant de circuler de par le monde et donc … d’intégrer au plus tôt l’équipe de France. Il ne manque plus que l’accord de la Fédération bengalie pour qu’il puisse jouer sous les couleurs de la France, mais ce feu vert ne devrait pas faire défaut. Dans la foulée, logiquement, son père présent auprès de lui obtient un titre de séjour de 2 mois avec autorisation de travail. S’il trouve du travail il se verra accordé un titre de séjour valable, cette fois, pour un an.
Laurent Cathala, député et maire de Créteil, déclare vouloir s’y employer en offrant un emploi municipal à M. Nura Alam. Il veillera aussi à ce que les Mohammad ait enfin accès à un appartement quand jusqu’ici ils avaient des accueils précaires, des hôtels sociaux ou plus récemment des familles d’accueil, après avoir vécu le pire, dixit Fahim, en passant une nuit dans la rue quand l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) ont rejeté en août 2010 les demandes de titre de séjour du père et du fils, la femme et deux enfants de Nura Alam demeurant toujours au Bangladesh.
Depuis quatre ans – une éternité pour un enfant – tous deux sont en France en situation irrégulière. Fin 2008, Fahim et son père débarquent en France en avion “avec un passeur qui nous a repris ensuite les passeports”, se remémore-t-il. Ils ont fui le Bangladesh pour des problèmes politiques. “Mon père était dans le clan qui a perdu les élections présidentielles. Ils l’ont menacé de s’en prendre à moi.” Fahim était déjà doué pour les échecs. Il dit avoir retenu de cet épisode qu’“ils ne voulaient pas que je joue bien aux échecs. Ils étaient jaloux”.
Dès l’âge de 5 ans, il gagne la plupart des tournois qu’il dispute. Pas étonnant qu’une fois arrivés à Paris, son fils étant doué, le premier réflexe de Nura Alam fut d’inscrire son fils à un tournoi d’échecs. A 8 ans, il remportait en France la compétition réservée aux moins de 20 ans. Un entraîneur le repère et lui conseille d’aller faire un tour dans un club où évoluent des jeunes du plus haut niveau français. Là, Xavier Parmentier, entraîneur durant vingt ans de l’équipe de France des jeunes, le repère rapidement et le prend sous son aile.
Fahim va donc pouvoir partir à la conquête d’un titre européen, voire mondial, sous les couleurs de la France. Une pépite au vu des titres déjà décrochés que la France privée de pétrole ne pouvait pas laisser passer ! Heureusement pour lui et son père Fahim n’a pas tremblé gambergé le 21 avril malgré l’enjeu et a bien a conquis le champion de France qui vaut aujourd’hui bien plus qu’une victoire sportive. Outre la coupe de champion de France il a décroché le sésame : un CDEM document de circulation pour enfants mineur. On a pu sortir de l’impasse du dossier de demandeur d’asile pour aller vers le droit commun du séjour.
Entre-temps Fahim a pu être scolarisé somme toute très vite. A l’entendre sur les antennes on a pu qu’il possède parfaitement le français par-delà ses autres qualités.
Voilà donc un petit conte de fée qui peut rapporter … à la France de beaux titres pour un coût somme toute modeste.
Ce ne sera pas le premier. En athlétisme ou en boxe, pour ne prendre que deux exemples, nous avons déjà décroché la timbale olympique et mondiale en sachant régulariser de jeunes étrangers.
Cette belle histoire parle d’autant plus au juge des enfants de Bobigny que je suis qu’elle illustre bien le propos (faussement) cynique que je tiens tous les jours aux jeunes étrangers isolés que je reçois sur les 500 que j’ai en charge chaque année. Cette séquence se situe à la fin de l’audience qui dure généralement 30 mn où généralement est maintenu le mandat donné à l’Aide sociale à l‘enfance ou à une structure associative.
« Pour être régularisé en France il te faut déjà convaincre le préfet, la même qui peut prendre à ta majorité un ordre de reconduite à la frontière, de mettre ton dossier dans la bonne pile.
Il le fera sur trois critères
Les deux premiers sont objectifs :
1°Qui est-tu ? As-tu des documents qui le prouvent ? ». Nombre de jeunes ne disposent que d’un acte de naissance. Certains papiers ont toutes les apparences de vrais, parfois trop. « D’où mes questions initiales sur tes papiers. Cette condition est remplie ou le sera bientôt ».
Je poursuis : « 2° Il ne faut pas que tu ne troubles pas l’ordre public.» A 99,99% les mineurs étrangers isolés ne violent pas la loi. Je le regrette parfois, mais je m’interdis de leur dire qu’il suffirait qu’ils commettent quelques délits – mineurs cela va de soi ! – comme par exemple de consommer à leur faim dans une grande surface pour que la police les interpelle, pour que le parquet (éventuellement) les poursuive et pour que le juge des enfants puisse sans difficulté les confier à la PJJ obligée, pour le coup, de les accueillir. Au final, ils ne seraient pas condamnés, état de nécessité oblige ! Las, aucun d’eux ne développe cette stratégie. Ainsi tous ces jeunes sans papiers que nous avons vu s’agglutiner au tribunal lors du conflit aiguë entre le conseil général de la Seine Saint Denis et l’Etat durant le dernier trimestre 2011 n’a commis le moindre délit quand l’Etat, qui les tenait pour être en danger, ne trouvait pas mieux que de leur donner en fin d’après midi, un ticket de restaurant et un ticket de métro pour rejoindre Paris. Ces jeunes préféraient dormir dans les buissons du tribunal pour y revenir au petit matin afin de tenter – parfois avec succès - d’être pris en charge et enfin scolarisés.
« Tu ne poses aucun problème d’ordre public. La deuxième condition est remplie ». Les travailleurs sociaux présents opinent alors.
Je reprends ma péroraison avec ou sans l'aide d'un interprete.
« Reste la troisième condition plus subjective. il faut que le préfet est estime que, si ton intérêt est bien de rester en France comme tu l’avances, celui de la France est de te garder ici ! Donnant-donnant. Il ne veut pas, et c’est compréhensible, que tu ailles enrichir le lot des quelques 3 ou 4 millions de chômeurs – selon les statistiques utilisées - que compte ce pays. En qui seras-tu utile à la France ? Il faut que tu choisisses une orientation professionnelle dans un domaine dans lequel se trouvent les quelques 300 000 emplois vacants.«
Et là systématiquement, pour illustrer mon propos sur ce donnant-donnant, j’en viens toujours à leur dire : « Si tu nous offres la perspective d’une médaille même de bronze, a fortiori d’argent ou d’or aux Jeux Olympiques de Londres, tu seras régularisé dans les 15 jours et d’ici un mois tu auras la surprise de découvrir que ton grand-père était français comme finalement ton père. Et tu deviendras français dans la foulée. La France est prête à vendre son âme pour une médaille ! »
Ce discours est malheureusement réaliste. Sauf pour ceux qui revendiquent et sont reconnus comme relevant de l’asile – 7% des demandeurs –, les enfants étrangers qui arrivent non accompagnés en France n’ont pas tous vocation à être régularisés. Beaucoup le seront, mais il est impensable politiquement d’affirmer qu’ils le seront tous, surtout pour ceux qui ont 17 ans, au risque de créer un appel d’air type effet Sangatte, lié à l’idée que ces étrangers se font de leur possibilité dé séjourner en Grande Bretagne si jamais ils parviennent à franchir la Manche. On peut le regretter, mais la France, pas plus qu’aucun pays, ne régularisera tous les enfants étrangers présents sur son territoire. Il est difficile de faire autrement et encore plus de le dire publiquement.
Dans la plupart du temps nous parvenons à obtenir cette régularisation sans pour autant que le jeune soit un grand sportif ou un artiste. Il ne veut pas devenir français, en tous cas pas pour l’instant, mais vivre ici, étudier et se former pour nourrir sa famille. Devenu majeur il sera pris encore aidé par l’aide sociale à l’enfance comme jeune majeur et s’inscrira généralement en France, quitte à terme à devenir français.
Reste qu’il faudra bien un jour sortir de l’arbitraire dans lequel nous nous trouvons pour les enfants qui demandent de l’aide car tous les enfants qui viennent chez nous ne sont pas des Mozart. Et pourtant ils méritent aussi d’être traités dignement.
Aujourd’hui ils sont des centaines, pour ne pas dire des milliers être dans l’attente d’une réponse administrative. Certains sont dans des institutions, d’autres sont nos enfants des rues
S’il est évident que tous ceux qui se prétendent mineurs ne le sont pas, nombre de moins de 18 ans sont réellement sans parents, isolés en France, victimes de leur naissance, mais aussi de l’incapacité des pouvoirs publics français de s’accorder sur un dispositif qui les prennent en compte.
Pas question de mettre en place un dispositif spécifique comme s’il y avait d’un coté les enfants étrangers isolés et de l’autre les enfants nés en France. Ce serait discriminatoire. Certains déroutés par ces problèmes nouveaux posés par ces enfants y appellent, oubliant que l’action sociale dans notre histoire a su faire face à la survenue régulière de bien des problématiques nouvelles.
Pour autant il faut s’organiser au regard des spécificités de ces situations (interprétariat, connaissance des pays et des cultures d’origine, accompagnement psychologique, etc.) à travers des plates-formes régionales dans la mesure où ces moyens ne peuvent pas être mobilisés dans tous les départements où ils sont découverts.
Ces plates-formes doivent disposer d’un peu de temps quand aujourd’hui en une heure il est apprécié si les jeunes qui se présentent sont mineurs au risque de supporter l’accusation de discrimination au faciès. Si le jeune est porteur de papiers ceux-ci conformément à la loi doivent faire foi, sauf à ce qu’un service de police en conteste la validité et à ce qu’un magistrat retienne cette analyse. Terminons-en, surtout pour les 17-19 ans, avec cette expertise osseuse dont chacun sait qu’elle n’est pas fiable à 18 mois près car fondée sur des tables datant d’une autre époque et des références anthropologues prises qui répondent en rien aux morphotypes d’aujourd’hui. Pour se prononcer sur l’identité et l’âge un autre protocole bénéficiant d’un consensus doit être élaboré et suivi. Quitte à assumer de ne pas accepter ce qui est alléguer afin de rester crédibles.
Ces plates-formes doivent disposer de possibilités de mise à l’abri quelques jours, le temps de procéder à ces évaluations et de chercher à nouer une relation de confiance avec ces jeunes qui sont sur un itinéraire difficile, souvent dramatique, tenus par une obligation loyauté à l’égard de leur famille ou de leur communauté, quand ils ne sont pas sous la menace de passeurs.
Cette première phase d’accueil-évaluation doit être prise en charge par l’Etat compétent pour accueillir les personnes sans domicile et responsable de l’entrée et du séjour sur le territoire national. Il peut s’appuyer sur les conseils généraux et sur le réseau associatif comme c’est aujourd’hui le cas … quitte à en assumer les frais.
Une fois tenus pour mineurs, ces jeunes doivent être pris en charge par le dispositif de protection de l’enfance de droit commun car ici un enfant isolé est par définition en danger. Puis le juge aux affaires familiales sera saisi pour organiser l’exercice de l’autorité parentale à travers une délégation ou une tutelle selon que les parents sont tenus pour vivants ou disparus. Dans cette phase, tous les départements de France doivent être mobilisés. Déjà financièrement par une péréquation nationale : un fonds nouveau peut être créé ou un fonds existant utilisé à cet effet. Surtout l’orientation soit s’appuyer sur un maximum d’établissements ou de familles d’accueil de France pour des jeunes qui, somme toute, ne présentent guère de problème majeur de comportement, même si l'éloignement de la famille et les traumatismes supportés pour en arriver là ne sont pas toujours sans impact.
A tout le moins celles des jeunes personnes qui ne seraient pas tenues pour mineures ou n’être pas en danger doivent voir leurs droits respectés : il faut leur notifier par écrit les raisons pour lesquelles on les renvoie du dispositif de protection de l’enfance, leur expliquer leurs recours et veiller à les mettre en relation avec des avocats. Déjà, faut-il ajouter, il faut les orienter et pas seulement ne leur donnant une adresse sur une structure d’accueil pour majeur. Ces jeunes sont des personnes humaines. On l’oublierait même dans des organismes dits caritatifs.
Reste qu’il faut aussi ne pas être angélique : ceux qui ne sont pas tenus pour mineurs ne peuvent pas être pris en charge par le dispositif de protection de l’enfance, sauf à discréditer l’action engagée pour ceux qui sont réellement mineurs. Les jeunes non pris en compte peuvent être expulsés et de fait certains le seront. S’ils ne veulent pas quitter le territoire français ils doivent assumer de vivre dans la clandestinité.
L’histoire de Fahim qui lui n’est pas isolé en France permet de remettre en exergue un dossier délicat mal-traité récemment par les pouvoirs publics français que le nouveau gouvernement ne pourra pas négliger tellement est fort le malaise dans les conseils généraux entre les politiques et leurs travailleurs sociaux eux-mêmes divisés, entre les conseils généraux et l’Etat, avec un climat de suspicion à l’égard des certaines associations, s développe sur fond de montée des idées xénophobes ? Les étrangers rendent fous ! Voici quelques semaines un cadre supérieur de l’action sociale départemental n’a-t-il pas dire à son correspondant de Seine Saint-Denis « Vous vous gardez vos bougnoules et vos négres ? Nous n’en voulons pas ».
Depuis le dernier trimestre 2011, avec les meilleures intentions du monde on a remis en place une machine à fabriquer de la clandestinité et cassé une dynamique positive. Ces jeunes refoulés du dispositif social sont à la rue avec tous les risques qui en découlent pour eux et pour la société. L’erreur politique est majeure même si les intentions étaient justes : appeler l’Etat en responsabilités. Il faut reprendre le dossier et retrouver un équilibre satisfaisant fondé sur la confiance et la recherche du bien commun.
D’urgence trois étapes doivent être franchies
1° identifier un responsable politique du dossier. La justice doit-elle conserver le pilotage du dossier ?
2°procéder à un inventaire rapide de l’état du front et surtout du champ de bataille après les événements de l’automne 2011
3°provoquer une table-ronde avec les Conseils généraux ainsi qu’avec les grandes associations concernées sous l’autorité morale et politique de l’Etat qui n’y sera crédible que si d’entrée de jeu il affirme être prêt à assumer pleinement ses propres responsabilités.
Jeunesse et justice, acte 1 !