Le sosie du Texas
Justice au singulier - philippe.bilger, 22/05/2012
Sans doute ai-je laissé passer plus de deux jours, pour la première fois depuis longtemps, entre la publication de deux billets parce que je ne parvenais pas à me décider entre l'ordinaire analyse politique française et un drame américain bouleversant.
Celle-là m'aurait conduit à m'étonner des réactions ironiques de l'opposition devant la diminution des salaires du président de la République, du Premier ministre et des ministres. Il est facile de se moquer quand, en s'en étant abstenu lors de l'exercice du pouvoir, on veut laisser croire que cette avancée est dérisoire. Si elle l'était, et si peu signifiante sur le plan symbolique, pourquoi ne pas l'avoir accomplie alors que l'opinion publique, elle, en a compris la portée en dépit de la misérable polémique sur l'augmentation du nombre de ministres ? Je regrette qu'un Henri Guaino se soit laissé aller à tourner en dérision ce progrès en déplorant qu'on n'ait pas fait travailler le gouvernement pour rien, laissant subsister ses membres avec leurs revenus personnels (BFM) ! Pour la démocratie, j'aurais espéré un consensus sur cette réduction qui a dans tous les cas de l'allure.
Rien à voir, évidemment, avec la tragédie qui s'est déroulée en 1989 au Texas. Carlos DeLuna âgé de 27 ans a été condamné et exécuté pour le meurtre d'une jeune femme, commis en 1983 (Le Parisien, le Télégramme).
Une enquête vient d'être menée, durant cinq ans, par un professeur de droit et ses étudiants. Elle a permis d'établir que DeLuna avait un sosie, Carlos Hernandez, qui demeurait dans la même région et qui avait un casier judiciaire chargé avec notamment des agressions et un vol à main armée. Mais son passé judiciaire n'a jamais empêché qu'il soit traité avec une étrange indulgence par les autorités du Texas.
Le comble, c'est que Carlos DeLuna n'avait pas cessé de protester de son innocence tandis qu'Hernandez à plusieurs reprises a avoué être l'auteur de cet homicide. Incarcéré à nouveau, ce dernier est mort en 1996.
Ces deux hommes se ressemblaient tellement que même leurs proches les confondaient. Le jour des faits cependant, un témoin avait fourni un signalement vestimentaire et physique - moustachu et une chemise grise - qui correspondait à Hernandez mais non à DeLuna : rasé, avec une chemise blanche.
La certitude de l'existence dans le même secteur de ces deux jeunes gens si similaires d'apparence n'avait pas dissuadé le procureur, lors du procès, de prétendre "qu'Hernandez n'est qu'un fantôme né de l'imagination de DeLuca".
Les deux sont morts mais l'un dans la honte, en ayant réclamé justice sans l'avoir jamais obtenue, l'autre en se sachant coupable mais en n'étant pas cru.
Le défaut de conscience, de vigilance, de compétence, quelle catastrophe !
Mais la peine de mort, quelle horreur !