Arche de Zoé, un « immense gâchis »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 10/12/2012
Alain Péligat a consacré plus de trente années de sa vie à l'humanitaire. Professeur dans un lycée technique, il a longtemps dirigé une association qui s'occupe d'orphelinats au Cambodge. Avec son épouse, conseillère principale d'éducation, ils ont élevé sept enfants, dont trois sont adoptés. Le couple est aussi engagé de longue date dans l'accueil temporaire d'adolescents ou de femmes en difficulté.
Lorsqu'en 2007, il a entendu parler du projet de l'Arche de Zoé en faveur des orphelins du Darfour, Alain Péligat a une fois de plus répondu présent. Comme d'autres bénévoles, il s'est envolé pour le Tchad après avoir fait une collecte de matériel et de vêtements auprès de son entourage pour les enfants et rempli le dossier pour devenir famille d'accueil.
Sur place, il a fait ce qu'il a pu pour se rendre utile. Aider à l'intendance, aménager le dispensaire, installer un terrain de foot. Et le 23 octobre 2007, Alain Péligat a été arrêté, avec toute l'équipe de l'Arche de Zoé, au moment où ils s'apprêtaient à embarquer 103 enfants à bord d'un avion pour la France. Prison, procès, condamnation à huit ans de travaux forcés, retour et placement en détention en France jusqu'à l'annonce de la grâce présidentielle accordée par le président tchadien.
Lundi 10 décembre, Alain Péligat a été le dernier prévenu à s'exprimer devant le tribunal correctionnel de Paris qui lui reproche d'avoir "aidé à l'entrée ou au séjour irrégulier avec comme effet, pour des mineurs étrangers, de les éloigner de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel".
- Que pensez-vous de cette opération d'évacuation lamentable? lui demande la présidente, Marie-Françoise Guidolin.
- On est tous responsables. Mais moi, je suis parti pour aider des orphelins!, dit-il en affirmant avoir été convaincu jusqu'au bout que les 103 enfants étaient soudanais.
"Toute cette histoire est un immense gâchis! On était parti pour faire une belle mission. L'humanitaire, c'est toute ma vie! Je suis allé partout, en Roumanie, au Cambodge. Sauver des gamins, c'est ce qu'il y a de plus beau. Ma bonne foi, elle est là, merde! Pour moi, c'était carré, c'était net. Je suis pas juriste, je suis petite main. On avait consulté le collectif d'avocats. Ils nous avaient affirmé qu'à leur arrivée en France, les enfants resteraient d'abord en zone internationale, puis seraient remis à l'aide sociale à l'enfance tant qu'ils n'avaient pas l'autorisation d'entrer sur le territoire. Chaque famille a donné 200 ou 250 euros au collectif d'avocats pour financer la procédure d'autorisation. Si on avait su que c'était complètement illégal, il n'y aurait jamais eu des centaines de familles pour financer l'opération, autant de médecins, d'infirmières ou de pompiers qui se seraient portés bénévoles! Il y avait des gens vraiment bien. Vous n'avez pas 700 personnes qui se sont engagées là-dedans pour commettre un crime! On a l'impression qu'on est des voyous, ça suffit, c'est lourd, c'est très lourd!"
Les trois femmes juges poursuivent leur interrogatoire avec, dans le ton, cette once de condescendance vertueuse, cette certitude tranquille de ceux qui connaissent la fin de l'histoire. Pourquoi ne s'est-il pas posé plus de questions? Comment a-t-il pu croire qu'une telle opération était possible? Comment ne s'est-il pas préoccupé du déracinement des enfants? Et face à elles, l'émotion brute de celui pour lequel, ce jour d'octobre 2007, le monde s'est effondré.