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Quelque chose en nous de Marilyn

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/08/2012

Marilyn Monroe ressemble à un livre court mais plein à craquer, à exploser, à finir. On y trouve tout, de tout. Chacun peut puiser son miel, son venin, choisir ce qui, pour le corps, l'esprit et le coeur, le sens de l'existence, lui parlera le plus. Marilyn n'est pas une actrice. Un mythe mais si proche, si familier. Quelque chose en nous de Marilyn bat.

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Elle est morte il y a cinquante ans. Elle avait trente-six ans. Suicide, meurtre, accident, peu importe au fond dès lors qu'elle avait pressenti, dans l'une de ses fulgurances à la fois décousues et lucides, ce que serait son destin final: une femme jeune sans vie, entourée de médicaments.
Il est sûr qu'elle est devenue un mythe. Ce terme utilisé à tort ou à travers qui prétend faire de n'importe quelle célébrité une légende lui convient tout à fait, il faut le reconnaître. En effet, au-delà de l'adhésion ou du rejet ordinaire qui évalue et juge les artistes mais les maintient dans le registre classique où des comparaisons et des hiérarchies sont possibles, le mythe les fait entrer dans une sphère où, si peu nombreux, ils nous habitent bien plus qu'on ne les possède. Il y a eu, pour n'en citer que quelques-uns, Greta Garbo, Marlène Dietrich, Rudolf Noureev, la Callas.
Marilyn est le mythe par excellence pour détracteurs et enthousiastes réunis.
Au fil du temps, à force d'écouter, de lire et de voir ses films, en m'enrichissant de la pluralité des regards portés sur elle, en étant le témoin, grâce à tant de reportages et d'actualités, de scènes de son existence publique quand elle échappait à l'enfer de sa condition intime, dans les manifestations les plus quotidiennes comme les plus officielles, je me suis rapproché d'une compréhension qui me semble plausible.
Marilyn Monroe non seulement a un corps qui est une histoire (Mediapart) mais me semble constituer un univers humain qui offre à chacun ce dont il a besoin.
Comme si elle avait rassemblé en elle, grâce à la nature, à cause des aléas de son existence, de ses difficultés d'être et de son incroyable pouvoir de séduction, de quoi satisfaire, combler, toucher, émouvoir, faire frémir ou rêver, pleurer ou réjouir n'importe qui.
Sans qu'aucune des excitantes et brillantes facettes de sa personne apparaisse comme un triomphe arrogant, une supériorité jalousée puisque derrière toutes on ne pouvait pas ignorer les souffrances et les fragilités d'où elles étaient sorties et qui imposaient, au propre et au figuré, un maquillage de six heures pour être effacées une journée.
Le mal de vivre, l'obsession de mourir, le sentiment de n'être rien sauf par le corps et le désir qu'elle inspirait, l'adulation vaine des foules, il est évident que cette symphonie crépusculaire et désespérée a suscité inéluctablement chez tous une adoration, une compassion, une affliction, une absolution. Les séquences troubles de sa destinée, cet abandon parfois à ce que l'univers de la politique et de la mafia mêlées avait de pire ne lui ont jamais été reprochés, comme si rien de ce qui lui advenait ne pouvait la souiller et porter atteinte à son irrécusable innocence.
Marilyn était bien trop riche en trésors et en faiblesses et le prisme au sein duquel elle évoluait trop large pour qu'à chaque seconde quelque chose d'elle ne puisse pas faire écho chez nous.
La comédienne délicieuse mais parfois médiocre rassurait ceux qui aspiraient à déceler du négatif dans une domination sur les coeurs et dans les têtes qui, sans lui, aurait été insupportable.
Elle suscitait chez beaucoup l'envie de la protéger, parce qu'elle usait de ce don redoutable d'être une triomphatrice menacée à chaque seconde, une reine sans cesse proche de sa chute, une vivante mise en joue sans répit par la mort. La virilité venait à son secours sans mauvaise conscience.
L'enfance qu'elle faisait apparaître dans ses attitudes, ses mimiques, sa voix, sa nostalgie favorisait cette passion de la puérilité qui touche certains hommes, surtout quand celle-ci s'accompagne d'une formidable conscience d'être une bombe sexuelle, un corps qui non seulement ne rend pas illégitimes mais justifie des appétences au fond ambiguës, équivoques.
Ses dérives solitaires, le revers sombre et pathétique de la lumière qui selon elle n'éclairait pas comme il convenait ce qu'elle était vraiment, le masochisme qui la conduisait à avoir des rapports rapides avec des inconnus, parce qu'elle s'estimait trop peu pour se préserver, cette sensualité immédiate et imprévisible ont sans doute fait germer dans une infinité d'instincts des fantasmes tournant autour de Marilyn vous ayant miraculeusement élu...
Au-delà, la disponibilité et la facilité avec lesquelles elle faisait don de ce qu'on est convenu de considérer comme le plus précieux et le plus secret de soi - ses ébats politiques avec les Kennedy entrant dans une catégorie où Marilyn était désirée et soumise à une puissance tutélaire apparemment bienfaisante - énervent et en même temps excitent un puritanisme pourtant tenté, ces pulsions mal réprimées qui se nourrissent d'une indécence à la fois fascinante et angoissante.
Les nuits, les somnifères, l'alcool, la psychanalyse, l'errance dans son malheur et son inguérissable sous-estimation de soi : je suis persuadé qu'ils ont noué un lien puissant et délétère avec trop d'âmes blessées.
Marilyn Monroe ressemble à un livre court mais plein à craquer, à exploser, à finir. On y trouve tout, de tout. Chacun peut puiser son miel, son venin, choisir ce qui, pour le corps, l'esprit et le coeur, le sens de l'existence, lui parlera le plus.
Marilyn n'est pas une actrice. Un mythe. Mais si proche, si familier.
Quelque chose en nous de Marilyn bat.



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