Quelles conséquences tirer de la qualification érronée du contrat de mobilier urbain ? (arrêt CBS Outdoor suite et fin)
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Virginie Delannoy, Anna Stefanini-Coste, 4/04/2013
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, CBS Outdoor offre une intéressante application de la récente jurisprudence Ophrys qui redéfinit l’office du juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours contre un acte détachable du contrat.
CAA Paris, 17 octobre 2012, Ville de Paris (n° 09PA03922)
L’arrêt est rendu dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir du tiers contre l’acte détachable (en l’espèce, la délibération autorisant le maire à signer) du contrat public à l’attribution duquel il estime avoir été illégalement évincé, sur le fondement des jurisprudences Martin de 1905 (CE, 4 août 1905): et Epoux Lopez de 1994 (CE, 7 octobre 1994 : le juge de l’excès de pouvoir peut enjoindre aux parties de saisir le juge du contrat pour qu’il prononce la nullité du contrat).
Le recours est en effet dirigé contre un contrat dont la procédure d’attribution a été engagée antérieurement à l’arrêt Tropic travaux signalisations (CE, Ass. 16 juillet 2007 ) qui ouvre au candidat évincé de l’attribution d’un contrat public un recours de plein contentieux en contestation de la validité du contrat.
Comme le rappelle la cour administrative d’appel, en application de la jurisprudence Société « le Yacht-club international de Bormes-les-Mimosas » (CE, 1er octobre 1993 ), assouplie par l’arrêt Institut de recherche pour le développement (CE, 10 décembre 2003 ), l’annulation de l’acte détachable n’a pas pour effet automatique la nullité du contrat auquel il se rapporte. Jusque récemment, le juge administratif devait (i) examiner la gravité du vice et (ii) vérifier que la nullité dudit contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général pour choisir entre deux solutions extrêmes : laisser survive le contrat malgré le vice dont il est entaché ou constater sa nullité, celle-ci étant dotée d’un effet rétroactif. Il n’existait aucune mesure alternative dont l’effet de gradation aurait pu être utilement mis en œuvre par le juge administratif.
Les arrêts Tropic (recours direct du candidat évincé contre le contrat), puis Commune de Béziers I (recours, direct ou par la voie de l’exception, de l’une des parties au contrat en déclaration de nullité du contrat), ont permis au juge de remédier à cette lacune en repensant ses pouvoirs lorsqu’il est saisi de la question des conséquences de l’annulation de l’acte détachable. Ainsi, l’arrêt Ophrys (CE 21 février 2011 ) redéfinit son office en lui offrant une gamme élargie de pouvoirs qu’il ne peut utiliser qu’après « avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise » : (i) le juge peut « décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties » ; (ii) le juge peut enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec effet différé, sous réserve que cette résiliation « ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général » ; (iii) le juge peut « inviter les parties à résoudre » le contrat ou, « à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règles les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ». L’annulation du contrat n’est envisagée qu’en dernier recours, en présence d’une « irrégularité d’une particulière gravité », sans que ne soit précisée la nature de cette irrégularité.
L’arrêt commenté est une illustration de la jurisprudence Ophrys dont le considérant de principe rappelé ci-dessus est repris intégralement. Suivant sa grille de lecture, le juge d’appel met en œuvre la voie médiane en estimant que le non-respect des dispositions du code des marchés publics, d’une part, n’entre pas dans la catégorie de l’« irrégularité d’une particulière gravité » de nature à entraîner la résolution du contrat mais, d’autre part, n’est pas une irrégularité suffisamment vénielle pour permettre la poursuite des relations contractuelles, alors même que la ville de Paris avait organisé une procédure ad’hoc de mise en concurrence. En conséquence, le juge ordonne la résiliation du contrat dans un délai de huit mois, après vérification que cette résiliation ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
La solution peut paraître sévère si l’on considère que le contrat avait été attribué après mise en concurrence. L’absence totale de mise en concurrence entraînera-t’elle la résolution du contrat ? Le Conseil d’Etat a, en effet, récemment jugé que constituaient un vice d’une particulière gravité justifiant la résolution d’un contrat public, l’illégalité affectant le consentement de la personne publique ou « le bien fondé de la délégation » d’un service public ou toute autre illégalité qui, compte tenu de « circonstances particulières », révèle notamment « une volonté de la personne publique de favoriser un candidat » (CE, 10 décembre 2012, SIEA de Ludon-Macau-Labarde, req. n° 355127). L’absence de mise en concurrence n’est sanctionnée par la résolution du contrat que s’il est démontré une volonté de la personne publique de favoriser un candidat. A défaut, elle aura pour conséquence d’entraîner sa résiliation, tout comme l’erreur dans le choix de la procédure, ce qui peut sembler manquer de nuance.
On peut, enfin, regretter la disparition de la possibilité pour le juge d’apprécier les conséquences d’une résiliation ou d’une annulation du contrat au regard des « droits des cocontractants » comme le permet l’arrêt Tropic. Comment expliquer que les droits du cocontractant de l’administration soient plus protégés dans le cadre d’un recours Tropic exercé, pourtant, par le candidat évincé, que dans le cadre du recours contre l’acte détachable ? Ceci s’explique d’autant moins lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le contrat repose sur un subtil équilibre économique résultant à la fois de sa durée, du montant des investissements initiaux consentis par le cocontractant, du montant des recettes perçues auprès des annonceurs et de l’importance de la part prélevée par la collectivité publique.
Curieusement, la cour administrative d’appel semble avoir pris en considération les intérêts – financiers – des cocontractants (pour constater qu’ils étaient insuffisamment démontrés) mais au titre de l’intérêt général. L’on ne peut, en effet exclure, que l’intérêt financier de la ville de Paris participe de l’intérêt général.
L’arrêt est rendu dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir du tiers contre l’acte détachable (en l’espèce, la délibération autorisant le maire à signer) du contrat public à l’attribution duquel il estime avoir été illégalement évincé, sur le fondement des jurisprudences Martin de 1905 (CE, 4 août 1905): et Epoux Lopez de 1994 (CE, 7 octobre 1994 : le juge de l’excès de pouvoir peut enjoindre aux parties de saisir le juge du contrat pour qu’il prononce la nullité du contrat).
Le recours est en effet dirigé contre un contrat dont la procédure d’attribution a été engagée antérieurement à l’arrêt Tropic travaux signalisations (CE, Ass. 16 juillet 2007 ) qui ouvre au candidat évincé de l’attribution d’un contrat public un recours de plein contentieux en contestation de la validité du contrat.
Comme le rappelle la cour administrative d’appel, en application de la jurisprudence Société « le Yacht-club international de Bormes-les-Mimosas » (CE, 1er octobre 1993 ), assouplie par l’arrêt Institut de recherche pour le développement (CE, 10 décembre 2003 ), l’annulation de l’acte détachable n’a pas pour effet automatique la nullité du contrat auquel il se rapporte. Jusque récemment, le juge administratif devait (i) examiner la gravité du vice et (ii) vérifier que la nullité dudit contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général pour choisir entre deux solutions extrêmes : laisser survive le contrat malgré le vice dont il est entaché ou constater sa nullité, celle-ci étant dotée d’un effet rétroactif. Il n’existait aucune mesure alternative dont l’effet de gradation aurait pu être utilement mis en œuvre par le juge administratif.
Les arrêts Tropic (recours direct du candidat évincé contre le contrat), puis Commune de Béziers I (recours, direct ou par la voie de l’exception, de l’une des parties au contrat en déclaration de nullité du contrat), ont permis au juge de remédier à cette lacune en repensant ses pouvoirs lorsqu’il est saisi de la question des conséquences de l’annulation de l’acte détachable. Ainsi, l’arrêt Ophrys (CE 21 février 2011 ) redéfinit son office en lui offrant une gamme élargie de pouvoirs qu’il ne peut utiliser qu’après « avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise » : (i) le juge peut « décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties » ; (ii) le juge peut enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec effet différé, sous réserve que cette résiliation « ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général » ; (iii) le juge peut « inviter les parties à résoudre » le contrat ou, « à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règles les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ». L’annulation du contrat n’est envisagée qu’en dernier recours, en présence d’une « irrégularité d’une particulière gravité », sans que ne soit précisée la nature de cette irrégularité.
L’arrêt commenté est une illustration de la jurisprudence Ophrys dont le considérant de principe rappelé ci-dessus est repris intégralement. Suivant sa grille de lecture, le juge d’appel met en œuvre la voie médiane en estimant que le non-respect des dispositions du code des marchés publics, d’une part, n’entre pas dans la catégorie de l’« irrégularité d’une particulière gravité » de nature à entraîner la résolution du contrat mais, d’autre part, n’est pas une irrégularité suffisamment vénielle pour permettre la poursuite des relations contractuelles, alors même que la ville de Paris avait organisé une procédure ad’hoc de mise en concurrence. En conséquence, le juge ordonne la résiliation du contrat dans un délai de huit mois, après vérification que cette résiliation ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
La solution peut paraître sévère si l’on considère que le contrat avait été attribué après mise en concurrence. L’absence totale de mise en concurrence entraînera-t’elle la résolution du contrat ? Le Conseil d’Etat a, en effet, récemment jugé que constituaient un vice d’une particulière gravité justifiant la résolution d’un contrat public, l’illégalité affectant le consentement de la personne publique ou « le bien fondé de la délégation » d’un service public ou toute autre illégalité qui, compte tenu de « circonstances particulières », révèle notamment « une volonté de la personne publique de favoriser un candidat » (CE, 10 décembre 2012, SIEA de Ludon-Macau-Labarde, req. n° 355127). L’absence de mise en concurrence n’est sanctionnée par la résolution du contrat que s’il est démontré une volonté de la personne publique de favoriser un candidat. A défaut, elle aura pour conséquence d’entraîner sa résiliation, tout comme l’erreur dans le choix de la procédure, ce qui peut sembler manquer de nuance.
On peut, enfin, regretter la disparition de la possibilité pour le juge d’apprécier les conséquences d’une résiliation ou d’une annulation du contrat au regard des « droits des cocontractants » comme le permet l’arrêt Tropic. Comment expliquer que les droits du cocontractant de l’administration soient plus protégés dans le cadre d’un recours Tropic exercé, pourtant, par le candidat évincé, que dans le cadre du recours contre l’acte détachable ? Ceci s’explique d’autant moins lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le contrat repose sur un subtil équilibre économique résultant à la fois de sa durée, du montant des investissements initiaux consentis par le cocontractant, du montant des recettes perçues auprès des annonceurs et de l’importance de la part prélevée par la collectivité publique.
Curieusement, la cour administrative d’appel semble avoir pris en considération les intérêts – financiers – des cocontractants (pour constater qu’ils étaient insuffisamment démontrés) mais au titre de l’intérêt général. L’on ne peut, en effet exclure, que l’intérêt financier de la ville de Paris participe de l’intérêt général.