Actions sur le document

Les criminels à la Une

Justice au singulier - philippe.bilger, 26/04/2013

Une discrétion qui les réduirait à ce qu'ils ont été et à ce qu'ils ont accompli. Rien de plus, rien de moins. Des hommes qu'il ne faudrait pas porter aux nues, en Une. Par respect, d'abord, pour leurs victimes.

Lire l'article...

C'est une véritable épidémie.

En même temps que l'inculture judiciaire des politiques et des artistes atteint son comble, la frénésie médiatique pour les criminels, leurs personnalités et leurs évasions est devenue, depuis quelque temps, paroxystique.

Sur le premier plan, un exemple seulement car j'ai assez écrit sur le juge Gentil et le député Guaino.

Fabrice Burgaud, que je ne parviens pas à apprécier malgré son statut permanent d'accusé et ma détestation du lynchage, va poursuivre le cinéaste Bertrand Tavernier qui, dans une émission de télévision, n'a rien trouvé de mieux que de déclarer à son sujet : "C'est quelqu'un que vous avez envie d'exécuter, le juge d'Outreau", en ajoutant qu'il avait "cassé des vies, détruit des gens" (Libération). Ce qui est désolant, c'est de constater à quel point, pour cet intellectuel engagé ayant fait parfois de très bons films historiques ou "sociétaux", la dénonciation ne s'embarrasse pas de justesse et d'équité. Les détentions provisoires interminables qui ont fait souffrir des innocents ne relevaient pas de la responsabilité de Burgaud. Peu importe pour qui a envie de pourfendre et de se mêler au vaste flot de l'approximation judiciaire.

Cela étant dit, je serais Fabrice Burgaud, je m'abstiendrais de toute action qui n'aura pour conséquence que de rappeler au moins ma relative implication dans cette immense tragédie collective où un certain nombre de magistrats n'ont pas brillé.

Cette méconnaissance des uns n'est pas sans lien avec le traitement, opéré par les autres, des affaires criminelles et de tout ce qui concerne l'environnement et l'aura discutable voire scandaleuse, des tueurs, braqueurs et malfaiteurs de toutes sortes. Ils ont droit à la Justice, pas au vedettariat !

Cette appétence de certains médias a commencé bien avant l'évasion de Redoine Faïd mais depuis celle-ci, comme si elle avait encore plus libéré la bonde, que d'articles sur ces tristes héros de notre modernité dévoyée. Je songe à Christophe Khider qui a eu droit à deux pages dans un quotidien, à un cambrioleur en activité entendu en dissimulant évidemment son identité.

Je fais référence surtout à Redoine Faïd lui-même qui a bénéficié deux soirs de suite d'une part non négligeable du journal de France 2, d'une couverture substantielle par une presse écrite et des magazines ayant une curieuse conception de la hiérarchie et de la légitimité des sujets et, enfin, par la focalisation sur lui de l'excellent Le Parisien Magazine qui en profite pour évoquer plusieurs évadés célèbres et si peu recommandables comme Jacques Mesrine, Antonio Ferrara, Pascal Payet, etc.

Force est de considérer que cette manière de procéder constitue ces personnalités mortes ou vivantes en héros des temps modernes, projette sur elles une lumière qui, même sans prétendre les ennoblir, par le simple fait qu'elle existe, les fait sortir du cercle terrifiant de leurs crimes pour les faire entrer dans une familiarité, une proximité offensantes pour l'honnête homme et le citoyen exemplaire.

Cette sublimation de fait, par ailleurs, ne saurait être justifiée par un quelconque souci d'information. Je ne crois pas que notre démocratie serait privée d'une nourriture essentielle si, pour les sujets qui représentent une prime aux transgresseurs et favorisent le voyeurisme malsain, les médias s'abstenaient de les traiter ou alors, comme Le Monde, en caractères si petits et périphériques que le lecteur les dénichant accomplit un exploit.

Plus gravement, cette médiatisation se flattant de ne pas s'encombrer d'éthique - alors que celle-ci se devrait d'être au coeur de ce splendide métier qui rend compte du réel obligatoire, irremplaçable et propose son interprétation - a pour effet pervers d'amplifier ce qui est probablement le vice fondamental commun à ces malfaiteurs : une immense vanité, créatrice à terme de nouvelles transgressions. Les médias favorisent ainsi un culte de soi qui lui-même engendrera un pire renouvelé.

Je vais être qualifié de mauvais coucheur mais ces criminels à la Une, pour les avoir affrontés souvent sereinement aux assises de Paris durant vingt ans, me sembleraient mériter un sort moins éclatant. Une forme d'effacement pour étouffer leur superbe.

Une discrétion qui les réduirait à ce qu'ils ont été et à ce qu'ils ont accompli. Rien de plus, rien de moins. Des hommes qu'il ne faudrait pas porter aux nues, en Une.

Par respect, d'abord, pour leurs victimes.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...