Vincent Bolloré en a !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/07/2015
Depuis toujours, les Guignols de l'Info, s'ils m'ont parfois fait rire quand ils s'en prenaient, pour être franc, à des personnalités que je n'appréciais pas, m'ont le plus souvent porté au comble d'une exaspération d'autant plus accablante qu'elle me mettait en hiatus avec ce qui apparemment nous était proposé, instillé et diffusé.
Il n'était pas de bon ton ni très parisien de dénoncer cette émission qu'il convenait au contraire de saluer même si, dans le fond, beaucoup la trouvaient pour le moins injuste et partiale et que certaines de ses victimes, lassées d'être contraintes à une adhésion élégante à l'égard de ce qui les offensait systématiquement, s'en plaignaient.
Ceux qui osaient mettre en cause le caractère salubre et jubilatoire, comme disent les critiques de cinéma qui n'ont pas envie d'expliquer pourquoi le film leur a plu, des Guignols ne pouvaient qu'être des grincheux chroniques, des réactionnaires patentés ou Alain Finkielkraut.
Je n'aurais jamais cru que dans notre monde si frileux et tellement attaché à la sauvegarde des réputations médiatiques, à l'immunité d'un espace de nuisance par définition irréprochable et donc intouchable, on oserait un jour former le projet de supprimer cette émission dite culte. Incroyable comme le culte se répand partout alors qu'il se raréfie dans les lieux sacrés !
Vincent Bolloré, propriétaire de Canal+, aurait en effet décidé de mettre fin aux marionnettes, à l'antenne depuis 1988.
Pour l'instant il s'est contenté de déclarer : "Je préfère quand ils sont plus dans la découverte que dans la dérision. Parce que, parfois, c'est un peu blessant ou désagréable".
Vincent Bolloré demeure aimable et ses critiques s'efforcent d'être modérées.
Je songe à mes discussions à la fois enflammées et antagonistes avec un "historique" des Guignols, Bruno Gaccio, qui est devenu un ami lors de la rédaction de notre livre commun : Le Guignol et le magistrat, sous l'égide du regretté Gilles Verlant. Elles avaient trait notamment à cette émission qu'il défendait ardemment et avec talent mais que je jugeais pour ma part partisane, idéologique, sélective, drôle quand elle le voulait bien mais, pour l'essentiel, obnubilée par des cibles à détruire, toujours les mêmes.
Plus la droite que la gauche, un anti-américanisme viscéral, le pape quotidiennement insulté et les catholiques avec lui, une vision démagogique et suicidaire de la politique, celle-ci rentrant dans les foyers ravis par le petit bout de la lorgnette. Seulement, en effet, de la dérision. Le respect pour quelques "vaches sacrées", par exemple Robert Badinter ayant toujours échappé à sa caricature.
En dehors de quelques satisfactions civiques - Jacques Chirac remis en selle par les Guignols contre Edouard Balladur -, que de dévastations emplies de bonne conscience ! Une sadique destruction, au travers de faits, gestes et propos déformés et ridicules, de la classe politique et de la plupart de ses représentants même si l'état d'esprit des dialoguistes ayant toujours été à forte tonalité anarchiste pour le meilleur et, pour le pire, altermondialiste, le camp conservateur n'était jamais épargné.
Les Guignols ont été et sont responsables du remplacement de la pensée par le réflexe, de la nuance par la caricature, de l'esprit par la dérision et de la profondeur par la superficialité. Jamais, au prétexte de ce poncif qui voudrait que les humoristes soient nécessairement caustiques et "contre", rien qui élève, encourage, stimule, félicite. Rien, jamais, qui honore l'honneur et l'exemplarité puisque la finalité est précisément de les moquer pour faire s'esclaffer.
Le drame des Guignols est qu'ils avaient du talent et qu'ils parvenaient à dissimuler leur sérieux partial derrière une drôlerie faussement équitable.
Je souhaite bon courage à Vincent Bolloré. Il aura pratiquement tout le monde contre lui, y compris, j'en suis persuadé, ceux qui avaient pâti des Guignols et voudront tout de même être dans le vent. Contre lui, les médias, les politiques, les artistes, les animateurs, les sociologues et les penseurs du samedi soir. La pacotille consistante ou non qui s'attache aux lumières de la frivolité.
Ce courage, il ne l'a pas eu.
Vincent Bolloré, qui ne voulait pas s'arrêter à cette lucidité malheureusement démentie, semble avoir pour le Grand Journal, à la place d'Antoine de Caunes, une large préférence pour Maïtena Biraben qui en effet est à promouvoir tant pour la qualité de ses questionnements dans le Supplément que pour celle de ses réponses quand elle est interviewée (Le Parisien).
Un homme capable de même évoquer la suppression des Guignols demain et de remplacer un mauvais par une excellente est forcément remarquable.
En tout cas, Vincent Bolloré en a.