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Je ne suis pas de ce Monde !

Justice au singulier - philippe.bilger, 26/01/2014

Non, Le Monde peut, doit se lire au détail parce qu'en gros, il n'est pas aussi irréprochable et indépassable qu'il le pense de lui. Cher Jean Birnbaum, Le Monde des livres peut mieux faire.

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Me trouvant à Cayenne, des amis m'ont prévenu que Jean Birnbaum dirigeant Le Monde des livres m'avait consacré son éditorial sur un ton persifleur, avais-je cru comprendre.

Son adresse à l'avocat général que j'ai été - "Monsieur l'Avocat général, cher Philippe Bilger" - m'a semblé, en effet, sans être aigre, ironique, condescendante, parfumée de ce léger sentiment de supériorité qui fait qu'on se demande toujours quelle faute on a commise et pour quelle vulgarité on paie.

Si j'avais été habité par une vanité qui se préoccupe peu du fond mais aime l'éclat médiatique, même négatif, je me serais félicité d'avoir été le destinataire, en quelques mois, de trois lettres ouvertes émanant, la première, de Christiane Taubira, la deuxième de Jean-François Copé fort courtoise et, enfin, de celle de Jean Birnbaum.

Ayant répondu aux deux premières, il me reste à me défendre face à l'élégante perfidie de la dernière mais l'exercice n'est pas si difficile qui me fait percevoir, humer comme une similitude entre la garde des Sceaux et son attaque et Jean Birnbaum dans sa leçon.

Ce ne sont pas des personnalités qu'il est bienséant d'offenser car c'est alors se mettre à un niveau qui n'est pas pour nous, Le Monde des livres venant s'ajouter, avec son intimidante présentation, à l'aura forcément rayonnante de son responsable.

J'ai besoin de comprendre pourquoi Jean Birnbaum m'a fait l'honneur de sa délicate inimitié. Je n'ose croire que ce sont mes modestes billets et mes misérables tweets qui ont pu favoriser cette gratifiante semonce.

Il y a quelques années, Les Entretiens de Pétrarque, remarquable manifestation à Montpellier, m'avaient permis de rencontrer avec bonheur Jean Birnbaum pour la première fois mais j'ai très vite deviné que je le désappointais parce que je m'obstinais à parler selon mes convictions et non pas selon le code du Monde. Gabriel Mouesca était présent avec moi à la tribune mais je me suis obstiné à ne pas le révérer assez et Jean Birnbaum s'est assombri : "j'ai invité Bilger mais je ne l'inviterai plus"...

Plus subtilement préjudiciable à ma cause a été une sollicitation que j'avais formulée auprès de lui. Thierry Lévy était prêt à écrire un article sur mon livre : Brasillach - 20 minutes pour la mort. Une publication dans Le Monde était-elle envisageable ? Birnbaum m'a fait savoir faussement qu'aucun intervenant extérieur ne pouvait offrir sa contribution. Alors que chaque semaine j'étais à même de constater l'inverse. La pire des bévues de ma part : il m'en a voulu de m'avoir menti. On fait payer cher à autrui les petitesses dont il est le témoin.

Sur le fond, qu'y a-t-il donc dans sa désinvolte moquerie dont je puisse m'offusquer et que j'aie à renier ?

Heureusement rien, sauf à considérer que la repentance doit être consubstantielle au rapport qu'on entretient avec Le Monde des livres et que faute d'avoir su apprécier les homélies souvent moralisatrices de Birnbaum, j'ai définitivement perdu le droit de parler de littérature et de me gausser si j'en ai envie. Hors du Monde des livres, point de salut ?

Je suis flatté de me voir opposé Roland Barthes même si je ne suis pas convaincu que cette démarche soit si pertinente que cela. Certes, j'éprouve du respect pour cet analyste incomparable mais il ne nous dispense pas de tenter de réfléchir par nous-mêmes et d'assumer nos choix.

En effet, j'aime la facilité et l'aisance romanesques de Françoise Bourdin, son don pour la narration et son art, pas si évident que cela, de retenir dans ses pages le lecteur qui, indigne, a décidé de s'y aventurer. Je ne m'excuserai pas lâchement en affirmant que cet auteur si peu médiatique mais tellement lu m'accompagne dans mes moments de loisir et de détente. Non, je défendrai mon droit de l'apprécier jusqu'au bout et je maintiens qu'elle est largement supérieure à Marc Lévy que je trouve effectivement très mauvais et à qui ceux qui n'ont jamais lu Françoise Bourdin osent la comparer.

En effet, Marcel Proust est un génie de la littérature française, son oeuvre a structuré mon existence : avant et après Proust, plus le même, une révolution de l'être. C'est un maître et bien au-delà de ceux sur lesquels il écrivait en les décrivant comme nous inspirant une affection fraternelle avec un compagnonnage complice. Comme Balzac par exemple que ses défauts nous rendaient familier en suscitant notre indulgence à la fois admirative et amusée. Marcel Proust a posé sur la vie un regard qui aurait pu nous éviter de l'apprendre. Parce qu'il a tout dit sur les sentiments humains.

Est-il honteux, alors qu'ils ne sont pas du tout sur le même registre, de refuser de mépriser Françoise Bourdin et de porter aux nues Marcel Proust ?
Je ne crois pas. Au contraire, dans cette volonté d'épurer, je retrouve tout ce que Le Monde des livres a de sectaire et de médiocrement élitiste.

Par ailleurs, si je lirai avec plaisir et intérêt les trois pages consacrées à l'homosexualité, je n'ai aucun scrupule à confirmer qu'il y a une littérature et des films qui ne sont véritablement acceptés dans l'univers des critiques progressistes que s'ils s'abandonnent au misérabilisme, à une forme d'hermétisme - il faut que le talent relatif, quand il existe, les rende le moins accessibles possible, l'obscurité étant pour beaucoup un critère de qualité - et qu'ils manifestent à quel point l'homosexualité est un sujet fondamental. Pourquoi pas mais alors quel immense précipice entre ces tâcherons dans l'air du temps et Marcel Proust ! J'aggrave mon sort et m'aliène Pierre Bergé : je refuse le diktat de ces thèmes qui seraient aujourd'hui nécessaires en eux-mêmes : j'attends de voir et de lire pour constater ce qu'on en a fait, le pire ou le meilleur.

Est-ce à dire que tout est à jeter dans Le Monde des livres et son snobisme de gauche poudrée ? Assurément non. Par exemple, Eric Chevillard est très remarquable quand il démolit les auteurs absurdement consacrés - comme Christine Angot - ou dissèque les écrivains magnifiés mais à la longue bourrés de tics comme Pascal Quignard. La langue de ce critique est superbe, son seul problème est qu'il ne donne absolument pas envie de lire les oeuvres qu'il recommande !

Il me semble que derrière cette charge raffinée, il y a bien plus. Il conviendrait de prendre Le Monde pour un bloc et d'adhérer de manière indivisible et inconditionnelle à ce quotidien irremplaçable mais souvent exaspérant dans les domaines social, judiciaire et culturel. Pour ne jamais manquer les articles d'un Gérard Courtois, d'un Franck Johannès, de Pascale Robert Diard ou de Marion Van Renterghem, suis-je tenu par une quelconque obligation à l'égard d'autres journalistes ? Dois-je à tout prix adhérer à l'angélisme pénal, à cette stratégie de survie au bénéfice de Christiane Taubira, à une philosophie qui se satisfait du conformisme qu'elle diffuse parce qu'elle le croit distingué ?

Non, Le Monde peut, doit se lire au détail parce qu'en gros, il n'est pas aussi irréprochable et indépassable qu'il le pense de lui.

Cher Jean Birnbaum, Le Monde des livres peut mieux faire.


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