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Les cabris de l'Europe ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/03/2019

Il y a donc une issue. Pour être attaché à l'Europe, on n'est pas obligé de sauter "comme un cabri sur sa chaise en criant Europe". Ni la rêver ni la détester. La réformer en étant pour elle moins ambitieux pour être plus efficaces.

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Le général de Gaulle qui plaidait pour le réalisme européen s'était moqué des rêveurs en déclarant qu'on pouvait évidemment "sauter sur sa chaise comme un cabri en criant l'Europe, l'Europe, l'Europe" !

Cette saillie qui date a beaucoup fait jaser mais il me semble qu'elle est encore aujourd'hui opératoire pour se frayer un chemin dans le maquis européen.

D'abord, qu'il soit bien clair que j'aimerais être habité par une foi européenne aussi intense et sincère que celle qui anime le président de la République et qui résiste à toutes les offenses du réel!

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Il n'empêche que ce n'est pas pour rien que l'idéal européen - dans son principe, qui pourrait être opposé à cet esprit sauf à être d'un obtus nationalisme ? - bat de l'aile, et de plus en plus depuis des années. C'est qu'il apparaît probablement déphasé, décalé, par rapport à la dure loi du monde, des rapports de force, des protections à assurer mais des indépendances à sauvegarder. L'Europe doit être une puissance certes mais l'intuition nous dit qu'en dépit de leurs limites et de leur repli trop vite qualifié de honteux, les Etats sont encore la moins mauvaise structure et l'organisation la plus efficiente pour rassurer les citoyens. On a besoin de se sentir au chaud à l'intérieur de nos frontières, qu'on le déplore ou non.

L'effort du président est méritoire qui est allé en Italie sur un terrain qui ne lui était guère favorable soutenir sa vision européenne en changeant un peu de tonalité. Non plus le clivage sommaire entre populistes et progressistes mais une explication de texte plus fouillée, moins méprisante. Il a par ailleurs publié une tribune destinée aux citoyens des 28 pays européens dont le Royaume-Uni. Son argumentation est fondée sur ces trois exigences essentielles : progrès, protection et liberté (Le Figaro).

Difficile, à la lecture de ce texte, de ne pas agréer les avancées qu'il propose et les considérations généreuses et positives qu'il formule même si ses opposants dénoncent sa "duplicité" qui, pour l'Europe, aspirerait au contraire de ce qu'il a mis en oeuvre en France !

Un autre risque gangrène tout projet politique, sur le plan national comme dans le registre européen. Celui de le voir étiqueté sous le terme accablant de "blabla", tant dorénavant la déception est ancrée pour l'immense écart entre les promesses et leur concrétisation.

Encore plus à cause de l'organisation européenne qui laisse à tort ou à raison peu de place à l'espérance même si la France ne cesse de prétendre le contraire mais pour l'instant sans effectivité. L'humanisme européen est écouté, guère entendu, en pratique laissé de côté parce que la pâte du réel préoccupe trop et que les nations privilégient leur efficacité immédiate, aussi limitée qu'elle soit, aux aspirations si généreuses mais tellement peu fiables.

A cet hiatus déprimant pour le citoyen entre l'engagement et son incarnation, s'ajoute le fait que ce dernier, en Europe, a de plus en plus de mal à percevoir les distinctions entre les chemins annoncés pour faire "renaître" l'Europe selon le voeu d'Emmanuel Macron. Des Français interrogés avouent s'y perdre et que notamment le populisme et le progressisme constituent des notions floues qui les éclairent médiocrement (Matinale de Sud Radio).

Par ailleurs j'entends bien qu'il est flatteur pour soi et pour la cause qu'on défend de s'abriter sous le pavillon noble du progrès mais le bât blesse quand on s'en prend au populisme de certains pays en occultant par commodité le fait dérangeant que leur pouvoir, notamment en Hongrie, est obstinément validé par la majorité des peuples, quels que soient les défauts de ces démocraties qui de manière sans doute abrupte ont cherché à prévenir les errements et les faiblesses des démocraties classiques, si consensuellement célébrées à proportion parfois de leurs ostensibles lacunes et imperfections.

Le Parti Populaire Européen (PPE) - droite et centre droit -, principal groupe du Parlement européen, va exclure le parti de Viktor Orban de son sein parce qu'il ne correspondrait plus à ses valeurs. A bien regarder certaines des actions hongroises, on serait surpris de les voir infiniment plus libérales à l'égard de l'étranger en règle, par exemple de l'accueil des étudiants que plusieurs Etats qui les critiquent. En revanche elles sont fermes en ce qui concerne la politique migratoire. Cette rigueur peut être questionnée, contestée mais elle n'est pas indécente ni honteuse.

J'ajoute que l'exclusion est trop souvent la manifestation d'une faiblesse plus que d'une force : la rançon d'un modèle qui s'auto-contemple mais qui n'attire plus. La Hongrie est enviée en même temps qu'on a besoin de la caricaturer en repoussoir.

J'apprécie que François-Xavier Bellamy soit très réservé à ce sujet tandis que Jean-Pierre Raffarin, toujours LR, va soutenir Emmanuel Macron. La cohérence "à la chinoise" sans doute !

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J'ai conscience de l'infirmité de ce billet s'il s'arrêtait à ces aperçus qui tentent d'expliquer mais sans se projeter. Heureusement l'actualité est opportune qui nous offre une remarquable tribune co-écrite par un ancien grand ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine - dont l'intelligence empirique a toujours été le fort - et un philosophe et historien néerlandais. Elle a pour titre : "De l'Union imaginaire à une Europe qui agit". Elle est articulée autour de trois pistes dont l'esprit est d'améliorer l'existant européen plutôt que de cultiver des fantasmes comme par exemple celui de la "nostalgie carolingienne du noyau dur" (Le Monde).

Il y a donc une issue. Pour être attaché à l'Europe, on n'est pas obligé de sauter "comme un cabri sur sa chaise en criant l'Europe".

Ni la rêver ni la détester. La réformer en étant pour elle moins ambitieux pour être plus efficaces.


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