De la crise cardiaque ayant pour origine un rapport intime : accident du travail
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Patrick Berjaud, Thomas Yturbe, 9/10/2019
Au terme d’un arrêt rendu le 17 mai 2019, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’un rapport sexuel constituait un acte de la vie courante, et partant, dès lors qu’il n’était pas prouvé que le salarié en déplacement professionnel ait interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci, la crise cardiaque de celui-ci consécutive à une relation sexuelle constituait un accident du travail. (1)
Il convient d’abord de dresser un rappel historique de la jurisprudence relative à l’accident survenu au cours d’une mission professionnelle (I) avant d’analyser l’arrêt du 17 mai 2019 (II).
I. Rappel historique : la conception extensive de l’accident du travail survenu au cours d’une mission professionnelle
Il est rappelé qu’au terme de l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée (…) » La reconnaissance d’un accident du travail entraîne la prise en charge des frais de santé du salarié et le versement d’un revenu de remplacement. Si l’accident est un décès, l’indemnisation se traduit par une rente versée aux ayant-droit du salarié.
En ce qui concerne l’accident survenu au cours d’une mission professionnelle, la chambre sociale de la Cour de cassation avait, dans les années 1990, établi une distinction entre les actes de la vie professionnelle et les actes de la vie courante, ces derniers étant considérés comme hors du champ d’application des accidents du travail. (2)
En 2001, au terme d’un revirement important, la chambre sociale a ensuite abandonné cette distinction en mettant en place une présomption d’imputabilité au travail de tous les accidents survenus en cours de mission : « le salarié, effectuant une mission, a droit à la protection prévue par l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu'il accomplit pour son employeur, peu important que l'accident survienne à l'occasion d'un acte professionnel ou d'un acte de la vie courante ». (3) La haute cour a ensuite réaffirmé cette position en 2002 (4) puis en 2003 (5) . La juridiction suprême consacre donc une conception extensive de l’accident du travail survenu au cours d’une mission professionnelle.
Il en résulte une forte présomption au profit du salarié. Dès lors que l’employeur ne rapporte pas la preuve que le salarié, au moment de son accident, a interrompu sa mission pour un motif personnel ni que la lésion a une cause totalement étrangère au travail, l’accident survenu est considéré comme ayant une cause professionnelle. Ainsi, l'accident survenu lors d'un séminaire d'entreprise, au cours d'une activité de loisir, comme le ski, est un accident du travail si pendant cette période, le salarié reste soumis à l'autorité de son employeur (6) . En revanche, n'est pas un accident du travail (ni un accident de trajet) celui survenu au salarié alors qu'il avait détourné son itinéraire pour des raisons strictement personnelles (7) .
En ce qui concerne l’accident survenu au cours d’une mission professionnelle, la chambre sociale de la Cour de cassation avait, dans les années 1990, établi une distinction entre les actes de la vie professionnelle et les actes de la vie courante, ces derniers étant considérés comme hors du champ d’application des accidents du travail. (2)
En 2001, au terme d’un revirement important, la chambre sociale a ensuite abandonné cette distinction en mettant en place une présomption d’imputabilité au travail de tous les accidents survenus en cours de mission : « le salarié, effectuant une mission, a droit à la protection prévue par l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu'il accomplit pour son employeur, peu important que l'accident survienne à l'occasion d'un acte professionnel ou d'un acte de la vie courante ». (3) La haute cour a ensuite réaffirmé cette position en 2002 (4) puis en 2003 (5) . La juridiction suprême consacre donc une conception extensive de l’accident du travail survenu au cours d’une mission professionnelle.
Il en résulte une forte présomption au profit du salarié. Dès lors que l’employeur ne rapporte pas la preuve que le salarié, au moment de son accident, a interrompu sa mission pour un motif personnel ni que la lésion a une cause totalement étrangère au travail, l’accident survenu est considéré comme ayant une cause professionnelle. Ainsi, l'accident survenu lors d'un séminaire d'entreprise, au cours d'une activité de loisir, comme le ski, est un accident du travail si pendant cette période, le salarié reste soumis à l'autorité de son employeur (6) . En revanche, n'est pas un accident du travail (ni un accident de trajet) celui survenu au salarié alors qu'il avait détourné son itinéraire pour des raisons strictement personnelles (7) .
II. La position de la Cour d’appel de Paris sur l’acte de la vie courante
Le 21 février 2013 à 22 heures, un technicien de sécurité de l’entreprise TSO est retrouvé mort alors qu’il se trouvait en déplacement professionnel dans le Loiret. Le décès a pour cause une crise cardiaque consécutive à un rapport sexuel consommé avec « une parfaite inconnue ».
Par décision du 4 juillet 2013, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Hainaut prend en charge le décès comme un accident professionnel. La Société TSO, ayant vu son recours rejeté par la commission de recours amiable de la CPAM, saisit le TASS de Meaux qui, par jugement du 13 juin 2016, confirme la position de la CPAM. La Société TSO interjette appel.
Devant la Cour, TSO soutient que le décès du technicien, étant causé par une relation sexuelle, est survenu alors que le salarié avait sciemment interrompu sa mission pour un motif uniquement dicté par son intérêt personnel, indépendamment de son emploi. En revanche TSO ne conteste ni que son salarié était alors en situation de déplacement professionnel ni que la crise cardiaque avait pour cause le rapport sexuel. La CPAM, quant à elle, fait valoir qu’un rapport sexuel relève des actes de la vie courante à l’instar de prendre une douche ou un repas et que, dès lors, le salarié bénéficiait de la présomption d’imputabilité.
Dans sa motivation, la Cour d’appel commence par rappeler la jurisprudence la Cour de cassation : « Il est constant que le salarié effectuant une mission a droit à la protection prévue par l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou à l’occasion d’un acte de la vie courante sauf la possibilité pour l’employeur de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel. »
Puis la Cour répond à la question posée par les faits de l’espèce: un rapport sexuel est-il un acte de la vie courante ?
Réponse : « Il est constant qu’un rapport sexuel est un acte de la vie courante. »
Dès lors que TSO ne rapportait pas la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci, le décès causé par un rapport sexuel est considéré comme un accident du travail. Par ailleurs, le fait que l’accident soit survenu à l’issue d’un rapport sexuel consommé dans un lieu autre que la chambre d’hôtel réservée par TSO ne permet pas, à lui seul, de considérer que le salarié s’était placé hors de la sphère de l’autorité de l’employeur.
Le raisonnement, tout surprenant qu’il puisse paraître, est que si le salarié ne s’était pas trouvé en mission à cette date et à cet endroit, il n’aurait pas eu le rapport sexuel fatal. Partant, le décès a bien pour origine le travail.
Si cette décision est à première vue très discutable, elle est néanmoins conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation développée depuis 2001 (citée plus haut) qui inclut les actes de la vie courante dans le champ des accidents du travail. Ce n’est donc pas le fait que le rapport sexuel ait été qualifié d’acte de la vie courante par la juridiction de fond qui est critiquable mais plutôt le fait que le décès survenu à l’occasion d’un acte de la vie courante soit qualifié d’accident du travail par la Cour de cassation. En effet, le salarié de TSO ne se trouvait ni sur le lieu de travail ni sous l’autorité de l’employeur lorsqu’il s’est livré à l’activité devenue mortelle. On voit mal quelle preuve complémentaire l’employeur aurait pu rapporter pour démontrer le caractère étranger au travail. Il s’agit presque d’une preuve impossible.
La Cour de cassation en restera-t-elle à une interprétation aussi extensive de l’accident survenu en cours de mission ou bien la chambre sociale reprendra-t-elle son ancienne distinction entre les actes de la vie professionnelle et les actes de la vie courante ? L’avenir le dira.
Par décision du 4 juillet 2013, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Hainaut prend en charge le décès comme un accident professionnel. La Société TSO, ayant vu son recours rejeté par la commission de recours amiable de la CPAM, saisit le TASS de Meaux qui, par jugement du 13 juin 2016, confirme la position de la CPAM. La Société TSO interjette appel.
Devant la Cour, TSO soutient que le décès du technicien, étant causé par une relation sexuelle, est survenu alors que le salarié avait sciemment interrompu sa mission pour un motif uniquement dicté par son intérêt personnel, indépendamment de son emploi. En revanche TSO ne conteste ni que son salarié était alors en situation de déplacement professionnel ni que la crise cardiaque avait pour cause le rapport sexuel. La CPAM, quant à elle, fait valoir qu’un rapport sexuel relève des actes de la vie courante à l’instar de prendre une douche ou un repas et que, dès lors, le salarié bénéficiait de la présomption d’imputabilité.
Dans sa motivation, la Cour d’appel commence par rappeler la jurisprudence la Cour de cassation : « Il est constant que le salarié effectuant une mission a droit à la protection prévue par l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou à l’occasion d’un acte de la vie courante sauf la possibilité pour l’employeur de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel. »
Puis la Cour répond à la question posée par les faits de l’espèce: un rapport sexuel est-il un acte de la vie courante ?
Réponse : « Il est constant qu’un rapport sexuel est un acte de la vie courante. »
Dès lors que TSO ne rapportait pas la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci, le décès causé par un rapport sexuel est considéré comme un accident du travail. Par ailleurs, le fait que l’accident soit survenu à l’issue d’un rapport sexuel consommé dans un lieu autre que la chambre d’hôtel réservée par TSO ne permet pas, à lui seul, de considérer que le salarié s’était placé hors de la sphère de l’autorité de l’employeur.
Le raisonnement, tout surprenant qu’il puisse paraître, est que si le salarié ne s’était pas trouvé en mission à cette date et à cet endroit, il n’aurait pas eu le rapport sexuel fatal. Partant, le décès a bien pour origine le travail.
Si cette décision est à première vue très discutable, elle est néanmoins conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation développée depuis 2001 (citée plus haut) qui inclut les actes de la vie courante dans le champ des accidents du travail. Ce n’est donc pas le fait que le rapport sexuel ait été qualifié d’acte de la vie courante par la juridiction de fond qui est critiquable mais plutôt le fait que le décès survenu à l’occasion d’un acte de la vie courante soit qualifié d’accident du travail par la Cour de cassation. En effet, le salarié de TSO ne se trouvait ni sur le lieu de travail ni sous l’autorité de l’employeur lorsqu’il s’est livré à l’activité devenue mortelle. On voit mal quelle preuve complémentaire l’employeur aurait pu rapporter pour démontrer le caractère étranger au travail. Il s’agit presque d’une preuve impossible.
La Cour de cassation en restera-t-elle à une interprétation aussi extensive de l’accident survenu en cours de mission ou bien la chambre sociale reprendra-t-elle son ancienne distinction entre les actes de la vie professionnelle et les actes de la vie courante ? L’avenir le dira.
(1) Cour d’appel de Paris, 17 mai 2019, n°16/08787
(2) Soc, 30 mars 1995, n°93-17.727 et 92-21.354. La noyade d’un salarié sur la plage de son hôtel entre deux visites effectuées au cours d'un voyage d'études n’était pas considérée comme un accident du travail
(3) « Sauf la possibilité pour l'employeur ou la Caisse de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel » Soc, 19 juill.2001, n°99-20.603 et 99-21.536. Dans ces deux espèces, le salarié avait été retrouvé inanimé dans sa chambre d’hôtel, l’un victime d’une hémorragie cérébrale, l’autre d’un malaise cardiaque.
(4) Soc, 12 déc.2002, n°01-20.516 : un agent technique salarié de la société Verger Delporte est dépêché chez un client pour exécuter un travail de maintenance. A la suite d'une matinée de travail, il se rend au restaurant d'entreprise du client vers 14 heures lorsqu'il est pris d'un malaise entraînant aussitôt son décès. La Cour de cassation reconnaît l’accident du travail
(5) Soc, 13 fév. 2003, n°01-21.178 : décès d’un ingénieur commercial dans la chambre d’hôtel où il logeait la nuit comprise entre ses deux journées de mission. Ce décès est également reconnu comme un accident du travail
(6) 2e civ. 21-6-2018 n° 17-15.984
(7) 2è civ, 22 mars 2005, n°02-30.858 et 04.30.332
(2) Soc, 30 mars 1995, n°93-17.727 et 92-21.354. La noyade d’un salarié sur la plage de son hôtel entre deux visites effectuées au cours d'un voyage d'études n’était pas considérée comme un accident du travail
(3) « Sauf la possibilité pour l'employeur ou la Caisse de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel » Soc, 19 juill.2001, n°99-20.603 et 99-21.536. Dans ces deux espèces, le salarié avait été retrouvé inanimé dans sa chambre d’hôtel, l’un victime d’une hémorragie cérébrale, l’autre d’un malaise cardiaque.
(4) Soc, 12 déc.2002, n°01-20.516 : un agent technique salarié de la société Verger Delporte est dépêché chez un client pour exécuter un travail de maintenance. A la suite d'une matinée de travail, il se rend au restaurant d'entreprise du client vers 14 heures lorsqu'il est pris d'un malaise entraînant aussitôt son décès. La Cour de cassation reconnaît l’accident du travail
(5) Soc, 13 fév. 2003, n°01-21.178 : décès d’un ingénieur commercial dans la chambre d’hôtel où il logeait la nuit comprise entre ses deux journées de mission. Ce décès est également reconnu comme un accident du travail
(6) 2e civ. 21-6-2018 n° 17-15.984
(7) 2è civ, 22 mars 2005, n°02-30.858 et 04.30.332