Taubira console la gauche
Justice au singulier - philippe.bilger, 31/01/2013
On a beau se pousser du col républicain, le mariage pour tous n'aura jamais la même portée que l'abolition de la peine de mort, 2013 ne sera pas 1981 et Christiane Taubira, aussi abrupte et convaincue de son bon droit qu'elle soit, ne pourra pas servir à la gauche de Robert Badinter bis.
Pourtant, il est manifeste qu'elle console la gauche.
Quand le réel implacable impose de plus en plus sa loi, on compte sur la garde des Sceaux pour que sa volonté d'effacement législatif, ses circulaires et sa philosophie qui demeure peu ou prou imprégnée d'un dogmatisme compassionnel offrent un peu d'air pur et de socialisme éthéré à un camp qui finirait par désespérer d'être acculé à tant d'empirisme. Les échappées dans le rêve sont devenues trop rares, heureusement les discours de Christiane Taubira tentent d'en tenir lieu.
J'avoue ma très grande faute. Sans doute par ce besoin de présumer chez un être très intelligent, une faculté d'adaptation et une aptitude à l'évolution, je m'étais persuadé ces dernières semaines que notre ministre de la Justice commençait doucement à découvrir la réalité, à se sortir de ses fantasmes d'idéologue pour considérer la plénitude d'une politique à mettre en oeuvre.
Lutter contre l'enfermement et la récidive, certes, restaurer une conception de la minorité qui, pour être fidèle à son esprit initial, n'en est pas moins aujourd'hui déconnectée des exigences d'une répression cohérente, soit, détruire consciencieusement les armes efficaces d'hier, tant pis, mais, dans tous les cas, il faudrait bien que Christiane Taubira fît surgir, de l'exercice de sa mission, autre chose que ce sulpicianisme doctrinaire et cette irresponsable douceur à sens unique. Baptiser les commissions "conférences de consensus" ne changera pas radicalement la nature d'un projet qui pour l'instant est obstinément monocolore, unilatéral.
Il m'a suffi d'entendre la garde des Sceaux le 27 janvier au Grand Jury LCI-RTL-Le Figaro pour comprendre que je m'étais mépris et qu'en face des excellents Revel et Brézet, son autorité teintée trop rarement d'un magnifique sourire et son approche péremptoire et au fond simpliste des problèmes de justice ne s'étaient pas infléchies le moins du monde.
Qu'on ait qualifié son intervention à l'ouverture du débat parlementaire sur le mariage pour tous de "moment" Taubira (Le Monde) ne m'a pas étonné.
C'était son jour de gloire et à l'heure dite, à nouveau, elle a consolé la gauche.
Pourtant, il y a eu l'étrange, très maladroite ou perverse simultanéité de cette circulaire donnant son aval à la gestation pour autrui pour les enfants nés à l'étranger d'un père français. Est-ce le prélude à une légalisation ou la reconnaissance humaine et juridique de situations particulières, je ne sais. En tout cas, le trouble et la polémique qui en ont résulté ont plutôt brouillé qu'éclairé son adresse initiale à l'Assemblée nationale (le Figaro). Sa réponse à la fureur de Copé n'a pas été le 30 janvier, sur ce seul point, à la hauteur, d'ailleurs, de ses prestations habituelles.
Elle a consolé la gauche non seulement parce qu'elle a fait preuve d'une roideur et de principes qui s'accommodent de calculs et d'habileté dans les coulisses, d'une vertu affichée qui ne dédaigne pas la tactique politicienne.
Elle a consolé la gauche, surtout, parce qu'elle a un talent indéniable, éclatant, pour l'oralité et que, déjà, cette seule disposition crée une formidable différence entre elle et tous ceux qui à gauche et à droite ânonnent ou lisent leur texte. Procédant et parlant de la sorte, elle chasse l'ennui alors que les autres parlementaires nous y font tomber, bien davantage encore s'ils y ajoutent la plaie d'une voix monocorde.
Elle console la gauche à bon compte car, à analyser le fond, son argumentation n'émerveille pas. Elle passe trop volontiers par la morale - qu'elle décrète, en l'occurrence, de gauche - et par la stigmatisation de ses adversaires comme rétrogrades et hostiles à l'égalité - sans s'interroger sur les limites de celle-ci qu'on prétend appliquer à des situations radicalement hétérogènes - pour convaincre ceux que ses pétitions de coeur et d'esprit laisseraient indifférents.
Il y a, dans sa dénonciation comme dans son lyrisme, l'accusation à peine voilée que penser autrement qu'elle sur le mariage pour tous serait créateur de culpabilité. Dans ses accents, il me semble qu'on n'est pas loin de retrouver, en faveur des gays, la tonalité de sa charge ancienne contre l'esclavage. Comme si elle confondait les adversaires du mariage pour tous et les négriers.
Faute de pouvoir contredire victorieusement, Christiane Taubira marque au fer gauche. Vous avez éthiquement tort puisque vous êtes politiquement minoritaires. S'octroyer une fierté singulière et collective est publicitaire : rien qui emporte l'adhésion à l'essentiel.
Christiane Taubira console la gauche. Restera-t-elle longtemps à ce poste comme une vigie talentueuse, sourcilleuse et donneuse de leçons ? Comme le Guépard, pourquoi changerait-elle puisqu'elle est parfaite ? Difficile quand on est ministre de faire coïncider l'opinion de tous avec celle flatteuse qu'on a de soi.
Mais la République ne manque pas de postes où la fonction elle-même suscite l'aura dont on se gratifie. Le président se dira peut-être qu'elle l'a bien mérité pour avoir su incarner une vision pure de gauche dont le sens des responsabilités l'a forcément éloigné, lui.