Eric Zemmour autrement !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/10/2019
Je rassure ceux qui visitent régulièrement ce blog. Je ne suis pas obsédé par Eric Zemmour mais le 3 octobre l'excellente émission C à vous, dans ses magnifiques nouveaux locaux, avait bien voulu m'inviter à propos de mon dernier livre "Le mur des cons", et une question a naturellement remis le polémiste dans le débat pour discuter de la liberté d'expression, de sa force démocratique mais aussi de ses limites.
J'ai tenté d'aller au plus vrai, au plus juste pour ne pas éluder les courtoises interrogations qui m'étaient adressées. J'ai rappelé que, comme Frédéric Taddéï, j'étais totalement favorable à la liberté mais jusqu'à la loi. On m'a répondu que le passé avait tranché puisqu'Eric Zemmour avait déjà été condamné. Cela ne me semblait pas suffisant pour qu'il soit considéré d'emblée comme coupable pour son intervention dans un présent récent, à la convention de la droite. Je crains fort que l'enquête qui a été ordonnée n'aboutisse à son renvoi devant le tribunal correctionnel et à une probable condamnation.
A l'égard d'Eric Zemmour, je n'ai pas du tout la même attitude que ceux, plus politiciens que réfléchis, qui l'approuvent sans réserve ou feignent une solidarité judiciaire d'autant plus facile à proposer qu'ils n'auront pas à la supporter. Je l'ai défendu quand j'estimais que sa cause, ses propos, ses écrits ne méritaient pas la moindre qualification pénale, sauf dans une démocratie rabougrie, et qu'il n'était pas le diable que ses ennemis indignés et/ou jaloux se plaisaient à voir en lui.
En même temps je n'ai cessé de le mettre en garde parce que le talent, le savoir, l'intelligence et l'oralité libre ont une rançon : s'ils n'échappent pas à la volupté de la frénésie et de l'outrance, ils tombent dans un extrémisme et une globalité coupables. Une pensée extrême a évidemment le droit d'exister mais à condition qu'elle prenne toutes les précautions de langage pour ne pas paraître s'appliquer indistinctement à tous quand l'équité commande de ne viser que certains d'entre eux. Prendre la partie pour le tout est une tentation de facilité et qui fait fi de la nuance.
Le vice de la verve sarcastique de Zemmour est qu'elle succombe à la tradition de la maxime française : la généralité. Il doit faire attention à l'avenir mais l'ostracisme bat déjà son plein : il est clair qu'il trouvera toujours auprès de lui des soutiens prêts à être intrépides, par Zemmour interposé, pour l'envoyer vers d'inévitables casse-pipes judiciaires !
Il ne faut pas omettre non plus, pour analyser ce qui est reproché à Eric Zemmour, son attitude de guingois depuis plusieurs mois. Essayiste, journaliste, écrivain, il est aussi sollicité comme une personnalité politique qui pourrait sauver la droite de la droite, gaulliste, souverainiste et patriote. Il a beau récuser ce rôle et à juste titre, car il serait aussi peu fait pour cela que pour la mesure. Aiguillon, influenceur oui mais surtout pas acteur ! Il le sait, il s'en défend mais il est flatté. La convention de la droite a manifesté à quel point il était gêné : se mélangeaient dans son discours la vision acerbe du journaliste réaliste et l'espérance du politique contrarié.
Cela ne sert à rien de fustiger Eric Zemmour sur le plan moral pour quelques absurdités indiscutables qu'il a proférées. Il vaut mieux lui dire pourquoi il fonctionne mal depuis quelque temps et combien il se détruit lui-même par des provocations dont la forme efface ce qu'elles pourraient avoir, pour des citoyens de tous bords prêts à écouter et éventuellement à penser contre eux mêmes, de stimulant.
C'est à cause de cette approche honnête - loin de l'idolâtrie et de la haine - que je tiens à attirer l'attention sur un article du Monde qui n'est pas la publication la moins critique à l'encontre d'Eric Zemmour. Ce n'est pas la première fois que j'apprécie le journaliste Nicolas Truong dont on perçoit évidemment les hostilités intellectuelles et idéologiques mais qui les domine pour nous éclairer, selon lui, sur "Restaurer plutôt que conserver, le nouveau credo d'Eric Zemmour".
Ce qui me gêne dans l'analyse tient à ce que le désir de restauration est perçu forcément comme négatif, telle une régression. Je ne vois pas au nom de quoi, dans une temporalité qui ne s'honorerait pas que du futur, non pas la nostalgie mais au moins la reconquête d'une certain passé ne serait pas salubre. Il n'y a pas d'indécence intellectuelle ni de malfaisance républicaine à regretter des moments forts, des vertus rares, des institutions exemplaires, des pratiques irréprochables, éloignés ou non de nous. Un pouvoir politique de droite ou de gauche, s'il voulait bien se libérer de son enfermement idéologique, n'aurait-il donc pas le droit de s'assigner aussi pour ambition de faire revenir le meilleur d'hier pour lutter contre l'intolérable et si justifié déclinisme d'aujourd'hui ? Au nom de quoi le progrès authentique ne serait-il que DEVANT ?
J'admets, comme Raphaël Enthoven l'a dit, que probablement on ne reviendra jamais sur une liberté mais il y a tant d'autorité, d'ordre, d'intégrité, d'excellence et de morale à réactualiser dans beaucoup d'autres domaines, que restaurer suffirait largement à un destin présidentiel.