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Un parfum d'Etat

Justice au singulier - philippe.bilger, 22/12/2012

J'ai très peur de ce parfum d'Etat qui s'insinue dans les esprits, les consciences, dévie la trajectoire et les cibles des indépendances et court le risque de faire changer seulement de partialité ceux dont on attend le plus rectitude, constance et vérité.

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Something in the air : la République pourrait le chanter.

Depuis l'élection de François Hollande, l'Etat de droit semble s'émanciper de l'Etat.

Plus exactement - et je ne mets nulle ironie dans ce constat -, le changement de président, le nouveau rapport de force, une tonalité générale qui influence subtilement les administrations, les institutions, le basculement suscitant plutôt aujourd'hui une complaisance pour la gauche que pour la droite ont eu une incidence directe sur la manière dont par exemple la justice largement entendu appréhende depuis plusieurs mois les problèmes et les débats qui lui sont soumis.

Il n'est même pas nécessaire de prêter au pouvoir socialiste des immixtions qui ne seraient pas démocratiques. D'après tout ce que j'ai pu apprendre et glaner ici ou là, plus aucune intervention n'est à imputer à l'Elysée ou à Christiane Taubira sur le cours des dossiers sensibles et donc, si l'atmosphère s'est modifiée, ce n'est pas à cause d'une quelconque emprise politique mais parce que les acteurs eux-mêmes ont intégré, de bonne foi certainement, le fait que leur maître, si j'ose dire, n'est plus le même.

Ainsi, alors qu'hier des magistrats choisis pour les affaires délicates cédaient aux injonctions fermes ou murmurées qui leur étaient adressées et que le quinquennat précédent oubliait ce qu'était la République irréprochable promise en 2007, la même magistrature - pour l'instant, elle n'a pas été remplacée - a continué à son rythme mais en anticipant les désirs, selon son analyse, de la nouvelle donne politique.

Par exemple, pour les sondages de l'Elysée un juge d'instruction a été désigné et a été abandonnée cette thèse absurde qui élargissait la protection de l'environnement du président de la République de manière démesurée et choquante.

Le magistrat Renaud van Ruymbeke obtient maintenant du parquet de Paris des supplétifs et des autorisations procédurales qui n'auraient pas été concevables auparavant.

Non pas que l'indépendance soit vendue à l'encan au gré de chaque alternance suscitant un autre climat dominant et créant d'autres réflexes mais il faut bien percevoir que le contraste qui s'établit judiciairement entre hier et aujourd'hui n'est pas brutal mais suppose seulement un infléchissement du regard, une occultation de ceci et et une mise en évidence de cela, une orientation qui, dans le doute, va plus volontiers vers ce qui sert le pouvoir que vers ce qui pourrait lui déplaire.

Pour terminer, comment oublier que les comptes de Nicolas Sarkozy ont été rejetés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ? Contrairement à ce qu'a soutenu Jean-François Copé, il n'y a rien d'aberrant dans le fait qu'ont été réintégrées, dans les comptes du candidat Sarkozy, des dépenses survenues avant sa déclaration du 15 février 2012 mais qui à l'évidence n'avaient aucune relation avec l'action et les discours du président mais tout à voir au contraire avec l'engagement et la partialité du candidat.

Un recours a été formé et le Conseil constitutionnel aura à statuer, sans la présence évidemment de Nicolas Sarkozy. Mais son absence pèsera lourd et je ne suis pas sûr que les conditions seront réunies pour espérer une approche indiscutable et objective (Le Monde, nouvelobs.com, Le Figaro).

Que la Commission ait pris cette décision de rejet, alors qu'auparavant, contre la justice, les comptes de Jacques Chirac et d'Edouard Balladur, mais pas ceux du petit candidat Jacques Cheminade et de Bruno Mégret, avaient été validés, m'apparaît comme une démarche à la fois courageuse et peut-être pertinente mais sans prétendre offenser personne, l'aurait-elle adoptée si Nicolas Sarkozy avait été réélu ?

J'ai très peur de ce parfum d'Etat qui s'insinue dans les esprits, les consciences, dévie la trajectoire et les cibles des indépendances et court le risque de faire changer seulement de partialité ceux dont on attend le plus rectitude, constance et vérité.


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